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Fonction publique : petits et grands paradoxes d'une réforme en panne de repreneurs

par Boudina Rachid *



Suite et fin

Au sujet du recrutement dans l'attente de la mise en place d'un nouveau corps de fonctionnaires. La formulation n'est pas du tout heureuse. La solution n'est pas tant dans la mise en place prochaine, et pour tout dire très problématique d'un statut, que dans la possibilité de recruter dans des emplois qui ne correspondent à aucune des fonctions susceptibles d'être assurées par des corps de fonctionnaires. Dans ce cas de figure, il faudrait que chaque ministère arrive à identifier les emplois « métiers » très particuliers pour lesquels un recrutement direct sur CDI pourrait être justifié. Un pareil exercice ne doit pas être différé à la génération prochaine comme il est de tradition dans l'administration algérienne qui tombe facilement dans la « procrastination » lorsqu'il agit d'achever une œuvre qui fait redouter des problèmes auxquels on ne saurait pas faire face. Dans le cas qui nous intéresse il s'agit d'un exercice aisé qui doit être conduit de concert avec la direction générale de la Fonction publique dans une perspective de forte mutation des métiers qui n'appelle pas nécessairement la mise en place d'un statut adapté, qui est susceptible d'être vite dépassé de toutes les façons;

* au sujet du recrutement pour la prise en charge d'une opération revêtant un caractère conjoncturel. Déjà abordé plus haut, ce point mérite un complément d'analyse au regard de l'imprécision du délai qui doit régir cette catégorie de contrats. La solution serait ici de conclure des contrats à objet défini dont l'échéance concorde, soit avec un terme précis, c'est-à-dire daté, soit avec la réalisation de l'objet défini. Précisons tout de même qu'il n'est pas de la compétence des ministères concernés (les Travaux publics, les Ressources en eau, pour en citer quelques uns) de réglementer les modalités, ainsi que la durée et les conditions de renouvellement de ce type de contrats. Cette compétence relève de plein droit du domaine du règlement.

Notons pour en finir avec cet article 4 que la typologie des recours possibles au recrutement par contrat a omis le cas très particulier des besoins saisonniers et des besoins occasionnels qui s'expriment le plus souvent, soit pendant la période estivale, soit pendant la période hivernale, et dont la charge de travail qui en résulte ne peut être assurée par des fonctionnaires. Cet oubli est plus que dommageable car il aurait permis de baliser et d'encadrer réglementairement cette catégorie de besoins du point de vue des modalités de la relation contractuelle adaptée aux deux cas de figure.

- concernant l'article 5 du décret : renvoyant, ce qui ne saurait être autrement, à l'article 22 du statut général, cet article dispose « est considéré comme contrat à durée indéterminée tout contrat destiné à l'occupation d'un emploi permanent lorsque la nature des activités ou des besoins de service le justifient ». À ce niveau, l'imprécision est à son comble. D'abord et dans le principe l'occupation d'un emploi permanent est réservée aux fonctionnaires, même si bizarrement cette disposition n'est pas formellement inscrite dans le statut général, contrairement à d'autres systèmes de fonction publique de carrière qui le mentionnent toujours en ouverture du statut général, de telle manière que les contrats qui, à titre « extraordinaire », sont conclus entre un employeur public et un agent doivent être, en toute logique, des contrats à durée déterminée. Ensuite et nous référant à l'article 20 du statut général qui édicte que les cas de recours au recrutement des agents contractuels sur des emplois réservés à des fonctionnaires intervient à titre exceptionnel, on ne saurait que conclure que l'article 22 du statut général et l'article 5 du décret relatif aux contractuels ont, tous les deux, vocation à être mis en cohérence vis-à-vis de l'article 20 du statut général, sauf à ce que ce soit l'article 20 lui-même qui doit être amendé pour exclure de cette disposition les emplois d'entretien, de maintenance et de service.

