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Les États-Unis et l'Europe cherchent-ils à imposer une austérité au monde ? Un processus de guerre monétaire en marche entre les puissances ?

par Medjdoub Hamed *



Un appel d'économistes, où figurent de nombreuses personnalités (1), une soixantaine environ dont Jacques Genereux, Sciences Po Paris, François Morin, professeur émérite, Dominique Plihon, université Paris 13, les Premiers ministres Rocard et Jospin?, a été lancé en France, contre la finance et l'austérité.

Et ce sentiment est ressenti dans beaucoup de pays occidentaux. En Europe (France, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Portugal, Italie, Grèce?y compris en Allemagne), au Canada, l'austérité et le chômage amènent les peuples à manifester, parfois avec violence. Mais rien n'y fait. Le Cap sur l'austérité est maintenu par Bruxelles et l'Allemagne.

Même des ministres en exercice manifestent, à l'image d'Arnaud Montebourg, l'ex-ministre de l'économie et du redressement productif qui, soutenu par Lionel Jospin, a lancé ce pavé, en avril 2013, contre Bruxelles : « La politique d'austérité imposée par l'Europe est-elle soutenue par nos concitoyens ? La réponse est non ! ». Une année passée, il a été débarqué du gouvernement Valls pour ses prises de position contre l'austérité (2).

Dans notre précédente analyse (3), on avait cité des économistes et prix Nobel tout aussi connus pour leurs prises de position contre l'austérité, comme Philipe Murer, professeur de finance à la Sorbonne, Bernard Marris, professeur des universités à l'Institut d'études européennes de l'université Paris-VIII, membre du conseil général de la Banque de France, Joseph Stiglitz, prix Nobel en économie. Les arguments que ces économistes et anciens hauts fonctionnaires de l'Etat tenaient contre les politiques d'austérité ne nous paraissaient pas convaincants. En effet, « préconiser des politiques anti-austéritaires simplement parce qu'elles dopent la croissance est très insuffisant, eu égard aux enjeux qui divisent le monde. Elles n'expliqueraient pas pourquoi les Banquiers centraux occidentaux étaient réticents et prudents sur la donne monétaire. De plus, avec la baisse des cours pétroliers de plus de 50%, l'austérité et la déflation qui l'accompagne s'étendent aussi aux autres parties du monde. » Ce qui nous paraît trop simple le recours à des politiques anti-austéritaires (keynésienne).

Non seulement leurs argument ne tenaient pas la route mais on avait dit que si ceux qui s'opposaient à l'austérité étaient à la place de Mario Draghi ou de Djanet Yellen, respectivement gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE) et gouverneure de la Réserve fédérale américaine (Fed), ils auraient certainement procédé à la même politique monétaire, en confortant alors la chancelière allemande, Angela Merkel, et la Commission européenne sur la politique économique menée en Europe.

Au-delà de ces prises de positions, il y a une nécessité de comprendre pourquoi les pouvoirs politiques en Europe maintiennent le cap sur l'austérité. Pour certains politiques européens, il s'agit pour les pays européens de regagner de compétitivité face aux pays émergents, en particulier à la Chine. Ce qui se traduit par ce que les économistes appellent « une dévaluation interne » par le biais de la baisse des salaires et de la protection sociale. Comme les dévaluations monétaires ne peuvent plus jouer, en raison de la monnaie unique, la dévaluation par les coûts salariaux et sociaux remplit les mêmes effets et agit au cas par cas pour les pays de la zone euro.

Une question se pose : « Comment regagner de compétitivité si les politiques d'austérité menées n'engendrent que l'austérité et la contraction de la demande, donc une stagnation économique ». D'autant plus qu'avec la baisse des cours pétroliers aujourd'hui, l'austérité en Europe s'étend aux autres parties du monde. Le problème de la croissance donc ne se pose pas seulement à la zone euro, à l'Amérique et à la Chine, mais à l'humanité entière. Comment alors comprendre ce processus en marche ?

