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Sur le commerce extérieur, Amara Benyounès réinvente les années 1970

par Abed Charef

Une conférence nationale pour booster les exportations. L'idée est séduisante, mais inutile, car les mêmes hommes, avec les mêmes méthodes, ne peuvent changer l'économie du pays.

Amara Benyounès a placé la barre très haut. Pour bien marquer son territoire et affirmer sa volonté de remettre de l'ordre dans le commerce extérieur, le ministre du Commerce a déclaré que cette question relève de la «souveraineté nationale». Il n'y a pas de tabou pour M. Benyounès, qui a laissé clairement entendre qu'il était prêt à revoir l'accord d'association avec l'Union européenne et celui de la zone arabe de libre-échange (ZALE) si cela s'avère nécessaire pour rétablir les équilibres extérieurs du pays. Cette détermination affichée ne va pourtant pas le mener bien loin, car M. Benyounès n'a ni la légitimité ni l'expertise nécessaires pour dessiner une alternative à ce qui se fait sous le règne du président Bouteflika. La conférence sur le commerce organisée à cet effet, lundi et mardi, montre bien les limites de ce que veut engager le ministre du Commerce, qui affiche beaucoup de bonnes intentions, sans avancer réellement. Ses premières initiatives montrent même qu'il va à contre-courant de l'histoire, dans sa volonté de réhabiliter des méthodes tellement archaïques qu'elles en deviennent suspectes. Comme premières décisions, suggérées bien avant cette conférence, M. Benyounès a en effet annoncé l'installation de groupes de travail pour mettre en place des licences d'importation ! C'est un retour de quarante ans en arrière, quand le dogme de l'Etat entrepreneur était tout-puissant, et que les Algériens étaient considérés comme des sujets de l'activité économique, non comme des acteurs. Comment distribuer ces licences, à qui en confier la gestion, comment en contrôler l'exécution ? Autant de questions insolubles, particulièrement avec l'administration actuelle, minée par la corruption et les passe-droits. A moins que M. Benyounès ne cherche tout simplement à prendre en main lui-même le droit de gérer ces passe-droits.

MEMES HOMMES, MEMES METHODES

Dans la présentation de la conférence de cette semaine, des thèmes très sophistiqués sont énoncés. On trouve, par exemple, un débat sur «La stratégie nationale et la politique de développement et de de promotion du commerce extérieur», ou encore un second thème «Instruments d'appui et de promotion du commerce extérieur», ainsi qu'un prometteur exposé intitulé «Environnement du commerce extérieur et cadre législatif». Parmi les intervenants, on retrouve, aux côtés de M. Benyounès, le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, le ministre des Finances Mohamed Djellab, celui de l'Agriculture Abdelouahab Nouri, le gouverneur de la Banque d'Algérie Mohamed Laksaci, l'inévitable Abdelmadjid Sidi-Saïd, ainsi que des grands patrons de groupes publics et privés. Autrement dit, les mêmes hommes qui gèrent l'économie depuis des années, selon la même logique distributive. Ils n'ont jamais osé une mesure quelconque pour mener le pays vers d'autres sentiers, ceux de la production, de la croissance, de la création de la valeur ajoutée, que tout le monde chante mais dont tout le monde se détourne quand il s'agit de poser correctement les équations.

Tout ce monde a d'ailleurs découvert les vertus de l'exportation lorsque les prix du pétrole se sont effondrés. Du jour au lendemain, ils ont été amenés à réfléchir sur de nouvelles réformes. Chacun y est allé de son idée, plus ou moins farfelue, comme celle du retour aux licences d'importation. Comme s'il était possible d'inverser l'évolution du solde de la balance commerciale sans toucher aux archaïsmes de base de l'économie algérienne.

DEFAILLANCES

Il faudra probablement attendre la prochaine revue de l'économie algérienne avec les équipes du FMI pour que M. Benyounès se rende compte de l'inutilité de ses projets. Mais il peut gagner du temps, s'il consent à écouter un ancien ministre des Finances, proche de M. Bouteflika: «tout le monde sait ce qu'il faut faire, mais tout le monde sait que cela ne se fera pas sous Bouteflika», a confié cet ancien ministre à un de ses proches.

Les experts du FMI et de la Banque mondiale, les économistes algériens indépendants, le collectif Nabni, tout le monde a une idée plus moins précise de la voie qu'il faut emprunter, malgré des divergences sur les rythmes, les séquences et les priorités. Ils peuvent en dire un mot à M. Benyounès, qui se rendra alors compte qu'il est impossible d'agir sur l'économie algérienne dans la conjoncture actuelle, sans lever l'hypothèque politique. Il faudra normaliser la vie politique et la vie économique en même temps.

Peut-être même faudra-t-il commencer par le volet politique. En tout état de cause, rien ne peut se faire sans une démarche globale, avec toutes ses cohérences, pour réorienter l'économie algérienne dans des délais raisonnables, en payant un prix raisonnable.

L'ECUEIL DU DINAR

En attendant, si M. Benyounès est pressé, il peut regarder du côté du dinar. Il peut se demander pourquoi la fameuse Renault Symbol, fabriquée à Oran, sera difficile à vendre en Algérie, et encore plus difficile à exporter lorsque l'Algérie en fabriquera plus que ce que peut absorber le marché algérien. Il se rendra alors compte que la parité du dinar a un rôle central dans le processus.

Le dinar est surcoté pour faciliter l'importation et acheter la paix sociale. M. Benyounès peut faire de la valeur du dinar un point de départ du nouveau dispositif à mettre en place, de manière progressive, pour tenter de faire en sorte qu'acheter un téléviseur, un véhicule ou de la dalle de sol, fabriqués partiellement en Algérie, soit plus attractif que d'acheter des produits importés.

Pour l'heure, toutefois, deux éléments font défaut pour espérer se lancer dans cette direction. Il manque à l'Algérie un pouvoir suffisamment légitime pour s'engager dans cette aventure, et il lui manque l'ingénierie nécessaire pour manager le projet.