Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

SOLEILS NOIRS

par Belkacem Ahcene-Djaballah

TEMPS ENSOLEILLE AVEC FORTES RAFALES DE VENT. Roman de Marie-Christine Saragosse. Editions Media-Plus, Constantine 2014, 245 pages, 1.000 dinars

L'Algérie racontée simplement, presque honnêtement par un pied-noir de Philippeville... Skikda comme l'ont toujours appelée les Algériens («une jolie petite ville blanche au bord de la Méditerranée»), un futur prof de sports. Né à à la fin des années 30 (avec, on le chuchote en fin de repas le dimanche, du sang kabyle dans les veines car, une grand-mère paternelle, toujours à cheval et carabine à la hanche, menant son domaine «à la baguette», se serait «laisser aller» dans sa jeunesse avec «le chef de l'armée d'ouvriers agricoles») et ayant grandi dans sa ville natale toutes les années 40 et les années 50?Jeune lycéen encore insouciant, il avait «vécu» le 20 août 56 un événement qui lui fait prendre réellement conscience du fossé qui sépare les communautés algérienne et pied-noir. Au départ, celle-là était «invisible», sauf de manière anecdotique (le cireur, le porteur de couffin, la femme de ménage?). L'autre vivait sa vie, «belle et tranquille». Tout a une fin. N'empêche, on ne se débarasse pas facilement de l'Algérie. Il est vrai qu'il a une femme, elle aussi fille de «colons», mais versés dans l'industrie, toujours à Philippeville. Assez libre d'idées, engagée, sympathisante du peuple algérien. Militaire durant la guerre de libération, il «vit» la guerre et les dérives. En famille, après juillet 62, il y reste encore deux années en tant qu'enseignant «coopérant». La vie est encore plus belle. Puis, c'est le départ final de toute la famille au sud de la France. Une autre vie. Le même soleil. Mais, celui de France, bien que vif, n'a pas la même chaleur, celle qui gomme les déprimes, les coups de colère, les rides, les problèmes... Elle ne fait qu'entretenir une pression toujours contenue, en attendant l'explosion. La maladie, l'âge, la retraite n'arrangent pas le cours des choses... Heureusement qu'il y a l'amour ...des autres...pour les autres... Pour le pays natal surtout. Ça, ce n'est pas exprimé !

L'Algérie ! un pays qui marque, une chaleur qui manque. La «nostalgérie» est une maladie (non répertoriée) qui tue doucement, encore et encore...Hier. Aujourd'hui. Toujours.

L'auteur : Elle est née en Algérie en mars 60. Un grand-père piémontais ayant fui Musssolini, mais mis en prison au Sahara durant la 2è Guerre mondiale par les pétainistes. Elle n'a connu la France (Nice) qu'en 64. Elle a grandi dans le Sud de la France?puis une belle carrière dans le secteur de la Communication et de la Diplomatie jusqu'à devenir présidente de France Médias Monde (Fr 24, Tv 5 Monde, Monte Carlo Daouliya). De Skikda, elle en conserve la lumière, le soleil.

Avis : Ça fait de la pub' à ma ville natale... et, comme c'est écrit clairement et simplement, c'est amplement suffisant pour vous conseiller de la lire sans trop vous attarder sur la «nostalgérie». D'autant que bien d'autres problèmes, surtout sociétaux, communs à tous les humains, sont abordés avec un point de vue qui aide à mieux comprendre la vie des «autres».

Extraits : «La peur, je me demande si ce n'est pas le plus sordide des sentimens humains. Ça fait perdre son estime de soi, sans laquelle on ne vaut plus grand-chose. Ça permet l'engrenage absurde de la violence. On s'empêtre dans les émotions. On est aveuglé par l'indignation et le désir de vengeance. Et, par-dessus tout, on devient bête, une bête». (p 36) « Dans la vie, pour être peinard, il fallait éviter de se trouver à une intersection frontale entre la politique et l'individu» (p 40). «C'est tellement fragile, un souvenir, et on en a tellement besoin pour vivre «(p54). «Les gens à qui tu rends service, derrière les remerciements de façade, souvent ils t'en veulent. C'est comme si tu les avais humiliés en les aidant, surtout s'ils en avaient vraiment besoin. Tu les a vus en état de faiblesse. S'ils peuvent, ils te le font payer» (p 95). «Le pognon, c'est bien connu, les enseignants n'en ont pas des masses puisqu'ils ont des vacances et que le temps, c'est de l' argent, donc que les vacances, c'est du salaire» (p141). «La tragédie personnelle, ce n'est pas forcément grandiloquent, ça se trame au quotidien, autour de petits riens, comme la vie même»(p 145).

