Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

In Salah ou la raison d'Etat !

par Cherif Ali

Que chacun accepte de renoncer à une partie de sa vérité pour construire une vérité collective au service du pays !

La phrase est de Ségolène Royal, ministre dans le gouvernement français, en charge de l'Ecologie qui s'est exprimée lors du démantèlement de la ZAD (zone à défendre), érigée dans la région de Sivens, dans le Tarn, par les opposants à l'édification d'un barrage hydraulique, et leur expulsion du site qui s'en est suivie.

Quelques heures plus tôt, le Conseil général de cette localité avait adopté, à la quasi unanimité, une résolution actant l'abandon du projet initial d'un barrage de 1,5 million de m3 sur le Tescou, ayant entraîné la déforestation de plusieurs hectares. Les conseillers régionaux choisissaient, alors une « retenue d'eau redimensionnée » à construire sur la « zone de projet » et, surtout, demandaient à l'Etat de « procéder, sans délai, à l'expulsion des occupants, sans droit ni titre ». Le gouvernement français, au nom de la raison d'Etat, a, aussitôt, montré sa détermination, exprimée par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, en déclenchant l'opération finale, une heure, à peine, après le vote du Conseil général. Il corrigeait, ainsi, l'image d'un pays qui avait su se montrer fort en réponse aux attaques terroristes du mois de janvier 2015, mais incapable de résoudre un conflit local du type « Sivens ».

Un Etat fort, assurément, notre pays l'est aussi, lui qui apporte sa contribution pour régler des problèmes internationaux, le Mali par exemple, ou le conflit libyen, mais à l'interne, tout comme la France, il peine à trouver des solutions, par exemple, pour le problème du gaz de schiste.

Le front intérieur du pays s'en ressent, conséquemment, au point où tout le monde s'accorde à dire que l'Algérie court le risque d'une déstabilisation, au regard des agitations à ses frontières.

L'enjeu, en apparence du moins, c'est l'exploitation du gaz de schiste avec les pour et les contre, et au centre, comme pris en otages, les habitants d'In-Salah : vie économique réduite au minimum, administrations closes, écoles fermées, tout ça par ceux qui croient, de bonne foi peut-être, contrairement à ceux qui poursuivent d'autres dessins, que « le gaz de schiste va tuer faune, flore, et individus ».

Ce n'est pas mentir, pourtant, que de répéter que bon nombre de pays européens ont autorisé et l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste. Et c'est vrai aussi que de dire que des pays comme la France ont, formellement, interdit tout recours à cette ressource.

Le gaz de schiste ! A quoi ça ressemblerait de tout arrêter sans réfléchir ? Ce n'est pas le sujet ! Et de tout continuer sans réfléchir ? Ce n'est pas la solution !

Il faut déjà ouvrir un débat, tout le monde en est convaincu, car le dialogue social est un moyen démocratique et civilisationnel de règlement de conflits. Il suppose, par définition, de nécessaires compromis, de part et d'autre, et aussi une flexibilité, dans les positions de partenaires conjuguées à une volonté de placer l'intérêt général au-dessus des intérêts égoïstes et sectaires.

C'est, d'ailleurs, l'objectif que s'est assigné l'ANP, qui a pris le relais des hommes politiques chargés de communiquer sur le sujet, dans la région, même si l'on ne connaît pas les termes de la médiation engagée avec la population d'In-Salah.

Et le gouvernement dans tout ça ? Déjà, il n'est pas exempt de reproches, lui qui a dit une chose et son contraire, concernant le gaz de schiste, même si, faut-il le rappeler, le ministre de l'Energie Youcef Yousfi a « utilisé tous les moyens possibles pour convaincre les protestataires d'In-Salah, allant jusqu'à leur proposer de ramener des experts de l'étranger ou de venir, eux-mêmes à Alger, pour débattre de la question ».

Certes, pour les «anti», le gaz de schiste est une option dangereuse pour l'environnement et son extraction met en œuvre des technologies avec un risque de contamination des nappes d'eau souterraines. Et les rendements des puits de gaz et de pétrole de schiste sont, au début, peu intéressants et non soutenus en termes de revenus.

Des experts se sont pourtant exprimés, engageant, même, leur crédibilité comme le Dr Mohamed Said Beghoul, consultant Oil & Gas-Exploration & Développement qui vient de publier, dans la presse nationale, une contribution dans laquelle il a affirmé « (?) la plate-forme saharienne est un domaine où les chances de la contamination « géologique » demeurent très limitées d'autant que la nappe albienne est située à environ 2.200 ? 2.500 m de la base des schistes ciblés. Les épaisses couches plastiques d'argile et de sel massif qui séparent l'albien du schiste, jouent le rôle d'amortisseurs de cassures et empêcheraient les fractures de se prolonger vers le haut (?) ».