1. TOUJOURS LES ANNEES 1980 REVIENNENT POUR COMPRENDRE LES ANNEES 2010-2015

Il faut rappeler les mesures récentes prises par la Fed américaine en 2014. Dès décembre 2013, la Réserve fédérale américaine a commencé à réduire son quantitative easing (QE3), c'est-à-dire sa politique d'assouplissement monétaire non conventionnelle, en ramenant son programme de rachats d'actifs de 85 milliards de dollars par mois à 75 milliards de dollars. En décélérant depuis cette date, à raison de 10 milliards de dollars par mois, le QE3 a pris fin en octobre 2014. Aujourd'hui, la Fed est en train d'attendre le moment propice pour commencer à relever le taux d'intérêt directeur. Tous les marchés dans le monde (américains, européens, asiatiques?) sont tenus en haleine et craignent une hausse du taux américain. Et la Fed elle-même a des craintes sur la décision à prendre, et temporise parce qu'elle sait les conséquences du relèvement du taux d'intérêt directeur qui risquent de survenir et qui ne sont pas bonnes pour l'économie américaine, et encore moins pour l'économie mondiale.

La Banque centrale européenne a au contraire pris le relais des quantitative easing délaissés par la Fed. Le 22 janvier 2015, elle a annoncé un programme d'achats d'actifs que tout le monde attendait et que le gouverneur, Mario Draghi, avait préparé les esprits depuis longtemps. A compter du mois de mars, l'institution de Francfort injectera chaque mois 60 milliards d'euros dans l'économie européenne, via un programme de rachat d'actifs qu'elle a baptisé « Extended Asset Purchase Plan » (EAPP). Ce programme doit durer un an et demi, jusqu'à fin septembre 2016, et le prolonger si nécessaire. Evidemment, ce rachat d'actifs va se traduire par « une augmentation du bilan de la BCE d'environ 1100 milliards d'euros ». Les rachats porteront sur des créances privées, notamment la dette bancaire, mais aussi sur les obligations d'Etat (dettes souveraines) qui font ainsi leur entrée dans l'arsenal monétaire.

« Les emprunts d'Etats sont le seul actif liquide présent en abondance dans les bilans des banques et de l'ensemble des institutions financières. La BCE n'avait d'autre choix, dans le cadre d'une politique de relance monétaire qu'elle veut massive, que de faire appel à ces dettes souveraines », souligne Dominique Barbet, responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas.

Sur ce QE européen, dans notre analyse précédente (3), on avait posé les questions suivantes : « La BCE crée-t-elle réellement des liquidités monétaires (planche à billet) ? Et si la création des 60 milliards d'euros par mois, dans le cadre du QE de 1100 milliards d'euros annoncé le 22 janvier 2015, et aujourd'hui en application, n'est qu'apparente, et qu'en réalité la BCE ne fait que transférer des excédents financiers d'un pôle à l'autre. Et on avait dit que nous aurons à le démontrer. »

Pour comprendre, il faut se rappeler les années 1980 lorsque la Fed a augmenté le taux d'intérêt directeur et fermé le robinet monétaire. Que s'est-il passé, à cette époque ? Ces mesures scellaient la fin de la politique monétaire expansionniste américaine. Ce qui a entraîné des conséquences considérables dans le monde. Vu les échecs qu'ils ont enregistrés durant cette décennie, échec au Vietnam, reflux des forces américaines et l'URSS avançait ses pions, les États-Unis ont refusé de jouer leur « rôle de locomotive mondiale ». En asphyxiant les pays du reste du monde sur le plan monétaire par la forte hausse des taux d'intérêt (autour de 20%) et en procédant des restrictions monétaires massives, ils ont provoqué un formidable endettement mondial. La suite nous la connaissons. La raréfaction des crédits et la hausse des taux d'intérêt en Occident, en faisant exploser l'endettement dans le monde, ont amené les pays d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Asie, endettés, à subir des programmes d'ajustement structurels draconiens sous l'égide du Fonds Monétaire International. Les pays exportateurs de pétrole, touchés par le contrechoc pétrolier de 1986, et qui ont vu leurs réserves de change laminées par la crise et on recouru à l'endettement, se retrouvèrent à leur tour à subir le « traitement de choc » du FMI.

Quant aux pays européens, qui étaient confrontés entre 1979 et 1985 à la forte hausse des cours du pétrole (deuxième krach pétrolier), ils se sont trouvés aussi pris au piège. Devant la raréfaction des crédits américains, les pays européens ne pouvaient plus dupliquer les crédits américains. Le robinet monétaire étant fermé, toute injection monétaire américaine était strictement affectée aux besoins de leur économie, et en réduisant drastiquement l'inflation.

