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Du projet du statut de l'enseignant chercheur

par Mohammed Beghdad

Parmi les points que le syndicat CNES (Conseil national des Enseignants du Supérieur) revendique, demeure sans aucun doute celui de l'amendement du statut de l'enseignant chercheur qui n'a pas changé d'un iota depuis sa promulgation en mai 2008 et dont l'application date du 1er janvier de cette même année.

Si aujourd'hui ce texte revient à la une des revendications, ceci s'explique principalement par la multiplication des diplômes et ces divers doctorats ainsi que par l'érosion des salaires obtenus il y a plus de 7 années maintenant.

En effet, on ne sait plus où donner de la tête avec le doctorat d'Etat (avant 1998), le doctorat en sciences (décret 1998) et le dernier doctorat tout court du système LMD (Licence-Master-Doctorat du décret 2008) qui est venu bousculer avec toute sa panoplie, notamment son master et sa licence. On note qu'il n'est pas encore question de recrutement aujourd'hui du master mais l'effet d'entraînement et le mouvement de masse et de la pression estudiantine vont certainement le provoquer dans les années à venir sinon ce sera le doctorat pour tous. Ce n'est donc que partie remise.

La gestion des flux, seul véritable souci des autorités, mène inéluctablement vers un véritable goulot d'étranglement surtout que ni le master ni sa jeune sœur, la licence LMD, ne trouvent preneur sur le marché de l'emploi avec le chômage aidant. Puisque tout le monde est à l'arrêt, on veut faire tous master puis doctorat quitte à piétiner davantage les rudiments de la pédagogie au détriment de la qualité. Selon le principe de la mondialisation, un étudiant en licence, en master ou en doctorat, sorti de nos universités aurait le même niveau d'instruction et les mêmes compétences que son homologue européen ou américain. En toute âme et conscience, je ne sais pas ce que cela donnerait comme résultat mais, s'il vous plait, pas de langue de bois. Il est question de l'avenir et de l'indépendance de tout un pays.

C'est l'une des raisons essentielles pour lesquelles le syndicat des enseignants du supérieur a appelé, au cours de cette semaine, à un mouvement de protestation avec un arrêt de travail de 3 jours (14, 15 et 16 avril) si l'on se fie à sa dernière déclaration de ce 10 avril. L'instance suprême, qu'est son conseil national entre deux congrès, reste en session ouverte et reprendra sa session dès la fin de ce mouvement afin d'évaluer la situation et de prendre ensuite les décisions qui s'imposent avec l'appel à une éventuelle grève ouverte dans le cas où le ministère concerné ignorerait ses légitimes revendications, comme on le lit dans ce même communiqué et également à travers les médias.

Ce qui retient l'attention, c'est surtout le projet du statut de l'enseignant chercheur dont j'ai reçu, il y a à peine 3 jours, la mouture du ministère, dans ma boîte aux lettres électronique, qui m'a été adressée par un envoi de la section syndicale de l'Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou qui, en passant, est devenue, ces derniers temps, le fer de lance de ce syndicat et un de ses principaux animateurs sur le terrain en lui insufflant un nouveau souffle et qui retrouve, par ricochet, une nouvelle dynamique. Cette section est certainement prédestinée, avec d'autres bien sûr, à un rôle fondamental pour la reconstruction et le renforcement du syndicalisme universitaire en particulier.

Revenons au premier point de discorde que constitue cet avant-projet du statut et que le CNES rejette à travers ses instances et notamment par le biais de son coordinateur national. Ce dernier affirme que le texte n'a aucun rapport avec celui qui a été négocié avec sa tutelle (El Watan du 13 avril 2015). Il a déclaré qu'il y a même régression par rapport au présent statut. Cependant, on ignore si des procès-verbaux avaient sanctionné ces discussions sur les amendements sur lesquels ils s'étaient convenus.

Quelles sont alors les révisions de ce projet qui ont fait réagir brusquement ces derniers jours le syndicat du secteur ? Pour une première lecture, on va citer quelques points que je suis arrivé superficiellement à relever. Le premier est l'introduction du doctorat LMD dans les critères de recrutement et de promotion de certains corps des enseignants. Avec l'arrivée sur le marché de recrutement de fournées de ce nouveau diplôme, le rapport de force ne sera plus le même et tournerait au cours du temps à son avantage avec l'extinction des autres diplômes. A mon avis, c'est le premier prétexte de cet éventuel remaniement du statut.

L'autre innovation qui concerne les Maîtres de conférences de classe B (MCB), en plus séparément des critères antérieurs, est l'introduction du travail pédagogique pour l'accès au même grade de classe A (MCA). Il suffit dorénavant de 4 années d'exercice en qualité d'enseignant chercheur en plus d'une production pédagogique avérée, validée par des organes compétents qui seront définis par un arrêté ministériel. On note cette apparition de ces nouveaux organes dont les compétences seraient certainement pédagogiques. Ceux-ci ressemblent en quelque sorte à une Commission universitaire Nationale (CUN) bis qui va constituer un autre parcours du combattant. On n'est pas encore là mais espérons que la bureaucratie serait bannie à jamais.

