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Communication politi?cienne (saison II)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Ces derniers temps, le paysage politique a l'air de s'emballer. Non pas au niveau des changements superstructurels ou systémiques, loin s'en faut, mais seuelment au niveau de la communication des gouvernants et autres décideurs politiques de l'heure.

Il est cependant vrai que les sujets de «débat» ou de combat verbal pour l'heure, par l'entremise des médias toujours à la recherche de nouvelles bien fraîches (sic !) sont en réalité bien liés à des choix de société. Pourquoi ce hiatus?ou hypocrisie ? Un problème pas toujours mis franchement sur la table du débat public, c'est-à-dire institutionnalisé. Mais, en tout cas, continuellement abordé de manière feutrée.

Des exemples ? Il n'en manque pas. Bien sûr, il ne s'agit pas de lire les organes de presse propriété publique qui, malgré bien des efforts de la part de leurs journalistes, font ce qu'ils peuvent avec ce qu'on leur laisse comme «droits» d'informer, avec ou sans carte professionnelle. Tenus par les «charges de service public», bien que n'utilisant plus ou qu'assez peu la fameuse «langue de bois», n'étant plus ces «fonctionnaires de la vérité» des années 60, 70 et 80, ils se limitent à ce que le dit service public algérien permet dans son acception officielle. De temps en temps, un commentaire, critique parfois, pas trop, mais toujours défendeur de l'«intérêt général». L'Algérie avant tout !

Il faut, surtout et avant tout , voir et écouter les télévisions «algéro-étrangères», en suivre les débats et, bien sûr, lire les quotidiens privés nationaux.

Les journalistes s'en donnent à cœur joie, parfois sans faire le tri entre l'info et l'intox, entre la nouvelle et le commentaire, entre l'analyse et le jugement, entre la critique et la polémique... C'est de bonne guerre, dit-on, dans un paysage trop longtemps manipulé, connaissant une «concurrence» devenue féroce depuis le début des années 2000 (libéralisme économique obligeant !) et paysage encore inorganisé dans bien de ses pans...avec cette tendance lourde de nos appareils à vouloir tout régenter ou organiser par le haut, et à ne pas appliquer les textes déjà existants rapidement, complètement et surtout franchement. L'intervention arrive toujours tard, très tard, trop tard, laissant ainsi la voie aux voix dubitatives ou critiques.

Mais ceux qui s'en donnent le plus à cœur joie, ce sont nos gouvernants et autres décideurs politiques de l'heure. Hommes politiques en acte ou politiciens en devenir, tous kif-kif ! Tous, sources d'information et se voulant (se croyant) faiseurs d'opinion et de décision !

On avait vu un tel «cirque» au début des années 90 avec l'ouverture démocratique, bien souvent sur les plateaux de la télévision publique ainsi que des radios publiques (seules existantes alors, en dehors des chaînes étrangères captées et très suivies). On se souvient des échanges assez vifs, mais toujours corrects, de journalistes et d'animateurs (dont certains sont «rentrés dans les rangs», d'autres se sont exilés ou changé de métier? et certains «tués» par le stress ou par d'autres hommes) avec des leaders politiques et syndicaux. Parmi ces derniers, il y en avait qui, déjà, profitant du plateau comme d'une scène de théâtre, ont «inventé» mille et une manières pour s'attirer les faveurs d'un public qui découvrait non la télé, mais la «parole libre» et des têtes nouvelles, en dehors du café-maure du coin ou de la mosquée. L'ère de la Politique-spectacle venait alors de commencer. En traînant la patte et de manière artisanale, mais elle commençait. Il n'y avait pas alors de «spin doctors» et de conseillers en communication (peut-être pour les gens du Fis-dissous ? Des Algériens importés des USA, disait-on. Info ou intox ?). Ce qui était absolument sûr, c'est que les débats restaient troujours dans la limite de la correction. On ne s'embrassait pas, on s'interpellait avec vigueur, mais rarement on n'entendait des insultes. La violence était ailleurs. Dans la rue et, un peu plus tard, dans les maquis.

Aujourd'hui, les choses ont changé. Le discours politique est devenu moins bien construit et plus rugueux. Le langage, certainement par souci de «peopolisation», est un mélange de (trop) belle langue et de mots bien de chez nous, flirtant avec le vulgaire et l'invective quand ce n'est pas avec la menace, l'accusation crue et l'insulte. On se laisse facilement aller ! Pour faire plaisir (on le croit) au bon peuple des lecteurs et des téléspectateurs?mais, surtout, pour prendre sa revanche sur les autres et sur le (mauvais) sort. Côté cour, «comment osent-ils s'en prendre à nous qui sommes les sauveurs du pays et les guides de la nation ?» Côté jardin, «pourquoi eux et pas nous ?». Telles sont les interrogations toutes simples, toutes bêtes, de l'inconscient.

Illustration la plus récente avec un exemple pris au hasard. Le tout dernier parmi les plus médiatisés. Et, il y a de quoi ! Un ministre de la République qui traite, par presse interposée (que ferait-on sans elle ?), sans les nommer, un parti, sa secrétaire générale et un de ses députés presque de «menteurs», de «manipulateurs» s'adonnant à la «clownerie politique» car ils se sont attaqués à sa politique industrielle....Et, les autres qui répondent, par presse interposée (que ferait-on sans elle ?) en le traitant de «baltagui» et de «porte-voix de l'oligarchie».

En un peu plus d'une décennie, la politique-spectacle a évolué, mais sans trop respecter (mis à part les campagnes électorales présidentielles, tout particulièrement celle du quatrième mandat qui a mobilisé la «fine» fleur de nos conseillers en com et a fait appel aux usages les plus poussés des TIC) les règles désormais établies quasi-scientifiquement et qui sont en train d'évoluer à grande vitesse au rythme infernal du développement des technologies nouvelles de la communication.

Roger-Gérard Schwartzenberg écrivait (Etat-spectacle, I/1977 et II/1999 ) que «la politique, autrefois, c'étaient des idées. La politique aujourd'hui, ce sont des personnes avec des attitudes et postures, des artifices et des illusions avec pour vitrine la télévision». Ce sont, ajoute-t-il, plutôt des «personnages». Chez nous, elle a atteint ce stade, non encore bien structuré il est vrai : la preuve ? Le succès fou rencontré par les caricatures et les billets de presse ainsi que par les émissions de télévision humoristiques qui, comme au théâtre de boulevard, font beaucoup rire le bon peuple en prenant pour «tête de turc» les hommes politiques et autres décideurs? bien plus pour leurs propos et messages rendus publics que pour leurs comportements... pour ne pas contrevenir aux règles de l'éthique et de la déontologie.

On est bien loin de Nicolas Bedos, le fils de son père, qui avait, dans une de ses chroniques de presse, traité Marine Le Pen de «salope fascisante» ou Claude Guéant de «Tête de bite sous Prozac»... mais au rythme emprunté par les communications politiques et politiciennes, toutes engagées dans un perpétuel «bras-de-fer», et certaines fois perdant les pédales, avec des «couacs» que la presse ne fait qu'exploiter, parfois maladroitement mais toujours dans «l'intérêt général», cela ne saurait tarder !