Les pays européens étaient tenus de suivre la politique monétaire américaine, puisque le dollar se posait comme monnaie-centre du système monétaire international. Dès lors que les États-Unis avaient diminué les liquidités internationales, les pays européens, confrontés à la hausse des prix du pétrole (krach pétrolier en 1979), se sont trouvés dans l'impossibilité d'arrêter la monétisation de leurs déficits commerciaux (planche à billet). Contrairement aux Américains qui étaient privilégiés par le dollar en tant que monnaie de facturation des transactions pétrolières des pays de l'OPEP, ce qui constituait les contreparties physiques à leurs émissions monétaires. La forte hausse des taux d'intérêt de la Fed qui a épongé les liquidités mondiales en dollars a procédé à une forte contraction de la masse monétaire américaine dans le monde. En continuant seuls à augmenter la masse monétaire (création monétaire ex nihilo) pour répondre au triplement des cours pétroliers qui a suivi le krach pétrolier, les pays européens ont vu leurs monnaies se déprécier fortement sur les marchés monétaires. Qui fonctionnent, faut-il rappeler, sur le principe de l'offre et la demande de monnaie. Plus une monnaie est rare, plus elle s'apprécie, plus elle est en excès, plus elle se déprécie.

C'est ainsi que « la valeur du dollar en franc et en deutschemark a plus que doublé en 1985 par rapport au cours de 1980. Le dollar est passé de 4,03 Frs en janvier 1980 à 10,11 frs en mars 1985. Le dollar est passé de 1,72 DEM en janvier 1980 à 3,11 DEM en mai 1985. » (4)

2. LES LEVIERS QUI ONT PERMIS DE STABILISER LE SYSTEME FINANCIER ET MONETAIRE INTERNATIONAL ENTRE 2008 ET 2014

Et que se passe-t-il aujourd'hui pour l'Europe ? Tout d'abord, bien que la situation économique et financière ait beaucoup changé, nous avons toujours le problème du cours du pétrole qui se pose au centre des enjeux qui divisent les puissances. En particulier pour l'Europe.

Pour cause, un simple constat sur les des dix dernières années, fait ressortir que la facture énergétique de la France a pratiquement triplé, passant de 23 milliards en 2003 à 66 milliards de dollars en 2013. Même situation pour l'Allemagne. L'alourdissement de la facture énergétique des pays européens renvoie au renchérissement du pétrole et ses dérivés, lié au quadruplement des cours du pétrole (pétrole Brent : d'une moyenne annuelle de 28,9 dollars en 2003 à 108,6 dollars par baril en 2013).

Cette augmentation s'est également répercutée sur les prix du gaz, indexés sur le prix du pétrole. Pour la France, par exemple, le creusement du déficit commercial de 43 milliards de dollars constitue plus de la moitié du solde commercial sur la période.

Cependant la majorité de la facture pétrolière étant libellée en dollar, l'appréciation de l'euro a permis de réduire pour au moins un tiers les montants affectés au règlement des importations européennes. Pour un taux de change 1,35 dollar/euro (ou 0,74 euro/dollar), le creusement des 43 milliards de dollars du déficit commercial par la facture pétrolière de la France s'est atténué de près d'un tiers lorsqu'il est exprimé en euro. Il n'est plus que de 31,82 milliards d'euros. Les importations pétrolières facturées en monnaie autre que le dollar sont aussi réduites environ d'un tiers puisque le prix du pétrole exprimé en dollar reste toujours le prix-référence dans les transactions internationales. Donc exprimé en roubles, en couronnes norvégiennes ou autres, l'avantage d'un euro fort sur l'atténuation de la balance énergétique ne changerait pas.

Et tous les pays européens voient leurs déficits commerciaux liés aux dépenses pétrolières. On comprend alors pourquoi, et pas seulement l'Allemagne, la France, l'Italie, et tous les pays consommateurs de pétrole, ont privilégié l'euro fort pour précisément dégonfler partiellement leurs factures pétrolières. Ce qui limitait leurs déficits extérieurs (balances courantes).