-concernant l'article 8 du décret relatif aux AEMS (activités d'entretien, de maintenance et de service) :

* au sujet de l'alinéa 1 et 2, les deux ensemble disant que les AEMS sont pourvus par des contrats à durée déterminée ou indéterminée et que le contrat à durée déterminée ne peut excéder une année, renouvelable pour une période d'une année au plus. S'il n'y a rien à dire d'autre sur le principe consacré à l'article 19 du statut général qui a converti tous les emplois d'entretien de maintenance et de service au régime de la contractualisation esquissant un grand dessein inachevé comme on l'a souligné plus haut, par contre, nous sommes saisis par l'irréalisme, voire l'extravagance, du concept qui destine les contrats à durée déterminée non pas à la prise en charge des activités correspondant à des tâches précises et surtout momentanées, mais plutôt à une catégorie d'emplois arbitrairement dédiées au CDD. Ce raisonnement fait violence à la définition la mieux partagée du CDD par les réglementations les plus diverses, notre droit du travail compris (article 12 de la loi n°90-11, modifiée et complétée) qui assigne grosso modo au CDD les cas de recours suivants : remplacement d'un agent absent, attente de la prise de fonctions d'un agent recruté en CDI, accroissement temporaire de l'activité, travaux saisonniers et contrat d'usage. Cette thèse complètement absurde fait que l'emploi de femme de ménage, ou de gardien, ou d'agent de service qui répondent tous à des activités permanentes sont couverts par des CDD au mépris du simple bon sens. La situation devient cocasse quand on sait que les emplois occupés par des contractuels recrutés en qualité de CDD sont déjà budgétés comme emplois permanents. Ainsi donc, ce qui n'est pas permanent c'est le contrat lui-même qui doit conduire à l'échéance du terme d'une année renouvelé, le cas échéant, pour une même période, à être résilié de plein droit, après quoi l'employeur concerné procèdera au recrutement d'un autre agent par contrat à durée déterminée. Encore faut-il savoir, ce qui n'est pas indiqué dans le décret concerné, qu'il est constant que la pluralité des législations imposent très logiquement dans un tel cas de figure des délais de carence entre deux contrats à durée déterminée ce qui, ajouté aux temps de transaction pour recruter un agent contractuel, même en CDD, mène à des délais prohibitifs.

A part cela, essayez donc de faire accepter le bien-fondé de cette alchimie à un agent contractuel en fin de contrat ayant donné entière satisfaction et qui se voit être remplacé par quelqu'un d'autre sur le même poste de travail par la faute d'une réglementation quasiment assise sur la tête.

* au sujet de l'alinéa 3. Celui-ci prévoit que des arrêtés interministériels fixent les effectifs de référence pour chaque secteur administratif. Ce protocole qui consiste à quantifier uniformément les personnels contractuels pour une catégorie d'administration donnée symbolise l'antithèse même d'une gestion RH tournée vers la rationalité.         

Même s'il est bien vrai que l'usage d'un barème de charge n'est pas à la portée des administrations, il reste quand même la solution pratique de construire des barèmes de référence adossés à des indicateurs d'activité et/ou d'environnement significatifs, de telle sorte que chaque administration puisse recevoir la dotation en personnels contractuels qui correspond réellement à ses besoins en quantité et en qualité.

D'un point de vue budgétaire, un tel dispositif, même s'il est fort avantageux pour les gestionnaires, contredit pour l'instant l'article 25 de la loi 84-17 du 7 juillet 1984, modifiée et complétée, relative aux lois de finances. En fait, il a surtout l'inconvénient d'agir comme un appel d'air qui pousse à une consommation rarement rationnelle des postes budgétaire, fonctionnant de surcroît comme un fonds « revolving » qui permet de resservir automatiquement les postes budgétaires chaque fois qu'ils deviennent vacants, concourant au final à desservir tout système de prévision à un niveau agrégatif.

CORRELAT

Aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence que l'expérience de la mise en place d'une fonction publique parallèle fondée sur le système du contrat pour les activités d'entretien, de maintenance et de service, avec option de basculer tout le reste des fonctionnaires sous le même système a vécu. Il ne s'agit même plus d'analyser l'échec de cette réforme, même si on peut déjà l'imputer à un mode opératoire qui a confondu concepts et outils parvenant juste à constituer un stock de contractuels empêtrés dans des CDI sans horizon et sans parcours professionnel identifié et encore moins sécurisé.

L'heure n'est pas à résoudre la quadrature du cercle dans les conditions du statut général et du décret 07-308. Les petites solutions mises bout à bout ne sont pas les bienvenues. La réponse à cette dangereuse équation exige une réaction d'ensemble au regard des conséquences lacunaires d'un dispositif qui a failli dans ses tenants et aboutissants.

