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Consternant : les scores du Front national

par Pierre Morville

Le Front national, xénophobe et antirépublicain s'inscrit dans le paysage politique comme l'une des trois principales formations politiques.

Consternant. Les dernières élections départementales en France ont conforté le Front national comme troisième composante politique durable de la vie politique française. Le parti de Marine Le Pen regroupe aujourd'hui le quart de l'électorat français (25,24% des voix). D'après les chiffres du ministère de l'Intérieur, le Front national a cumulé 5,1 millions de voix au premier tour du dimanche 22 mars, soit près de 430.000 voix de plus qu'en mai 2014, date des élections européennes où le FN avait déjà gagné la place de 1er parti en nombre de voix : le parti frontiste avait alors enregistré 4,7 millions de voix.

Arrivé en tête dans la moitié des départements français, le Front national n'a pas perdu l'espoir de diriger pour la première fois un exécutif départemental. Selon les décomptes de France.tv-info, une victoire du FN est encore possible dans cinq départements : le Vaucluse, le Gard, l'Aisne, l'Oise et le Pas-de-Calais.

Outre que le score du FN (aux alentours de 25%) confirme la fidélisation de son électorat, on constate qu'il se forge des bastions, au-delà des départements du Sud-est, terres anciennes de conquête. Ses résultats dans la France du Nord sont impressionnants: il arrive en tête dans l'Aisne (38,7%), dans l'Oise (35,2%), dans la Somme (35,2%), et surtout dans le Pas-de-Calais (36,5%), historiquement fief ouvrier et socialiste. « Ils valident la stratégie de Marine Le Pen, d'autant que l'implantation du FN fait tache d'huile dans des terres déshéritées, oubliées par la crise, notamment dans le bassin parisien: en Champagne, par exemple, il dépasse les 30%. Les départementales confirment le frontisme des campagnes qui devrait aussi alerter l'UMP et l'UDI », analyse Christian Delporte, universitaire.

LE FN : UN QUART DES ELECTEURS

Marine Le Pen dépasse le Parti socialiste qui résiste mal, aux alentours de 21% des électeurs mais elle n'a pas réussi à dépasser la droite traditionnelle : l'alliance passée entre l'UMP, le parti de Sarkozy, et l'UDI (centriste) ont permis à ses listes d'obtenir 27,5% des électeurs.

Cette stratégie d'union de l'UMP et de l'UDI a certainement payé: elle se traduira dimanche prochain par la conquête, sans doute, de plus de 60% des départements.

A gauche, c'est la désunion la plus complète. Manuel Valls, le Premier ministre avait fait du Front national, le principal ennemi. Tactique électorale stupide et inefficace. Le FN fait plus de voix que son propre parti, le PS. Le Premier ministre français se rengorge néanmoins en signalant partout dans les médias que les résultats du FN sont inférieurs aux sondages qui précédaient l'élection. Vaste réussite?

Certes, les élections intermédiaires, à mi-mandat sont toujours l'occasion d'un vote sanction contre les gouvernements en place. 70% des jeunes de 18 à 25 ans, ainsi, n'ont pas voté.

Les résultats électoraux montrent surtout un ras-le-bol général et le vote pour le Front national est souvent un moyen jugé efficace par les électeurs de manifester leur mécontentement : dans un sondage paru en début de semaine, 44% des Français souhaitent que le Front national sorte renforcé des élections départementales. Pour l'UMP, 59% souhaitent son affaiblissement et 41% son renforcement. Enfin, concernant le PS, 31% souhaitent son renforcement et 69% son affaiblissement? Consternant.

Le Front national a donc réussi à fédérer le vote protestataire. Ce que n'a pas réussi à faire la « Gauche de la Gauche », Front de gauche et Ecologistes qui, unis, réalisent de scores parfois honorables mais largement insuffisants au niveau national.

ALORS POURQUOI UN TEL VOTE SANCTION ?