Renoncer au gaz de schiste, un « don de Dieu » selon le président de la République, c'est aussi se poser la question de l'alternative qui reste à l'Algérie, pays économiquement dépendant des hydrocarbures à 97%, au moment même où la Commission européenne a décidé d'adopter, en date du 22 janvier dernier, une recommandation donnant le quitus aux pays membres d'exploiter cette ressource non conventionnelle. De ce fait, on ne peut affirmer que tous ces pays d'Amérique, les USA à leur tête, et certains pays européens, d'être peu regardants concernant la santé de leurs concitoyens !

Les protestataires d'In-Salah, lit-on dans la presse, s'apprêteraient à lever les sit-in et l'idée d'un retour à la vie normale fait son chemin, au sein de la population qui reste, toutefois, déterminée concernant son exigence de « moratoire » adressé au chef de l'Etat.

Ce dernier, dans sa lettre du 19 mars, qui a suscité pas mal de réactions, vient de réitérer la position officielle de l'Etat : « (?) il ne s'agit, pour l'étape présente, que d'exploration et non pas d'exploitation de gaz de schiste (?) ». Le propos du président est, on ne peut plus clair, et en tous les cas, il cache mal une détermination à ne pas céder sur cette question, contrairement aux belles assurances du Premier ministre.

Comme indifférents, les habitants d'In-Salah continuent d'occuper la place ?Somoud', tant « que la sonde située au PK35 n'est pas délocalisée et que le reste des équipements l'accompagnant n'est pas transféré à Hassi Messaoud », ont-ils affirmé par la voix d'un de leurs porte-parole.

A Sivens, en France, le gouvernement, exacerbé par le blocage des « zadistes » et autres écolos, a vigoureusement réagi, en mettant fin à 16 mois d'occupation du site du projet du barrage, immédiatement après le vote du Conseil régional du Tarn.

A In-Salah, il n'est pas question, pour le moment du moins, de renoncer au projet d'exploration du gaz de schiste. De plus, il n'y a pas de Conseil général à Tamanrasset et personne n'imagine, en l'état du fonctionnement administratif de nos collectivités locales, l'Assemblée populaire de wilaya (APW) voter une délibération qui « obligerait » le gouvernement d'aller à contre courant de la lettre du président de la République dans laquelle il a affirmé que « le pays a besoin, dans l'étape présente, de quantifier l'ensemble de ses ressources, notamment souterraines ».

A Sivens, la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a parlé de l'édification « d'un barrage réduit », gage, peut-être, destiné aux zadistes-protestataires ?

A In-Salah, la voix de la ministre algérienne de l'Environnement qui, bien entendu, pour le gaz de schiste n'a pas porté, tout comme celle du directeur général de la Sûreté nationale, dépêché sur le site en « missi dominici » ; les zadistes locaux, campent sur leurs positions, et les partis de l'opposition qui ont fait du gaz de schiste l'alpha et l'oméga de leur politique, vont jusqu'à leur témoigner leur solidarité, tout en profitant de l'occasion pour dérouler un discours axé sur la « victimisation » dont ils seraient l'objet par le pouvoir, dépeint comme « despotique » et « liberticide ».

A Sivens, le Conseil régional du Tarn, a adopté, en toute responsabilité, un nouveau projet de barrage qualifié de « Sivens Light » que l'Etat français a entériné, en toute responsabilité.

A In-Salah, les élus n'ont ni propositions à faire, ni idées à défendre, eux qui ont joué et perdu leur crédibilité dans cette histoire. A Sivens, le vote du Conseil régional, a fait baissé la tension exacerbée des derniers jours et les zadistes écolos ont été évacués par la gendarmerie. Force est restée à la loi.

A In-Salah, un calme précaire s'est installé. Va-t-on, pour autant, vers un dégel du conflit ? Un compromis est-il encore possible ? Le gouvernement va-t-il céder aux pressions, revenir sur sa signature ou faire montre de faiblesse qui inciterait d'autres « parties », d'ici ou d'ailleurs, à engager des épreuves de force ? Sellal l'a dit au député Aribi : « le gouvernement a donné sa parole, le projet de gaz de schiste est maintenu ! ».

A Sivens, faut-il le rappeler, il y a eu mort d'homme !

A In-Salah, la situation est prise en mains par l'armée « qui assure qu'elle s'opposerait à toutes les tentatives de déstabilisation de la région ! ». Le président a dit que l'Etat ne restera pas les bras croisés devant ceux qui prônent « la politique de la terre brûlée ».

A Sivens, après 16 mois d'occupation de « la zone à défendre », la raison d'Etat a prévalu. Les « zadistes » ont quitté les lieux A In-Salah, on en est au 80ème jour de contestation, la ville étouffe, le commerce meurt, l'année blanche menace et pas l'ombre d'une solution en vue.

