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Fonction publique : petits et grands paradoxes d'une réforme en panne de repreneurs

par Boudina Rachid *



2ème partie

Corrélat : qui donc peut être tenu pour responsable de l'état du statut général décrit ci-dessus ? La réponse va de soi : étant dépositaire du statut général, la direction générale de la Fonction publique n'a pas à rester spectatrice, passive et désintéressée d'une situation compromise, elle doit répondre de son obligation de veille, d'analyse et de prospective qui exige d'elle d'intervenir dans toutes les situations de nécessité pour rétablir, sinon remanier, le statut général lorsque sa mise en œuvre débouche sur des incohérences et des dysfonctionnements qui ne peuvent pas être « rattrapés » par des dispositions d'ordre réglementaire.

II ? AU SUJET DU PLAN DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES « PGRH »

Ce dispositif a vu le jour au deuxième semestre de l'année 1995. Ces promoteurs, convaincus de sa pertinence, ont même pu penser qu'il constituait, toutes proportions gardées, une petite révolution managériale.

C'était une idée qui s'inscrivait dans l'exigence de mieux encadrer la dépense publique et plus particulièrement celle qui concerne les rémunérations des fonctionnaires qui pesait lourdement sur les dépenses courantes de fonctionnement du budget de l'Etat ; ce qui, au total, répondait à une commande du plan d'ajustement structurel qui régentait toutes les activités étatiques depuis l'accord signé avec le FMI en avril 1994.

Cette commande réclamait en effet de reconsidérer en entier les pratiques de gestion en vue d'une plus grande efficience dans l'utilisation des ressources publiques notamment par l'ajustement des effectifs de l'administration au regard de ses missions de service public.

Le dispositif du PGRH s'est même voulu ambitieux et gourmand en allant jusqu'à s'assigner un objectif à double détente : un sous-dispositif visait à encadrer la gestion des ressources humaines de toutes les administrations et institutions publiques et un sous dispositif parallèle tendait à réaménager la procédure du contrôle par la mise en place du contrôle a posteriori.

Depuis lors rien n'a changé, sauf en pire. Ce plan se veut comme une démarche autoritaire engageant toutes les administrations, grandes ou petites, à souscrire un document uniforme qui retrace l'ensemble des opérations de gestion, celles qui d'abord découlent des obligations statutaires et celles ensuite qui s'appliquent aux recrutements, aux programmes de formation, ainsi qu'aux départs à la retraite.

Il s'agit en fait d'un document très stratifié et très formalisé qui acquiert plein effet dès son approbation par les services de la Fonction publique qui procèdent à un contrôle de conformité des actions programmées.

Aujourd'hui, ce dispositif a raté tous les objectifs qu'il s'est assignés : il n'est parvenu ni à rationaliser l'utilisation de la ressource humaine, ni à réhabiliter et à responsabiliser les gestionnaires (qui était soi-disant le corollaire de la réforme), encore moins à apporter la moindre valeur ajoutée au système de contrôle.

Pis, le PGRH a fini par être vécu par les gestionnaires comme un règlement de police tyrannique leur interdisant en droit et en fait de s'initier aux bonnes pratiques de la gestion des ressources humaines.

C'est dire que cet instrument de masse se voulant pionnier de la GRH publique a dérapé insidieusement en une activité chronophage et papivore alimentée, de surcroît, par une prolifération de rajouts successifs, confinant au final à faire de ce dispositif une usine à gaz ou à un magasin de « quincaillerie » où on trouve de tout, sauf de ce qui peut s'apparenter de près ou de loin à de la GRH.

Le drame, c'est que cette situation affirmativement suicidaire persiste à être vécue stoïquement par les gestionnaires qui sont comme emmaillotés dans une camisole de force, alors que les pouvoirs publics n'ont pas l'air de prendre la mesure d'un gâchis, qui a servi tout au plus de rente viagère à quelques snipers bien embusqués dans le no man's land de la Fonction publique.