Ce n'est pas affaire d'idéologie que de dire que la Fonction publique algérienne n'est pas prête à s'approprier le système contractuel. A vrai dire, ni les conditions objectives de ce passage ne sont réunies, ni qu'il existe des promoteurs en capacité de piloter un aussi vaste chantier (planifier, définir des actions, gérer et traiter les résistances, tester les solutions, ajuster, former les gestionnaires et mettre en route). Autant donc retourner, par la voie législative s'entend, au système de la fonction de la carrière déclamé et proclamé dans sa pureté originelle qui enjoint que les emplois permanents de l'Etat doivent être occupés par des fonctionnaires. Dans cette conception, l'emploi de contractuel intervient à titre dérogatoire comme variable d'ajustement autour d'une claire définition des situations justifiant le recours au contrat et par l'encadrement circonstancié des durées de contrat et des possibilités de leur renouvellement. Ce qui n'interdit pas d'ailleurs la mise en place, de période en période, d'un dispositif de titularisation de cette ressource par le biais de concours réservés pour ceux de ces agents qui justifieraient d'une certaine ancienneté et d'une évaluation concluante. En attendant, l'urgence est de rendre justice à tous ces agents recrutés par contrat à durée déterminée mais qui sont réellement affectés à des activités qui correspondent à un besoin permanent de l'administration en requalifiant leur contrat en CDI et de recourir au CDD uniquement dans les situations d'exception prévues par le droit commun, ce qui est déjà une garantie contre les abus actuels.

Quid des enseignants contractuels ? Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le recours aux contractuels est une constante dans le système éducatif. Devant la lourdeur du processus d'organisation des concours, le recrutement des contractuels a l'avantage de procurer une certaine souplesse nécessaire à une gestion de proximité face au turnover important qui caractérise un secteur fonctionnant quasiment en flux tendus. Tout ceci, ne doit pas toutefois empêcher de rationaliser cette pratique par les quelques améliorations suivantes :

- régir le recrutement des enseignants contractuels par la voie d'un décret. L'observation est tout aussi valable pour les autres secteurs comme l'enseignement supérieur, l'enseignement et la formation professionnels et tous les autres ministères assurant une formation accessoirement à leurs missions de base. La simple circulaire interministérielle qui régit le recrutement des suppléants dans le secteur de l'Education nationale ne peut créer un état de droit par elle-même. Sa vocation est juste d'exposer l'état du droit existant résultant de la loi ou du règlement. Cette observation n'est pas que formelle : le but recherché relève du souci de stabiliser et de consacrer par un texte de niveau approprié les règles régissant une relation contractuelle qui, jusqu'à maintenant, est aussi précaire que le sont les conditions d'emploi de ces agents. Le décret souhaité aura l'avantage de donner force et crédit aux droits de ces contractuels et une plus grande clarté des modalités des contrats qui les lient à leur employeur (durée du contrat, modalités de renouvellement, rupture, modalités d'exercice des obligations statutaires, préavis, discipline, congés, absences spéciales, droit syndical, formation, couverture sociale etc.). Même l'appellation de « suppléant », petite ou grande, n'est plus de mise dans la mesure ou le décret 07-308 sur les contractuels n'a pas entendu retenir ce concept et a fixé la notion d'agent contractuel comme modèle unique et uniforme pour désigner les emplois de non titulaires ;

- confier aux corps d'inspection, selon leur spécialité, la responsabilité de procéder à la sélection des candidats (correspondance et validité des diplômes, analyse des dossiers), ou ne serait-ce que pour donner un avis pédagogique sur les dossiers, à charge pour le gestionnaire de confirmer le choix proposé ;

- prévoir des inspections, sortes de visites-conseils, dès le premier trimestre afin de repérer les insuffisances pour mettre en place, s'il y a lieu, un processus d'accompagnement, et même pour anticiper les non renouvellements de contrat.