LES FRANÇAIS D'ALGERIE.

Essai de Pierre Nora. Edition revue et augmentée. Avec un document inédit (lettre à l'auteur)

de Jacques Derida ainsi qu'un dossier critique avec des articles d'époque de Jean Lacouture, Albert-Paul Lentin et Germaine Tillon.Hibr Editions,Alger 2013, 340 pages, 650 dinars.

Hibr Editions,Alger 2013, 340 pages, 650 dinars.

Au commencement était l'Algérie. Deux ans de séjour. Puis, il publie à son retour en France un article («J'étais professeur en Algérie»), son tout premier, dans ...France -Observateur (l'ancêtre du Nouvel Observateur ) lancé alors par Jean Daniel, un natif de Blida, transfuge de l'Express)... le 27 octobre 1960, le jour même de la première grande manif de l'Unef à Paris, contre la guerre et qui s'était heurtée à de violentes charges de police. Au côté de Jean-François Revel. Rencontre avec l'éditeur Bourgois? «On sent que vous avez beaucoup plus à dire !» La suite est connue. Un essai va naître, vite transformé en livre. Il a donné d'ailleurs lieu à moult polémiques et réactions dont la plus volumineuse et lumineuse est celle de Jacques Derrida (un Juif d'Algérie, séfarade «affranchi» libéral)

L'esprit de l'essai est clair : décrire à travers une population un système (colonial) vivant de sa dénégation et d'une prétention nationale...

«enfermant un million de Français dans une forme d'immobilisme historique suicidaire au regard de la dynamique arabo-musulmane, dans un rapport de maître-esclave, de haine-amour, d'attachement passionnel à la fois à une métroppole où beaucoup n'étaient jamais allés, et à cette Algérie natale de leur enfance...». Un complexe jamais décrit comme tel auparavant, saisi dans son «enkystement mental»? par l'historien juste «à l'heure où il mettait la France au bord du gouffre et au ban des nations»? Conclusion : «une situation coloniale de ce type ne pouvait se convertir pacifiquement en indépendance nationale».

L'auteur : Juif askhénaze («émancipé»), il a connu l'Algérie en 1958 et y avait séjourné deux années, après son agrégation d'histoire, en enseignant au lycée Lamoricière d'Oran (devenu par la suite Pasteur). Grand éditeur, spécialiste des «lieux de mémoire», membre de l'Académie française depuis 2001, actuel compagnon de Anne Sinclair, il s'était opposé à la loi française, néo-colonial(iste) et revencharde, du 23 février 2005 portant «reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés».

Avis : lecture nécessaire à tous ceux qui veulent et doivent «déconstruire» l'histoire coloniale de la France... pour en «décoloniser» là où il faut, et scientifiquement, tous ses pans, sans exception, et la traiter, enfin, avec objectivité. Un grand absent du livre, noté d'ailleurs par J. Derrida dans sa fameuse lettre : «le Fln, ceux qui le soutiennent et qu'il guide». Il est vrai «qu'à lui (?), la gauche française ne s'adresse, directement, presque jamais. C'est peut-être dommage».

Extraits : «La guerre d'Algérie a creusé le fossé entre la politique et les intellectuels et contribué, chez ces derniers, à la formation d'une communauté consciente d'elle-même, au-delà de ses divisions» (p 30). «Le racisme apparaît, à plein, en période de crise et les cris de mort des femmes françaises d'Alger, en décembre 1960, ne firent que traduire un sentiment profond et permanent. C'est que la colonisation est intimmement liée au racisme». (Introduction, Charles-André Julien, p 57). «La nation algérienne s'est forgée dans la lutte qui lui a donné conscience de son originalité et de son unité »(Introduction, Charles-André Julien, p 61). «Le seul lien commun entre tous les immigrants français et européens (en Algérie) fut une psychologie de déclassé vis-à-vis de leur propre nation. A un titre ou à un autre, tous ceux qui vinrent s'installer en Algérie avaient une vie manquée derrière eux» (p 105).