Nous pensons ici avec beaucoup de compassion à tous ces gestionnaires, en particulier à tous ces recteurs, directeurs de l'éducation des wilayas ou aux responsables des centres de recherche pris au piège du rituel de l'adoption du PGRH qui entrave et compromet toute initiative ou tout plan d'action, allant jusqu'à démotiver les plus tenaces et les plus entreprenants d'entre eux.

Le constat lucide, c'est de dire que le PGRH qui, paradoxe ultime, a reçu statut légal dans son libellé d'origine en vertu de l'article 111 du statut général, doit être supprimé dans la plus prochaine production législative intéressant la Fonction publique, en tant que ce dispositif, ainsi nommé, n'est pas éligible à un tel statut. Tout au plus cette disposition peut-elle être gratifiée d'une simple déclaration ou d'une proclamation pouvant trouver place dans l'exposé des motifs du texte concerné.

Il doit être supprimé aussi en tant que dispositif opérationnel parce qu'il hypothèque toute mise en œuvre d'une GRH contemporaine en compromettant gravement l'ouverture de la Fonction publique sur la modernité et en bloquant en particulier toute initiative de gestion prévisionnelle de la ressource humaine. Il y a bien eu cette réaction, restée sans lendemain, qui démontre au moins que le gouvernement est plus ou moins conscient de l'inanité du PGRH dans sa version en vigueur : il s'agit de cette démarche introduite par l'article 2 du décret exécutif du 25 avril 2012 relatif aux examens et concours qui se propose d'inscrire le recrutement dans la Fonction publique dans une perspective quinquennale. Ce n'est pas inintéressant comme stratégie, néanmoins elle reste dramatiquement dérisoire au regard des enjeux de la gestion stratégique des ressources humaines. La GRH ne se limite pas à une opération mathématique de prévision des recrutements, elle emporte tout un ensemble de pratiques mises en œuvre pour prévoir, administrer, mobiliser et développer les ressources humaines.

Ainsi, là où il faut une volonté forte et des politiques traduisant un engagement puissant et irréversible en faveur d'une gestion stratégique des ressources humaines, on a droit à une profession de foi laissant croire qu'une programmation quinquennale des concours qui se bornerait à une arithmétique aveugle dans un contexte totalement inconstant au vu des changements attendus (impact des NTIC, redéfinition des missions, démographie, marché du travail etc.) serait la solution.

Tout aussi contre-indiquée et malhabile est cette décision autorisant la réutilisation automatique, poste pour poste, des postes budgétaires devenus vacants pendant l'exercice. C'est le procédé type qui contrevient aux règles élémentaires régentant la prévision budgétaire. Passe encore pour les emplois de gardien, cuisinier, conducteur auto et autres emplois qui nécessitent un remplacement diligent, dont la reconduction peut être justifiée, il reste que la bonne règle dans cette situation doit de préférence conduire à redistribuer les postes vacants récupérés dans une logique de rééquilibrage des effectifs devant répondre à des besoins dûment hiérarchisés.

- concernant le volet contrôle du PGRH, ce procédé doit être pareillement infirmé en tant qu'il représente l'archétype de l'improductivité administrative, se superposant et se dédoublant avec le contrôle financier et poussant à une concurrence négative entre les deux services. Ce constat froid commande et incite de fusionner sans autre procès lesdits services et même, en poussant la logique plus à fond, de fusionner le tout dans un ensemble plus grand au sein des services du Trésor. D'ores et déjà on peut parier que l'on obtiendra une économie d'échelle qui fera significativement baisser le coût de fonctionnement de ce méga ensemble, sans parler de l'opportunité qui en résultera d'engager une réflexion analytique et fonctionnelle sur l'utilité de ces services et sur la meilleure manière de les organiser.

