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Des cambistes affirment : «Les revendeurs du square Port-Saïd payent le prix de leur indiscrétion»

par Sofiane M.

La dernière rafle de police au square Port-Saïd, La Mecque du marché parallèle du change de devises, a fait couler beaucoup d’encre et de salive sur les réels tenants et aboutissants de cette opération minutieusement préparée par les services de police de la capitale qui avaient réussi, grâce à l’effet de surprise et à la rapidité d’exécution, à prendre au dépourvu les cambistes. L’opération a été menée dans le secret total.

Pourquoi après trois décennies, les pouvoirs publics lancent les policiers aux trousses des cambistes ? Plusieurs explications ont été données ces derniers jours par la presse qui semblait toutefois manquer de suffisamment d’éléments probants pour être en mesure de soutenir ses thèses. La première explication avancée par une certaine presse «bien informée» est que cette descente a été opérée dans le cadre d’une enquête sur une «banale» affaire de faux billets de banque. Une somme de 30.000 euros en petits billets aurait été découverte par les services de police. Cette «banale» affaire de faux billets de banque peut-t-elle justifier l’impressionnant dispositif de sécurité déployé par les services de l’ordre pour quadriller tout le périmètre du square Port-Saïd ? Si la réponse est oui alors pourquoi les policiers ont-ils mené une rafle à l’aveuglette embarquant tous les cambistes du square ? Les cambistes ont été auditionnés et bien sûr «fichés» par les services de sécurité. Le caractère impressionnant de cette descente policière révèle que cette opération a été planifiée à un niveau supérieur.

Aucun commissaire ni aucun divisionnaire de police n’aurait osé prendre d’assaut la place tournante du marché parallèle du change de devises qui se trouve pourtant à quelques encablures du siège de la Sûreté nationale. Autre question : si le marché parallèle du change de devises n’est plus toléré par les pouvoirs publics alors pourquoi les autres places fortes de ce marché à Oran, Constantine et Annaba ont-elles été épargnées à ce jour ?
 
«IL N’Y A PAS UN SEUL FAUX BILLET SUR LE MARCHE»

De gros bonnets du marché parallèle de change de devises se confient au Quotidien d’Oran. Ils soutiennent que les petits revendeurs du square Port-Saïd payent aujourd’hui le prix de leur indiscrétion. Ils vont jusqu’à affirmer qu’aucun faux billet de banque ne se trouve actuellement sur le marché parallèle. Pour nos interlocuteurs, la descente opérée récemment par les services de sécurité d’Alger a tout l’air d’une expédition punitive contre les petits revendeurs qui ne respectent plus l’accord tacite avec les pouvoirs publics et n’hésitent plus à exhiber dans la rue des liasses de billets en dinars et en devises. «Les petits vendeurs du square ont commis un péché capital : l’ostentation. L’étalage indiscret de liasses de billets dans la rue agace les pouvoirs publics qui ne se sont pas fait prier pour exprimer leur mécontentement», lance ce «grossiste» du marché parallèle de devises rencontré dans un magasin discret à Oran. Pour s’introduire dans le milieu fermé et bien structuré des «grossistes», il nous a fallu être recommandés par un homme de confiance des gros bonnets. Il est difficile de se faire admettre dans ce milieu. Les grossistes qui se livrent souvent à des opérations prohibées par la réglementation (transfert de devises vers l’étranger, change parallèle…) sont sur leurs gardes. Nos interlocuteurs semblaient au courant de tout ce qui se passe sur le marché parallèle de change de devises. Ils sont catégoriques : «aucun faux billet de banque ne se trouve sur le marché parallèle. C’est notre réputation qui est en jeu». La devise de ces grossistes est simple : «prudence, confiance et discrétion». Contrairement aux préjugés que certains ont sur le marché parallèle, ce milieu est bien structuré. Les cambistes sont tenus de respecter des règles bien définies pour être admis dans ce milieu. «Il y a dans notre milieu un code d’honneur à respecter. Notre première règle c’est la prudence. Le contrôle est effectué en amont pour déjouer toute tentative d’injecter des faux billets dans le marché. La quasi-totalité de nos fournisseurs sont des retraités qui perçoivent leurs pensions en euros dans les banques publiques. Les cambistes ne doivent pas traiter, sauf cas de nécessité absolue, avec des émigrés clandestins pour éviter que des faux billets soient injectés, par mégarde, dans le marché. Nous avons aussi des appareils équipés de lumière UV pour détecter les faux billets», se félicitent nos interlocuteurs tout en pointant un appareil équipé d’une lumière ultraviolet posé sur le comptoir. Passer un billet de banque sous la lumière UV est une méthode infaillible pour détecter un faux billet. Sous la lumière violette le billet fonce et certaines parties deviennent vertes. En particulier, le drapeau européen ou la signature du représentant de la Banque centrale européenne. En plus de ces précautions en amont, des contrôles a posteriori sont menés et tous les cambistes sont alertés dans le cas où des faussaires tentent de déjouer la vigilance des petits vendeurs. «Personne n’a osé à ce jour se présenter devant un cambiste pour écouler des faux billets», lance tout confiant ce cambiste. Il ajoute que nombre de ces collègues disposent d’une expérience de 20 ans dans ce métier. Certains ont même hérité le métier de père en fils. Nos interlocuteurs lancent d’un ton affirmatif : «injecter un faux billet dans le marché parallèle est une mission impossible». Dans ce marché parallèle de change de devises il n’y aucune place à l’anarchie. «Tout le monde se connaît et sait ce qui se passe. Si quelqu’un est repéré avec un faux billet, l’alerte est donnée sur le champ. Il est systématiquement banni du circuit», déclare ce cambiste.