Or, aujourd'hui, la situation de la zone euro sur le plan pétrolier s'est inversée. La chute des cours depuis l'été 2014 a permis aux pays européens d'enregistrer des gains considérables sur le plan financier. Alors, la réponse vient d'elle-même, « Plus besoin d'un euro fort ! » Ce que l'on a constaté d'ailleurs sur les marchés, l'euro a commencé à se déprécier au fur et à mesure que la chute du prix du pétrole progressait.

D'un sommet en juillet 2014 à 1,3688 dollar pour un euro, la monnaie européenne a chuté à un bas à 1, 0557 dollar pour un euro. (4) La question que l'on peut poser légitimement : « Pourquoi l'euro s'est déprécié ? Puisque la baisse des cours du pétrole se traduit par un excédent commercial pour les pays européens. » Or une dépréciation monétaire du taux de change euro/dollar signifie une contraction de la masse monétaire européenne en circulation et dans les portefeuilles des banques, ménages, etc., dans le monde, précisément par la dépréciation de l'unité monétaire. Le produit M (masse) par l'unité monétaire (l'euro qui se déprécie) engendre une diminution intrinsèque de la valeur de la masse monétaire européenne en Europe et dans le monde. Autrement dit, il s'est opéré « une destruction monétaire ».

Pour comprendre cette destruction monétaire, il faut se référer au processus monétaire qui a eu cours aux années 1970 et 1980 lors des krachs pétroliers. Lorsque les États-Unis furent confrontés à la crise financière de 2008 suivie de la Grande Récession, ils n'eurent d'autres choix que d'injecter massivement des liquidités pour sauver le système financier national et relancer l'économie américaine. Ce qui s'est traduit par de nombreux plans de sauvetage et de relance. Que des politiques d'assouplissement monétaire non conventionnel ont servi et que l'on peut énumérer : QE1, QE2, opération twist et QE3.

Ces milliers de milliards de dollars injectés sur les marchés monétaires ont impacté fortement à la baisse le dollar face à l'euro. Pour ne donner qu'une indication, les formidables injections monétaires américaines, au plus haut de la crise en juillet 2008, ont poussé l'euro à 1,60 dollar, malgré que les transactions pétrolières facturées en dollar jouent comme contreparties physiques à la création monétaire ex nihilo, puisque, à cette même date, le prix du baril de pétrole a atteint un pic de 147 dollars. Cela n'a pas suffi, et une forte hausse des prix s'est étendue aux matières premières et alimentaires

L'Europe, à son tour, répondait à la création monétaire américaine par une duplication monétaire à la fois pour dégonfler l'appréciation de l'euro, ce qui nuisait à ses exportations, et procéder aussi à financer des plans de sauvetage et de relance puisqu'elle était touchée par la crise des subprimes (créances hypothécaires à risque).

« Sans les injections ex nihilo par duplication face aux plans de sauvetage, de relance et des programmes de rachats d'actifs américains, l'Europe n'aurait pu opérer ses plans de sauvetage, de relance, de mise en œuvre du Fond européen de stabilisation financière (transformé ensuite en Mécanisme européen de stabilisation). » Précisément ces injections monétaires ex nihilo ont permis de dégonfler le taux de change euro/dollar. Un euro, sans ces injections, aurait coté 1,80 dollar, 2 dollars, à des valeurs inconnues impossibles à admettre et mettrait l'économie européenne en péril.

On peut comprendre pourquoi la duplication monétaire ex nihilo en Europe, « adossée comme aux États-Unis à l'augmentation de la dette publique », a été nécessaire, puisqu'elle a permis de limiter l'appréciation de l'euro. Le taux de change euro/dollar évoluant dans une fourchette entre 1,25 et 1,52 dollar, pour la période de 2009 à 2013. A partir de l'été 2014, il a commencé à se déprécier pour se situer en moyenne, en décembre 2014, à 1,233 dollar.

Au final, trois leviers ont joué pour la stabilisation du dollar américain, et donc sauvé le système financier et monétaire international. Les plans de sauvetage, de relance et programmes d'achats d'actifs américaine et européens, les contreparties physiques (hausse des prix du pétrole, de l'or, des matières premières et alimentaires) et l'appréciation du taux de change euro/dollar.