Cette proposition, qui préfigure un peu le chantier de la réforme de l'administration territoriale, est tout à fait réalisable à charge d'une reconfiguration appropriée pour ménager les susceptibilités et les ego des différentes parties qui auront à souffrir sûrement pendant un certain temps de cette situation eu égard à leur identité originelle très contrastée, voire à leur culture professionnelle marquée par un atavisme immémorial. Il va de soi que toute réorganisation comporte des spécificités et nécessite une approche et des outils adaptés au plan de la méthodologie et de la mise en place des solutions envisagées qui peut même obliger à prévenir et à gérer les résistances au changement. N'oublions pas aussi que le regroupement de ces services, ou toute autre formule portant sur la réorganisation des services, est par principe conforme au principe de mutabilité du service public qui est étudié en première année de licence en droit. C'est même un des leviers forts de la nouvelle gestion publique.

Corrélat : la gestion stratégique des ressources humaines est une composante de la gestion publique, en ce sens que c'est un des moyens par lequel l'Etat entreprend de se transformer en profondeur, soit par des mesures législatives ou réglementaires visant une modification substantielle de son organisation et de son périmètre d'action, soit par la révision de ses méthodes de fonctionnement.

L'objectif inspiré par la nouvelle gestion publique est de réduire les coûts de fonctionnement par des hausses de productivité qui améliorent plutôt qu'elles n'affectent le service rendu aux citoyens.

C'est à ce titre que les ressources humaines deviennent l'enjeu principal : il ne s'agit plus de ressources consommables, mais d'un actif identifiable du patrimoine et qui, à ce titre, doit générer une valeur positive. Dans cette approche, la Fonction publique a un rôle primordial à jouer pour construire une GRH publique performante qui nécessite de s'appuyer sur des outils RH profondément remaniés : individualisation de la gestion des carrières, rénovation de la politique de formation et de la mobilité, professionnalisation des concours, transformation des méthodes d'évaluation, encouragement à la rémunération variable, professionnalisation de la fonction RH, mais aussi amélioration du dialogue social sur tous les aspects de la vie au travail.

Partant de cette ambition, quelle GRH doit-on appliquer, ou transposer, à la fonction publique algérienne ? Même s'il est bien vrai qu'il n'existe pas de solution « prêt-à-porter », il ne faut pas se leurrer, la fonction publique algérienne a tout intérêt à s'approprier ou à s'inspirer des expériences des administrations étrangères qui sont riches d'enseignements et qui possèdent une grande antériorité sur notre pratique. Donc, partir de leur histoire et des leçons qu'elles ont pu tirer de leurs réformes ne doit pas nous interdire d'en référer pour bâtir un système alliant modernisme et pragmatisme.

Le système couru devra intégrer la nouvelle GRH publique aux stratégies et aux priorités de l'Etat au regard de ses missions, de son organisation et de sa distribution au niveau territorial tenant compte des enjeux de la nouvelle gestion publique.

Il devient surtout réaliste et même incontournable de greffer cette nouvelle GRH au déploiement du nouveau système budgétaire (NSB) en gestation au ministère des Finances. Si on examine les objectifs annoncés par ce dispositif (avatar de la LOLF en France), il est question, et c'est dans l'ordre des choses, de modifier profondément les modalités de l'autorisation budgétaire concernant les crédits de personnel qui auront à s'inscrire dorénavant dans un programme adossé à un cycle budgétaire triennal. Autant dire que c'est un dispositif innovant qui va induire une adaptation profonde des processus de gestion RH dans l'administration. Ne pas reconnaître ce fait, c'est faire preuve d'irresponsabilité.

Ainsi donc, les gestionnaires sont appelés à se conformer à des schémas fonctionnels d'organisation compatibles avec les soubassements du nouveau système budgétaire. Tout ceci implique que la DGFP et la DGB doivent être réarmées et dotées en expertise et en ingénierie pour mettre en œuvre le grand bouleversement annoncé, dans un contexte où ces deux institutions doivent apprendre ou réapprendre à travailler ensemble.

Faut-il pour autant attendre la montée en charge du NSB, qui induit d'ailleurs un protocole intégrateur de la gestion publique dans ses multiples expressions, alors qu'il donne à penser que sa réalisation s'inscrit dans un horizon incertain, ou devrons-nous parer déjà au plus pressé pour sauver une GRH publique quasi moribonde ?