La CNLTD, pour sa part et malgré le peu de succès rencontré par son regroupement à Ouargla (2 à 3.000 participants sur le million promis) ne semble pas prête à lâcher prise, tout comme l'inclassable et l'inénarrable Rachid Nekkaz qui en appelle à « l'internationalisation » du conflit, conscient ou pas que son appel est de nature à fragiliser le pays, pire le déstabiliser ! C'est peut-être lui qui aurait soufflé l'idée à José Bové, suggère un militant anti-gaz, appartenant au groupe des « 22 » et qui, à en croire un journal du soir qui a rapporté l'information, ne trouve aucun inconvénient à aller poser le problème au Parlement européen.

Le risque de voir cette contestation se généraliser à l'échelle nationale est grand aussi ; la récupération du mécontentement de la société civile, tant à In-Salah, Ouargla ou Ghardaïa est en marche et certains, dans la classe politique, n'hésitent pas à faire dans la surenchère, au grand dam des habitants du Sud qui soutiennent « mordicus » que leur mouvement est, absolument apolitique.

Beaucoup d'Algériens trouvent étrange, aussi, que les habitants d'In-Salah, d'habitude calmes, voire effacés, se mettent, subitement, à manifester, comme sortis du néant pour porter une revendication, somme toute, inhabituelle, tout droit venue de pays repus : « laissez le schiste en paix, arrêtez de défigurer et de polluer notre environnement ! » ; la fameuse main de l'étranger, pensent certains. Clap de fin à Sivens ! A In-Salah, on joue les prolongations, sous les yeux de l'arbitre, Abdelaziz Bouteflika.

Le pays inscrit sur la liste des Etats à abattre, c'est indéniable, est soumis à d'incessants coups de boutoir qui risquent, à terme, d'ébranler ses fondements. Beaucoup d'Algériens plaident pour le règlement définitif et rapide de la crise d'In-Salah, tout en s'interrogeant sur le « front » constitué par certaines ONG étrangères pour empêcher l'exploitation du gaz de schiste en Algérie, alors qu'aucun mot d'ordre n'a été lancé par elles concernant, par exemple, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne qui exploitent cette ressource ?

Il y a aussi ce pavé dans la mare, jeté par Louisa Hanoune, qui a déclaré que « des ministres en exercice seraient opposés à l'exploitation du gaz de schiste, un projet pourtant cher au gouvernement» ; à l'évidence, cette femme politique n'a pas fait cette révélation pour s'en féliciter, mais bien au contraire pour s'en offusquer et aussi pour prendre à témoin l'opinion sur la nécessité d'un changement du gouvernement. Ou pour le moins, de l'urgence d'un réaménagement du staff gouvernemental.

Il faut dire, aussi, que le gaz de schiste n'est pas une affaire « régionale », car il relève, en termes d'exploration ou d'exploitation, de la « souveraineté nationale ». Il se concentre, aujourd'hui, à In-Salah par le fait que les gisements explorés se trouvent dans cette zone, mais ce qu'il faut aussi avoir à l'esprit c'est l'existence, au-dessus des gisements supposés d'immenses nappes d'eau phréatiques et albiennes qui constituent une richesse colossale et une garantie pour l'avenir alimentaire du pays.

Pour le moment, les perspectives sont sombres du fait de la « dégringolade » de cette ressource épuisable qu'est le pétrole. L'Opep laisse faire et l'Algérie, on peut presque le dire, risque de rentrer en récession, car ni l'Industrie, encore moins l'Agriculture (ne parlons pas du Tourisme) n'ont les ressorts nécessaires pour améliorer les exportations hors hydrocarbures. Notre pays ne baisse pas les bras, pour autant et pour preuve son initiative destinée à convaincre les pays producteurs de pétrole et ceux qui en font grande consommation, qu'il est de leur intérêt matériel de s'entendre sur un coût financier acceptable.

En attendant, tout le monde s'accorde à le dire, notre front intérieur doit rester uni, car comme l'écrivait, dernièrement, l'éditorialiste de notre journal, les feuilletons de gaz de schiste commencent à « enquiquiner » tout le monde et leur prolongement annonce un péril à l'horizon ; le bras de fer se déroule à ciel ouvert : les uns sont convaincus que les protestations « anti-gaz de schiste », se déroulant à In-Salah, cachent une conspiration de la main étrangère et les autres revendiquent une attention particulière pour une région laissée pour compte jusqu'ici. On comprend mieux, poursuit-il, pourquoi une nation comme la Suisse s'oblige à une votation, aussi puérile qu'elle pourrait nous paraître, quand l'envie lui prend de roter ou de tousser ? Et au journaliste de conclure : « ou l'Algérie est dans une mélasse économique dramatique, que l'on n'ose même pas avouer, et il faudrait, alors, aller au devant de ce gaz de schiste maléfique quitte à s'allier au diable, ou le pays a la faveur d'une sérénité financière à toute épreuve, et décider de clore le dossier et de ne plus en parler ! ».

Et la raison d'Etat invoquée ici, qui dans l'absolu reste l'apanage des dictatures, est de loin préférable à la « politique de la terre brûlée » où veulent emmener le pays, certaines « parties » telles que désignées par le président de la République dans sa lettre du 19 mars !