Tout d'abord parce que depuis le début de la crise économique de 2008/2009, les grandes formations politiques traditionnelles, UMP/UDI, Parti socialiste n'ont pas réussi à trouver de réponses efficaces au marasme économique. La France est dorénavant rentrée dans une phase de déflation, le cauchemar de tous les économistes : baisse des prix, baisse de la consommation, croissance nulle, aggravation du chômage. La réponse à une crise qui a d'abord été causée par les spéculations folles d'un capitalisme financier a été, après l'injonction massive par les Etats de capitaux pour sauver de la banqueroute des établissements financiers spéculateurs, une austérité générale imposé aux citoyens. Bref ! Ce n'est pas aux actionnaires de payer leurs erreurs mais aux contribuables. Avec des résultats surprenants : l'indice boursier français, le CAC 40, multiplie actuellement les records mais le pouvoir d'achat moyen des Français baisse depuis dix ans. Consternant.

Si les Français ont élu, bonne surprise mais surprise, François Hollande, c'est qu'ils espéraient un peu/beaucoup, une autre politique. Mais s'il y a bien une constante dans les gouvernements qui se succèdent, c'est le maintien de la même politique d'austérité libérale : baisse obsessionnelle des déficits budgétaires, réduction de l'intervention de l'Etat dans l'économie, baisse des coûts salariaux, baisse de la protection sociale, injection massive de capitaux publics aux « entrepreneurs » sous forme d'aides aux entreprises, sans bien sûr, aucune contrepartie. Au résultat ? Les impôts et contributions augmentent mais l'on constate depuis plusieurs années une baisse constante de l'investissement privé. Consternant.

Cette politique n'est pas spécifiquement française. Elle est imposée par l'Union européenne à ses 28 Etats membres. Le dogmatisme économique libéral est là aussi de rigueur : « Le sauvetage des banques surtout en Europe du Sud a transformé la crise du secteur financier en crise budgétaire des Etats. Grèce, Irlande, Portugal, sont toujours au bord de la faillite, note l'universitaire anglais Craig Calhoun, l'Italie commence à vaciller ». Pendant ce temps, les programmes d'austérité qui tue toute velléité de reprise de la croissance, « ils font de l'hypercorrection macroéconomique en réduisant systématiquement l'offre des services publics. Les divers dispositifs de coupes budgétaires adoptés au niveau national sont des réponses auto-imposés aux pressions du marché, et les injonctions de Bruxelles (siège de la commission de l'UE) et de Francfort (siège de la Banque centrale européenne), pour leur part, ne sont pas sans évoquer les politiques d'ajustement structurel que le FMI exigeait des pays endettés du Tiers-monde dans les années 1980. Cette pression sur les différents états membres de l'UE vise à préserver les intérêts des investisseurs », poursuit le sociologue. Consternant.

Cette politique et les décisions qui s'en suivent sont décidées dans le plus grand secret à Bruxelles et à Francfort. Et les institutions européennes n'ont que faire de l'opinion des électeurs européens. Rappelons que le 29 mai 2005, un référendum a eu lieu en France. À la question « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe ? », le « non » recueille 54,68 % des suffrages exprimés. En clair, le non exprime un refus général d'une gouvernance économique supranationale. Les partis traditionnels UMP, PS appelaient à voter « oui ». Le « non » l'a largement emporté. Les divers gouvernements qui se sont succédés (Sarkozy/Hollande) se sont soigneusement assis sur ce « mauvais vote » des Français. En clair, « on vous demande votre opinion mais si elle ne correspond pas à la notre? ».

L'Union européenne a une mauvaise image chez les Français et plus généralement dans l'Europe du Sud. Marine Le Pen l'a bien compris et, en prônant la sortie de l'euro, monnaie commune, elle a gagné beaucoup de partisans. Dans la réalité, cette sortie de l'euro serait techniquement très difficile et sur le plan économique, peu payante. Mais la gouvernance économique de l'Europe reste très contestable, d'autant que la crise économique actuelle menace la solidarité entre pays riches et pays pauvres de l'Union.