DECOLONISER L'HISTOIRE. Introduction à l'histoire du Maghreb.?suivie

de Le Message de Yougourtha. Préface de Zahir Ihadaden. Essai de Mohamed Chérif Sahli. Quipos Editions, Alger 2014, 245 pages, 700 dinars

Un seul livre, deux œuvres...deux en un ! Une initiative originale mais heureuse car elle réunit deux «histoires» (l'Histoire de l'histoire coloniale de l'Algérie...et l'Histoire de quelqu'un, un héros bien de chez nous, un homme qui a fait tout un pan de l'histoire du pays... Mais, hélas, dont on ne retient plus que le nom... comme prénom )

Dans une première partie (ouvrage paru en 1966...chez Maspéro... en France) qui tient bien plus de l'analyse critique et de l'essai, Mohamed Chérif Sahli... un grand homme de culture, malheureusement mal connu de son vivant par les nouvelles générations d'historiens (qui, il est vrai, ont des approches soit orientalistes, simplistes et politisées, soit occidentales, mais complexes car s'enfermant dans des schémas trop rigoureux), Sahli donc, esquisse une méthode (qui a fait notre bonheur en tant qu'étudiants dans les années 60 et 70) : il nous apprend à démonter bien des documents d'historiens occidentaux afin de démontrer les parti-pris... comme si tout était fait pour décrire un paysage et une société incapables de favoriser l'émergence d'une souveraineté nationale et une nation indépendante. En accusant la nature, la géographie... On a eu, aussi, les «histoires» (parfois des légendes) de lutte continuelle entre sédentaires et nomades ; ces derniers transformés en «nihilistes et pillards» s' acharnant à détruire «le labeur patient» des sédentaires.

La seconde partie (ouvrage paru en 1947...déjà) est présentée opportunément par l'historien Zahir Ihaddaden, comme une sorte d'exercice pratique. Le héros, un résistant infatigable aux tentatives d'occupation romaine du pays (de toute la région, avec au départ l'inimitié entre Carthage et Rome...deux impérialismes), un vrai fils du Maghreb, est la preuve de l'incarnation d'une mentalité et d'un comportement «forgés par l'exercice de la souveraineté nationale depuis bien des siècles antérieurs». Des noms fulgurants, avec des héros et des traîtres aussi, ont traversé le temps et se sont incrustés dans la mémoire collective (sauf chez nos nouveaux prophètes) : Syphax, Massinissa («l'Aguellid Amokrane», «le grand roi» des vieux contes kabyles), Asdrubal,Mastanabal (le père de Yougourta), Miscipsa, Imastanabal, Gulussa, Adherbal, Hiempsal, Massiva, Boulmicar, Boucchous...

L'auteur : 1906-1989... Né à Bejaia (Tasga) diplômé de philosophie(1932), ami de Laheraf et de Kateb Yacine (qui, de passage à Pékin, lui dédia un de ses poèmes), il consacre sa longue vie à l'étude, à l'enseignement, à l'écriture, au journalisme, à la lutte pour l'Indépendance du pays, à la diplomatie (de 1957 à 1962 avec le Gpra, puis ambassadeur de 1966 à 1978) ce qui lui permis de renconter les grands révolutionnaires de l'époque.

Avis : Un classique, ça se lit. Ça se relit. Et, ça se conserve. Avec le temps, sa valeur ne fera que croître, aujourd'hui et demain -en ce temps de dé-construction incontournable de l'histoire coloniale qui a tout (ou presque tout) fait pour légitimer le fait colonial- bien plus qu'hier.

Extraits : «Chaque fois que le malheur a voulu nous marquer de son sceau, nous avions toujours imprimé à notre destin le chemin de la résistance et celui de l'honneur» (p 15). «La connaissance de l'histoire ne permet pas seulement à l'homme de se libérer de son passé. Elle l'aide aussi à comprendre ses problèmes et à saisir le sens de son devenir» (p173). «L'histoire ne se répète pas, mais elle progresse, parce qu'il y a une certaine continuité dans les aspirations fondamentales de l'homme» (p 175). «Dans un pays libre, l'existence et la diversité des partis expriment l'existence et la diversité des classes sociales (...). Mais, dans un pays opprimé, toutes les couches sociales, à des degrés différents, subissent le même joug» (p 290).