3. LA BCE A-T-ELLE INJECTE EX NIHILO 60 MILLIARDS D'EUROS DANS LE CADRE DU QE DU 22 JANVIER 2015 ?

On comprend dès lors l'importance de la duplication européenne et la hausse des prix du pétrole dans le processus de stabilisation de l'économie mondiale.

Mais, dès lors que le prix du baril de pétrole a chuté de plus de 50%, le levier de la duplication monétaire en Europe n'est plus nécessaire. Opérer une politique open-market par la BCE, c'est-à-dire retirer des liquidités en échange des titres de dettes n'est pas possible pour la simple raison que l'institution monétaire de Frankfort a besoin de ces titres de dettes à des fins stratégiques que nous aurons à expliciter.

D'autre part, on ne doit pas perdre de vue qu'une bonne partie des liquidités issues des QE américains émis depuis 2008 ainsi que des différents Fonds de sauvetage et de relance européen (LTRO, etc.) ont pris la direction des pays émergents et des pays exportateurs de pétrole, en particulier des pays du Moyen-Orient. Ces pays ont accumulés des excédents commerciaux considérables, et forcément leurs réserves de change ont augmenté. La Chine, par exemple, détient plus de 4 trillions de dollars. Alors que les États-Unis, l'Europe et les autres pays occidentaux croulent sous le poids de l'endettement.

Or, avec la hausse de l'emploi, la Fed américaine, à la fin de l'année 2014, a terminé avec l'assouplissement monétaire non conventionnel. Ce qui signifie que non seulement la duplication n'est plus nécessaire en Europe, le pétrole a baissé et la Fed a arrêté les QE, ce qui astreint la BCE à ne plus procéder d'émission monétaires autres que celles nécessaires aux transactions strictes à l'économie européenne. Dès lors, « le gain financier retiré de la chute du pétrole doit être détruit puisqu'il résultait de la duplication monétaire ».

La Banque centrale européenne doit procéder à une contraction monétaire. Et comme cette contraction ne peut s'opérer pour les raisons invoquées supra, celle-ci restera à la charge des marchés financiers qui corrigeront à la baisse du taux de change de l'euro. Ainsi cette dépréciation de l'euro aura permis la correction de la masse monétaire, et le maintien de l'inflation dans la zone euro inférieure à la valeur requise de 2%.

Qu'en est-il alors du quantitative easing annoncé le 22 janvier et applicable depuis mars 2015 ? Il est clair que la dépréciation de l'Euro a permis aux pays européens pour les uns d'engranger des excédents commerciaux et pour d'autres de réduire leurs déficits (exportations moins chères et prix du pétrole bas). D'ailleurs, il faut souligner que l'euro s'est apprécié en début d'avril 2015, et a culminé jusqu'à 1,0955 dollar le 7 avril 2014, alors que la BCE avait injecté au mois de mars 60 milliards d'euros.

Des injections monétaires, si elles étaient émises sur fond de création monétaire (planche à billet), auraient dû au contraire entraîner une dépréciation de l'euro au lieu d'une hausse. La seule explication qui apparaît est que l'injection monétaire opérée par la BCE, et que beaucoup pensaient que l'institution monétaire aurait recours à la planche à billet, en réalité, s'est faite sur la base de la hausse des excédents commerciaux notamment de l'Allemagne, et des pays nordiques.

Les pays du reste du monde ont dépensé plus de monnaies pour leurs importations en provenance d'Europe contrairement à la zone euro qui a profité de la baisse de l'euro pour doper ses exportations. Et c'est ainsi que l'euro s'est renchéri sensiblement début avril 2015.

4. UNE AUSTERITE QUI NE RESTE PAS CONFINEE A L'OCCIDENT MAIS «ETENDUE A L'ENSEMBLE DU MONDE»

Au-delà des textes juridiques qui régissent le fonctionnement de la Banque centrale européenne ainsi que son indépendance, on ne peut perdre de vue que son existence est tributaire des 19 Etats qui constituent la zone euro. Et ce sont ces Etats qui lui donnent force de loi pour la gestion monétaire de la zone. L'indépendance de la BCE est donc toute relative, elle n'est indépendante que si les États s'entendent pour qu'elle le soit. Mais, dans la réalité, et malgré les textes juridiques, l'indépendance est tout autre, la BCE subit les pressions des grandes puissances européennes, en particulier l'Allemagne, la France en second, ensuite vient l'Italie, et ce sont donc les pays qui ont les grandes parts du capital de la BCE qui sont les plus influents.