S'agissant du recrutement des vacataires, il faut noter que cette notion n'est régie en tant que telle par aucun texte. Un arrêté interministériel de 1993, aujourd'hui tombé en désuétude, en donnait une vrai fausse définition. Le décret 07-308 fixant le régime des contractuels n'y a même pas fait allusion. C'est la jurisprudence qui, ailleurs, a permis de donner un contenu à cette notion la définissant comme « un recrutement destiné à l'accomplissement d'une tâche ponctuelle qui permet de définir les vacataires comme des collaborateurs occasionnels de l'administration ne disposant pas de ce fait, de droits particuliers dans leurs relation avec celle-ci ». Plus loin encore, d'autres critères ont apporté plus de précision pour définir cette notion disant qu'elle se caractérise par « l'exécution d'un acte déterminé, l'absence de continuité dans le temps, des modalités de rémunération distinctes et par l'absence de subordination directe à l'autorité administrative ». Le seul texte qui permet en fait et en droit de recruter des personnels selon les conditions indiquées ci-dessus correspond au décret 84-296 du 13 octobre 1984, complété et modifié, relatif aux tâches d'enseignement et de formation à titre accessoire et du décret 01-293 du 1er octobre 2001 qui détermine à part le recrutement dans ce même cadre au titre du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. A l'heure actuelle, il serait d'ailleurs plus justifié que chaque secteur ministériel puisse disposer d'un décret devant fixer les possibilités et les modalités de recrutement au titre des tâches d'enseignement et de formation dispensées accessoirement et même pour d'autres prestations d'un profil particulier qu'il ne pourra pas assurer par son propre personnel permanent. Tout cela, n'empêchera pas évidemment le juge administratif d'apprécier si un agent recruté au titre de ces dispositions n'aurait pas en réalité la qualité d'agent contractuel occupant un emploi soit permanent, soit partiel et donc de requalifier la relation qu'il entretien avec l'employeur comme contrat en bonne et due forme.

CONCLUSION PROVISOIRE

Avant tout, il nous faut présenter toutes nos excuses au journal pour avoir forcé son hospitalité, au point d'ailleurs que nous acceptons d'avance qu'il rabote tout ce qu'il peut trouver comme excessif et redondant ou qui même d'ailleurs pourrait ne pas convenir au lecteur eu égard au caractère rébarbatif de la matière traitée.

Ensuite, nous souhaitons dire que nous ne prétendons donner de leçon à personne, simplement nous nous prévalons de notre droit d'apporter un témoignage citoyen sur le fonctionnement d'une institution qui s'inscrit dans une optique minimaliste au regard des défis nombreux à relever dont elle ne semble pas mesurer l'ampleur. Pour avoir exercé au sein de cette institution, nous nous autorisons à dire que celle-ci se borne à exécuter des missions purement répétitives à consonance strictement juridique et statutaire avec des méthodes et un process très traditionnaliste, sans tenir compte des enjeux de toute nature appelés à transformer radicalement le cadre juridique et budgétaire, mais aussi l'environnement managérial et technologique de la fonction publique.

Oui, on doit rejeter la fatalité d'une administration qui se laisse déliter lentement dans l'exercice de quelques activités superflues, voire végétatives. L'exercice des responsabilités n'a de véritable intérêt que s'il s'oriente vers l'amélioration de l'existant. Ce n'est pas tant d'une gestion au fil de l'eau dont on a besoin que de l'engagement sur un grand et ambitieux projet et sur des objectifs traçables et évaluables devant déclencher et perpétuer un cercle vertueux de modernisation de la fonction publique. Ce principe, nous souhaitons qu'il soit mis en œuvre au quotidien dans une démarche lisible, concrète et soutenue par un leader qui aura à gagner ses éperons par sa compétence, son expertise et sa capacité à fédérer et à mobiliser les énergies autour d'une action collective.

Provisoire est notre conclusion, parce que le domaine de la fonction publique reste un vaste chantier à explorer et plus encore maintenant qu'il s'inscrit dans une perspective plurielle qui renvoie à la problématique plus large de la réforme de l'Etat qui ne saurait donc se suffire de cette contribution. D'où la promesse que nous reviendrons à la charge chaque fois que l'actualité vienne à donner l'opportunité de participer à un débat sur cette thématique générale de réforme de l'Etat et davantage encore lorsque le questionnement est circonscrit au périmètre conventionnel de la fonction publique.

* Inspecteur chef de la Fonction publique (ad) mis à la retraite