Quant au grade de professeur, il est scindé en deux grades distincts, l'actuel professeur deviendrait automatiquement professeur de classe A (Pr. A), tandis que celui de classe B (Pr. B) serait destiné à tous les MCA en poste actuellement. On constate que, que ce soit pour le professeur A ou B, mis à part quelques très légères modifications dans les prérogatives translatées de l'ancien vers le nouveau grade, seule l'appellation a changé : le MCA se mue en Pr. B et le Pr. se transforme en Pr. A.

La preuve par 9 est la paie du traitement de base qui ne changerait pas d'un sou sauf pour le nouveau MCA (1200 points) mais qui se sentirait lésé par rapport à son prédécesseur dans ce même poste (1280 points). Sa chance serait d'avoir déniché une case vide (subdivision 5) dans l'échelle de la Fonction publique. Ce qui poserait de vrais casse-têtes pour les autres infortunés. Je ne crois pas que la Fonction publique serait prête à sauter le verrou de la 7ème subdivision car, me semble-t-il, c'est ce blocage de l'échelle de la hors-catégorie qui aurait plombé toutes ces promotions de grades. Le reste serait sans changement comme le dit bien la formule chère aux concepteurs des textes juridiques.

À moins qu'on pense dans un avenir proche à rectifier le tir de cette lacune par un changement du régime indemnitaire avec l'ajout d'une indemnité de compensation comme celle qui est prévue pour le professeur émérite ou par l'intermédiaire de la valeur du point indiciaire qui est fixé jusqu'au jour d'aujourd'hui à 45 DA et qui n'a pas bougé effectivement depuis le 1er janvier 2008 (date de l'application de tous les statuts particuliers de la Fonction publique). Pourtant, dans le second aliéna de l'article 8 du décret n° 07-304 du 29 septembre 2007 fixant la grille indiciaire des traitements et le régime de rémunération des fonctionnaires, il est question d'établir par un autre décret les critères déterminant son évolution. Ces paramètres devraient être évidemment basés sur les indices économiques et sociaux du pays. 8 années après, on doit se poser continuellement la question pourquoi empêche-t-on ce décret de voir la lumière ? Pour cela, le chemin doit passer obligatoirement par un décret présidentiel, chose qui serait presque invraisemblable en ce moment, sauf soubresauts ou cas exceptionnels.

On ne conclut pas ce papier sans rappeler le cas du malheureux MCA qui prétendait au grade de professeur et qui était occupé durant toutes ces années à accumuler et à préparer son volumineux dossier administratif, pédagogique et scientifique. Il devrait malheureusement revoir sa copie. Puisque, dans le projet du décret, une fois signé, il est reversé, j'allais dire fatalement, dans le grade de Pr. B et de surcroît sans aucune incidence financière, mais il devrait encore moisir en séjournant au moins 5 autres années en cette qualité de Pr. B avant de pouvoir soumettre son dossier devant la CUN. Et si encore ses travaux antérieurs à ce grade virtuel vont pouvoir être comptabilités ou bien verrait-il le compteur remis à zéro. Si aucune disposition transitoire n'est prévue à ce sujet, la double sanction est assurée d'office. En outre, si l'on croit à cet imprévu, cette commission va-t-elle chômer durant les 5 années à venir dans le cas où ce projet verrait le jour ? Encore une autre énigme à résoudre, à moins que je me sois trompé de lecture.

Au vu de l'actualité présente, d'autres lectures profondes de ce texte vont nous enrichir et nous éclairer davantage, et que je n'ai point approché dans ce modeste écrit. Je laisse le soin à d'autres auteurs sur les questions que je n'ai pas abordées ici, plus particulièrement celles des assistants qui végètent encore au niveau des salaires dans la catégorie 13 et qui sont pour la plupart retraitables. Des enseignants dévoués à la cause pédagogique qui se sont sacrifiés pour le terrain et sur lesquels a reposé durant de longues années le socle de l'université algérienne. Sans oublier bien sûr le corps des maîtres-assistants qui rassemble le plus gros effectif des enseignants du supérieur et sur lesquels il est nécessaire de revenir plus longuement.

Un tel projet de texte de statut devrait être discuté et décortiqué, en sus des partenaires sociaux représentatifs du secteur, à travers les instances dont dispose le ministère de l'Enseignement supérieur au sein de l'ensemble de ses établissements universitaires (Comités pédagogiques, comités scientifiques, conseils d'administration, etc.) et aussi par les organes nationaux existants (Conseil d'éthique et de déontologie, les CUN, les comités pédagogiques nationaux, etc.). Lorsqu'on pond un texte, il devrait sortir des entrailles afin d'éviter toutes les failles possibles.

Sources :

-Décret exécutif n° 08-130 du 3 mai 2008 portant statut particulier de l'enseignant chercheur.

-Décret exécutif n° 10-252 du 20 octobre 2010 instituant le régime indemnitaire de l'enseignant chercheur.

-Décret présidentiel n° 07-304 du 29 septembre 2007 fixant la grille indiciaire des traitements et le régime de rémunération des fonctionnaires.