Au final, la BCE s'érige en établissement (organe) intermédiaire entre les Etats et applique les instructions des gouvernements européens surtout des plus influents. Ce qui est normal, la BCE ne peut aller à l'encontre des États. On comprend d'ailleurs pourquoi l'Allemagne a un grand poids dans les décisions de la BCE. Et pourquoi cette institution a son siège à Frankfort, en Allemagne, et non en France ou en Italie. Ce qui n'étonne guère comme d'ailleurs la nouvelle institution monétaire des pays émergents en Chine, ou la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont leurs sièges à Washington, aux États-Unis. C'est le fait du prince ou du plus puissant.

Aussi peut-on dire que le quantitative easing de 2015 lancé par la BCE a requis l'aval de l'Allemagne, premier moteur de la zone. Et des trois moteurs suivants : la France, l'Italie et l'Espagne. Surtout que cet assouplissement monétaire permet quatre objectifs majeurs.

- 1. Augmenter la cohésion de l'Union monétaire européenne

- 2. Investir les excédents commerciaux de la zone euro entre les Etats membres qui ont besoin de capitaux pour financer leurs économies, contre des titres de dettes publiques et privées

- 3. Rentabiliser les placements des pays excédentaires

- 4. Enfin le quatrième objectif, et celui-ci est stratégique pour l'avenir de l'Europe, et l'Occident entier, c'est l'augmentation du bilan de la Banque centrale européenne. Que nous aurons à expliciter.

Evidemment, le problème de la chute du prix du pétrole et la nouvelle politique monétaire américaine qui se veut restrictive et infère sur l'Europe obéit certainement à des objectifs géostratégiques et géoéconomiques majeurs.

Elle nous rappelle étrangement « la situation économique mondiale des années 1980 ». Non pas par un endettement des pays du reste du monde, mais par un « désendettement de l'Occident ». En d'autres termes, les États-Unis comme l'Europe cherchent, via une austérité mondiale, à laminer les réserves de changes accumulées par les pays émergents et exportateurs de pétrole.

Et ce processus ne peut s'opérer que si l'« austérité ne reste pas confinée au seul Occident mais étendue à l'ensemble du monde ». La question qui se pose : « Les États-Unis et l'Europe pourront-ils éliminer les déséquilibres macroéconomiques, surtout avec la Chine ? »

Il est aussi visible que tout ce branle-bas monétaire occidental à l'échelle mondiale doit être compris surtout à destination de la Chine qui engrange les plus grandes réserves de change du monde. Une véritable guerre monétaire silencieuse est en marche entre les pays émergents et l'Occident. Tels sont les grands problèmes de l'heure aujourd'hui et des années à venir pour le monde.

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective.

www.sens-du-monde.com

Note :

1. « Appel des économistes pour une VIe République, contre la Finance et l'Austérité ». 19 avril 2013. www.mediapart.fr/

2. « La charge de Montebourg contre l'austérité suscite des remous », 10 avril 2013, http://www.lemonde.fr/

3. « Une « déflation en Occident nécessaire » nonobstant les souhaits des économistes et prix Nobel », (11ème partie), par Medjdoub Hamed, le 30 mars 2015. www.sens-du-monde.com, www.lequotidien-oran.com, www.agoravox.fr

4. Données recueillies sur le site www.fxtop.com

5. « L'« attaque baissière du baril de pétrole 2014-2015 », une stratégie de haute voltige des États-Unis dans une volonté de revanche sur l'Histoire ? » (10ème partie), par Medjdoub Hamed, 26/03/2015. www.sens-du-monde.com, www.agoravox.fr

6. « Le dollar US et les « Forces historiques inattendues ». Irruption et nécessité du pétrole, un catalyseur anti-crise », (9ème partie), par Medjdoub Hamed, le 21 mars 2015. www.sens-du-monde.com, www.lequotidien-oran.com, www.agoravox.fr