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L’emblématique essor des zones économiques spéciales

par Akram Belkaïd, Paris

Dans une livraison récente, l’hebdomadaire The Economist est revenu sur ce qui fut -et qui visiblement reste- l’un des emblèmes de la mondialisation (*). Il s’agit des zones économiques spéciales (ZES, en anglais special economic zones, ou SEZ) que l’on désigne aussi parfois par l’expression «zones franches». Ce sont de véritables enclaves -parfois même des villes- où les législations nationales, notamment fiscale et sociale, ne s’appliquent pas afin d’attirer l’investisseur étranger. Au début des années 1990, chaque pays qui entendait signifier au monde qu’il entrait de plain-pied dans la globalisation se devait d’avoir « sa » zone économique spéciale, voire plusieurs.
 
UN SUCCES TRES CONTRASTE
 
L’hebdomadaire rappelle ainsi que l’intérêt pour les ZES (la première a été créée en 1959 en Irlande) provient surtout du succès de la zone de Shenzhen où le gouvernement chinois a testé -avec le succès que l’on sait- son ouverture économique au début des années 1980. Une réussite qui s’est imposée comme une référence en la matière. En 1990 on ne comptait ainsi qu’un demi-millier de zones de ce type. Elles sont aujourd’hui 4300 et les projections établissent qu’elles devraient rapidement atteindre le chiffre de 5000 tant sont nombreux les projets en cours, qu’il s’agisse de pays africains, du Qatar, du Myanmar ou même du Japon qui promet des « zones révolutionnaires ».

Mais ce que reconnaît The Economist c’est que la grande majorité de ces zones spéciales sont des échecs. Si des localisations comme Jebel Ali à Dubaï sont de véritables réussites, c’est loin d’être le cas partout. Annoncées à grands renforts de publicité, ces enclaves n’attirent pas toujours les investisseurs, victimes le plus souvent d’un mauvais positionnement géographique, d’un manque d’infrastructures ou bien encore d’une bureaucratie trop envahissante. Parfois aussi, elles entrent en compétition avec les économies locales -plus régulées qu’elles- et peuvent même servir d’outils pour blanchir de l’argent (via des factures d’exportation gonflées).

Le plus intéressant dans l’affaire est l’une des conclusions de The Economist quant à cette situation d’échec relatif. Pour lui, certains pays se trompent en pensant qu’il suffit d’avoir une ZES pour doper son économie (ce qui est vrai) et que le mieux serait… d’étendre la législation spéciale à tout le pays. En somme, les zones franches n’auraient d’intérêt que si elles préfigurent ce que sera le monde de demain. C’est-à-dire un monde avec des recettes fiscales qui ne cessent de baisser et avec des législations sociales réduites à leur strict minimum. Car, ce que ne dit pas le grand chantre du néolibéralisme c’est que dans une ZES sur deux, les syndicats ne sont pas autorisés…
 
DES ZONES DE NON-DROIT SOCIAL
 
De fait, on parle beaucoup du scandale des paradis fiscaux qui servent, entre autre, à priver nombre d’Etats de recettes fiscales qui leur reviennent mais on n’aborde guère la question de ces zones franches et de ce qui s’y passe. En 2011, après la chute du régime de Ben Ali, l’opinion publique tunisienne a découvert, parfois avec surprise, la manière inacceptable avec laquelle se comportaient certains employeurs étrangers à l’égard de leurs ouvriers, notamment dans le secteur du textile. De tels exemples sont légion et concernent le monde entier. Une fiscalité minimale, pas ou peu de syndicats, des infrastructures financées par l’argent public au service des investisseurs (et au détriment d’autres dépenses comme celles de l’éducation), des productions et des services tournés vers le marché extérieur -trop souvent sans lien avec l’économie locale : les ZES sont bel et bien l’emblème de la dérégulation triomphante et mériteraient peut-être un peu plus d’intérêt…

(*) Special economic zones, not so special, 4 avril 2015.