LE FRONT NATIONAL PEUT-IL DEVENIR MAJORITAIRE EN FRANCE ?

On assiste depuis plusieurs années à l'exacerbation en France d'un climat xénophobe voire raciste, entretenu par des mouvements jusque-là très minoritaires, dont l'immigration était le thème de prédilection. La crise économique actuelle, la menace terroriste renforcent ces tendances, notamment dans des régions oubliées, banlieues, petites villes de province, où la pauvreté de la population s'accroit significativement. C'est là aussi où le Front national fait ses meilleurs scores.

La France, vieille république européenne, n'a pas également manqué de tentations radicales de droite, d'extrême-droite, voire fascisantes. Si l'on prend seulement le XXème siècle, les exemples abondent : les émeutes antiparlementaires de février 1934 ont fait surgir le mouvement terroriste de « La Cagoule » ; le maréchal Pétain et tous les groupes qui le soutenaient ont collaboré avec les forces d'occupation allemandes pendant la guerre de 1939-1945 et couvert leur politique d'anéantissement des populations juives. Plus proche de nous encore, l'OAS (Organisation de l'Armée secrète), présente dans la population française en Algérie et opposée violemment à la décolonisation et à l'indépendance de l'Algérie, et le putsch de « quatre généraux félons » (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller dont trois étaient réputés « de gauche ») de l'armée française en Algérie, le 21 avril 1961, contre la République française.

Jean-Marie Le Pen était alors actif dans ces différents derniers réseaux.

Le FN, résurgence de l'OAS ? C'est historiquement en partie vrai mais, somme toute, une référence un peu lointaine.

« Le politologue Thomas Guénolé distingue quatre types de courants dans la famille d'extrême-droite française: l'extrême droite poujadiste, l'extrême droite souverainiste, l'extrême droite traditionaliste et l'extrême droite raciste. Ces quatre familles correspondent respectivement d'après lui, sous forme radicalisée, aux familles de la droite française que sont la droite libérale, la droite gaulliste, la droite morale et la droite sécuritaire » (Wikipédia).

Quand on essaie de comprendre les débats internes actuels du Front national, il semblerait que deux courants cohabitent : une extrême droite souverainiste incarnée notamment par le numéro 2 du parti, Florian Philippot, qui n'hésite pas dans une démarche populiste à piocher dans des revendications sociales des syndicats et cherche à capter des voix populaires ; une extrême droite traditionaliste et souvent raciste que peut incarner Jean-Marie Le Pen ou son ancien numéro 2, Bruno Gollnisch. « Les résultats de ce premier tour des élections départementales confirment en tout cas ce que nous disons ici depuis maintenant des années et qui se vérifie élections après élections : le magistère moral de la Caste, l'emprise de l'Etablissement sur les âmes et les consciences, appartiennent largement au passé. Comme appartient de plus en plus à un passé révolu le vote des catégories populaires en faveur d'une gauche qui s'est ralliée toujours plus avant au Parti de l'étranger, au point de se confondre avec lui », écrit ce dernier sur son blog.

Marine Le Pen, présidente de ce parti et fille de son père, fine manœuvrière navigue entre les différentes « sensibilités ».

Ces deux principaux courants souhaitent néanmoins une alliance Droite / Extrême droite, sous contrôle du Front national.

 Notons que ce parti qui n'a que très peu d'expérience de gestion économique et juridique risque très fort, là où il aura conquis des sièges municipaux ou régionaux, de tomber par incompétence gestionnaire dans une surenchère sécuritaire et raciste. Ou, plus surement, de se notabiliser. Petit élu, bon revenus?

Au-delà d'un vote protestataire et de ras-le-bol, les cinq millions de Français qui ont voté pour le FN seraient-ils prêts à cautionner de graves manquements à la République ? Ou ne comprendront-ils pas très vite que le carriérisme électoral traverse l'ensemble des partis ? Ce serait consternant mais on peut, heureusement, en douter.