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Lettre du président : sincérité, coup de poker ou panique au sérail ?

par Abdellatif Bousenane

La lettre inédite du président de la république, à l'occasion de la journée de la Victoire a attiré beaucoup d'attentions. Elle nous révèle, en fait, plusieurs enseignements sur le champ politique algérien.

Après un silence de plus de 20 ans, lors de son traversé du désert, puis un discours conciliant et apaisant pendant ses 3 mandats précédents, le président est passé à l'attaque pour la première fois. Il a haussé le ton d'une manière fracassante !

Afin d'appréhender cette question, on peut construire plusieurs hypothèses plausibles.

1 UNE DIVERGENCE DE POINTS DE VUE AU SOMMET DE L'ÉTAT ?

S'égare celui qui croit que le régime algérien est un et indivisible, il y a plusieurs institutions, plusieurs tendances idéologiques. Les hommes sont très différents, par leurs psychologies, leurs formations, leurs cultures politiques, leurs régions... etc. Cette hétérogénéité rend ce pouvoir l'un des moins accessibles parmi les pays du Sud et très peu intelligible pour beaucoup d'observateurs internationaux. Malgré les critiques qu'on peut formuler à son égard, force est de constater que sa nature, qu'on peut qualifier, aussi, d'opaque, lui donne, paradoxalement, une solidité certaine. Dans l'actualité, la plus récente, on a vu comment des régimes arabes tombent, l'un après l'autre, au bout de deux à trois semaines de manifestations populaires ! Ce constat peut divulguer, néanmoins, des divergences de points de vue, sur plusieurs dossiers épineux, comme la souveraineté « intérieur » de l'État qui est menacée par des lobbies de l'argent locaux qui forment une extension d'un réseau international ultralibéral, très puissant voulant accaparer les États-Nations du monde entier. Après avoir trahi son « code d'honneur » et malgré toutes les difficultés dont il souffre à travers le monde, ce système basé sur la domination sauvage par les milliards est en train de gagner du terrain, dans les pays, anciennement liés au bloc de l'Est où l'État-social résiste toujours.

Sans oublier, bien évidement, les dossiers du gaz de schiste, les grèves à l'Education nationale, et la gestion de l'impact du choc pétrolier sur notre économie... etc.

Dès lors, on peut s'interroger, si l'administration Bouteflika a changé de cap, en privilégiant un courant sur d'autres ?

2- LES OPPOSANTS FONT-ILS PEUR?

Au-delà des petites tactiques et stratagèmes politiciens, très peu probants, qui mettent en doute la capacité du président à gérer les affaires de l'État, en évoquant la vacance du pouvoir, la réaction des opposants n'a pas trahi leurs obsessions habituelles qui tournent autour, grosso modo, du lynchage médiatique. Faisant de l'insulte, les petites phrases et les attaques personnelles et même physiques, une posture qui vise à déstabiliser et faire perdre à l'homme fort du système son sang-froid habituel. Est-ce qu'en haïssant un homme ou des hommes, on remplacera un programme politique ? Cela constitue-t-il une alternative sérieuse ? La réponse est d'une simplicité révélée !

Toutefois, le grand «handicap» des détracteurs de Bouteflika, se trouve, effectivement, dans leur incapacité à mobiliser les Algériens. A part quelques élucubrations postées sur les réseaux sociaux, les populations sont très détachées de cette classe politique y compris les partis gouvernants.

Le peuple a-t-il compris, enfin, une vérité historique qui stipule que la problématique du sous-développement ne se règle pas, uniquement, par le changement d'un gouvernement par un autre, d'un président par un autre ou d'un programme politique par un autre, car le mal est beaucoup plus profond que cela.

Les partis de l'opposition radicale, ceux qui ne reconnaissent plus la légitimité du chef de l'État, ne sont pas les seuls à payer les frais de cette situation, mais il y a, également, les partis de l'opposition positive tels que le FFS, le parti des Travailleurs de Louisa Hanoun, le FNA, et le parti islamiste modéré de Menacera, ainsi que des personnalités comme Mouloud Hamrouch, qui ont un discours politique d'un autre niveau, marqué plutôt par la retenue dans les propos et la recherche d'un débat de fond, plus sérieux et donc plus compréhensible.

Si on contemple bien le champ politique international actuel, on est dans l'obligation d'observer que le contexte imprégné par une globalisation qui s'est transformée en un ?tsunami' qui n'épargne aucun pays. En rajoutant à cela le fiasco des mouvements dits « printemps arabe » là où on a dénombré beaucoup plus de morts, en quatre années que les décennies des dictateurs. Le phénomène troublant de Daech qui arrive à nos frontières dont le mystère de sa création et son financement restent entiers. Puis la perte de crédibilité des défenseurs de la démocratie, des Droits de l'homme et de libertés dans la civilisation dominante, à cause de leurs manœuvres, perçues par les populations du Sud comme étant des activités à caractère géopolitique qui servent les intérêts des puissants. Dans un récent sondage d'opinions de l'Institut ?Gallup', les Algériens ont été classés aux premiers rangs des peuples qui considèrent les USA comme une menace sur la paix mondiale. Ainsi donc, tous ces éléments jouent à l'encontre de la pratique politicienne, chez nous et rendent les gens très septiques, quant à n'importe quelle initiative politique.

3- CHANGEMENT DE STRATEGIE DE COMMUNICATION ?

Après 16 ans de pouvoir, dont la communication se distinguait par une démarche d'apaisement, de sang-froid et de hauteur de vue perçue, à tort ou à raison, par les « anti » comme étant une arrogance et un mépris de la part de l'ancien bras-droit du défunt Président Houari Boumediene, à l'égard de la classe politique et des médias nationaux, peut être sommes-nous en train de vivre un tournant vers une communication beaucoup plus offensive, qui rend, à l'autorité publique, sa détermination de récupérer sa prépondérance, chère aux commis de l'État. Et montrer, ainsi, le visage d'un animal politique, certes blessé, mais qui devient, naturellement, beaucoup plus menaçant !

4- COUP DE GUEULE SINCERE ?

Les hommes d'État sont des hommes comme tous les autres. Ils ont leurs faiblesses, leurs défauts, leurs qualités, leurs honneurs et leurs sentiments. Bref, ils ont, tous, les traits humains universels. On peut imaginer, tout simplement, que le président a «craqué» devant la quantité gigantesque d'insultes et accusations gravissimes qui touchent ses proches et qui met en cause, par conséquent, son intégrité et son honneur.

5- COUP DE POKER ?

Peut-être, cette lettre ne serait qu'un coup de poker d'un fin politique pour bluffer ses adversaires dont le but ultime est de connaître les vrais des faux, les plus radicaux des plus modérés, les plus sincères des plus manipulateurs ! Pour analyser, également, la réaction des cercles influents de l'ancien colonisateur ainsi que celle de l'empire dominant.

Enfin pour conclure, à l'opposé des prophéties catastrophistes, visiblement, la situation générale du pays ne semble, à mon sens, pas si affolante que ça, puisqu'il n'y a pas de vrais signes inquiétants. À l'instar des pays du monde l'Algérie vit, simplement, ses difficultés, ses échecs comme ses réussites mais d'une manière, beaucoup, plus passionnelle et excessive !