La réponse va de soi, il est urgent d'amorcer une mise à niveau de la GRH sans faire une obsession de la réforme budgétaire, quitte à prendre date avec celle-ci pour le jour où elle deviendra réalité.

Partant du principe que l'administration algérienne est fondée sur la primauté de la déconcentration, toute la GRH sera adaptée à ce concept de manière souple et réactive de sorte à mettre en place un partage des rôles adossé à des engagements croisés entre le niveau ministériel et le niveau local comme il est proposé dans le schéma suivant :

- Le niveau central est responsable de la mise en œuvre des actions suivantes :

* fonder une planification stratégique visant à l'intégration des stratégies organisationnelles et des systèmes de gestion des ressources humaines ;

* analyser et définir les besoins en ressources humaines tenant compte de l'évolution des missions et des métiers ;

* comparer cet objectif-cible en regard de l'état de la ressource disponible et mesurer les écarts qui en résultent ;

* formaliser les mesures d'ajustement en fonction des variables produites par le traitement automatisé des données et tenir compte de la nécessité de répondre aux demandes croissantes du citoyen qui exige plus d'efficacité, de transparence, de simplicité et d'accessibilité ;

* élaborer des stratégies RH à l'appui des stratégies organisationnelles (stratégie de restructuration, de formation et de mobilité, de recrutement et d'externalisation) ;

* mise en place d'un plan trisannuel de GPRH (gestion prévisionnelle des ressources humaine) et déclinaison de la tranche annuelle, ou volet annuel ;

* faire le bilan et reconsidérer la déconcentration de la gestion du personnel ;

* garantir la cohérence de la mise en œuvre de la politique RH au moyen de grilles d'évaluation et de contrôle ;

* concevoir et diffuser les outils et les méthodes RH en direction des responsables territoriaux ;

* assurer l'animation d'ateliers-formation au profit des responsables RH des services déconcentrés ;

* assurer la gestion personnalisée de l'encadrement supérieur de l'ensemble du ministère et de ses démembrements.

- le niveau local (EPA et services déconcentrés) est responsable de la mise en œuvre des actions suivantes :

* organiser la fonction RH dans ses dimensions administratives et statutaires (enregistrement, contrôle et suivi des données individuelles et collectives des personnels) ;

* professionnaliser la fonction GRH ;

* gestion de l'agenda des commissions paritaires ;

* recrutement, affectation des personnels, suivi de carrière, avancement, gestion des conflits, hygiène et sécurité, suivi des absences ;

* faire remonter les besoins et toutes autres statistiques à l'échelon central.

Ceci dit, ce schéma n'a pas la prétention à s'appliquer indifféremment à tout le paysage administratif dans toute sa diversité. Par contre, il est ouvert à toutes les expérimentations à charge pour chaque secteur de procéder aux ajustements que requièrent ses caractéristiques organisationnelles.

Cette observation est de plus haute intensité en ce qui concerne les communes où les enjeux sont plus spécifiques en raison d'une part de la gestion contrainte que vivent la plupart de ces collectivités et de leur rôle de service public de premier niveau qui appelle plus de réactivité.

La nécessité de faire progresser le niveau d'efficience du service rendu aux usagers, de garantir le bon fonctionnement des services, de mettre en œuvre les projets inscrits dans leur plan de développement et le souci de la maîtrise des dépenses de personnel font que la gestion des ressources humaines n'est pas déclarée prioritaire par les élus.

C'est tout le défi que doit relever le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales pour mettre en place et pour faire vivre une stratégie RH adaptée au contexte des communes.

Plus que la DGFP, qui méconnaît les règles qui gouvernent le fonctionnement et surtout le financement des communes, il appartient au ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales de concevoir et de promouvoir une ingénierie du développement et de l'innovation et des logiques d'appui à la gestion des ressources humaines communales dans une perspective qui vise à renforcer les fonctions de pilotage des élus, même si au plan opérationnel la conduite de la démarche reste du domaine des services administratifs spécialisés.

A suivre

* Inspecteur chef de la Fonction publique (ad) mis à la retraite