«LE MARCHE PARALLELE EST UNE CREATION DES POUVOIRS PUBLICS»

Les cambistes assurent que le marché informel de change de devises est une création des pouvoirs publics qui ont tout fait pour pousser les Algériens à se rabattre sur le marché parallèle pour se procurer les précieux euros. «Tout d’abord, le marché est alimenté par les pensions de retraite versées en euro par les banques publiques. Si les pouvoirs publics voulaient en finir avec ce marché parallèle, il leur suffisait de verser les pensions en dinars. Il y a aussi le montant dérisoire de l’allocation touristique (130 euros) qui est octroyé une seule fois dans l’année à nos ressortissants qui désirent se rendre à l’étranger, alors que nos voisins tunisiens ont droit à une allocation annuelle de 2.500 euros soit l’équivalent de 6.000 dinars tunisiens, les Marocains ont droit, deux fois par an, à 3.000 euros soit l’équivalent de 40.000 dirhams et les Libyens 4.000 dollars. Ce montant de 130 euros ne suffit même pas pour payer une nuitée en pension complète dans un hôtel respectable en France. Il faut savoir aussi que pour postuler à un visa pour la France il vous faut au moins avoir 1.200 euros dans un compte devises. Le comble est que vous pouvez passer les frontières avec 7.500 euros «déclarés» mais sans justifier l’origine de cet argent qui, comme tout le monde sait, est acheté sur le marché parallèle. Le gouvernement bloque aussi depuis des décennies les agréments pour la création des bureaux de change», confient nos interlocuteurs. Abordant la question de la création des bureaux de change, les cambistes restent sceptiques. Ils estiment que la délivrance des fameuses autorisations par la Banque d’Algérie ne suffira jamais pour l’ouverture de bureaux de change. «La principale entrave à la création de bureaux de change en Algérie n’est pas l’absence d’autorisation, mais la gestion bureaucratique de nos banques publiques. Des bureaux de change ne peuvent fonctionner sans la conclusion de conventions avec les banques publiques pour alimenter ces bureaux en devises et en dinars. Vous croyez qu’il existe des banques publiques qui acceptent d’approvisionner quotidiennement des bureaux de change en devises et en dinars ? Nous avons de nombreux clients qui disposent pourtant de comptes bancaires en devises dans nos banques, mais qui se trouvent souvent contraints de s’approvisionner sur le marché parallèle à cause des procédures bureaucratiques ou des ‘‘pénuries’’ d’euro savamment orchestrées par certaines banquiers», déclarent nos interlocuteurs.

L’EURO SE FAIT RARE

La descente spectaculaire des policiers dans le square Port-Saïd a eu pour effet de créer une tension dans le marché parallèle. On assiste même à une pénurie de la monnaie de l’Union européenne. L’euro se fait de plus en plus rare chez les cambistes. «Le marché s’est affolé après la descente policière au square Port-Saïd, mais le taux de change s’est stabilisé actuellement. L’euro est acheté à 158,50 dinars pour être vendu à 159,50 soit une marge bénéficiaire de 100 dinars par 100 euros», affirme ce cambiste. Le marché informel tourne au ralenti. «Nous travaillons la peur au ventre. Les fournisseurs habituels du marché en euro sont sur le qui-vive. Nombreux patientent pour vendre leurs euros en attendant d’y voir plus clair», conclut ce cambiste.