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53ème anniversaire de la fête de la victoire : «Diplomatie militante et restauration de l'Etat algérien» «Les accords d'Evian à l'épreuve des faits»

par Dr Boudjemâa Haichour

Loin de toute approche historiciste plutôt une démarche pragmatique qui consacre un processus séculaire par lequel de nombreuses insurrections anti-coloniales ont fini de venir à bout d'une colonisation meurtrière du siècle passé laissant de profondes séquelles dans notre mémoire collective. Un mouvement national puis une révolution armée nous ont permis de recouvrer notre indépendance chèrement acquise.

Nous sommes au mois d'août 1961 et Benyoucef Benkhedda venait d'être désigné président du GPRA, succédant à Ferhat Abbas. Un personnage-clé parmi les «3B», surnommé le «Lion du Djurdjura», Krim Belkacem perdant le ministère des forces armées devient ministre des Affaires étrangères, car la révolution s'oriente désormais vers le terrain diplomatique. Belkacem Krim mène au nom du GPRA une intense activité diplomatique : les négociations conduites à Evian avec la France qui devaient aboutir à la signature au cessez-le-feu le 19 mars 1962 décrétant ainsi la fin de la guerre.

KRIM BELKACEM SIGNE LA FIN DES HOSTILITES

Lorsque le 18 mars, à 17h 30 Krim Belkacem et Louis Joxe ont signé l'accord portant cessez-le-feu le 19 mars 1962 à midi, l'Algérie retrouve sa dignité et son indépendance après 132 ans de colonisation et sept ans et demi de guerre ouvrant les portes à la décolonisation des peuples sous domination coloniale notamment en Afrique. Quatre-vingt-treize feuillets comportant la synthèse des documents garantissant les conditions de l'autodétermination, de l'indépendance de l'Algérie et du référendum par lequel le peuple validera les conclusions des accords d'Evian.

QUEL REGARD LES GENERATIONS PORTENT SUR LE 19 MARS?

A l'épreuve des faits et à l'aune des valeurs, quel regard portons-nous sur la date historique du 19 Mars ? En effet, nulle place au doute quant à la place privilégiée de ce repère glorieux, comme n'a pas manqué de le souligner le président de la République dans son message à l'occasion du 19 mars 2005, en affirmant que: «cette victoire n'est pas le fruit du hasard. Elle ne constitue pas non plus le dénouement heureux d'un acte tragique. C'est la vie qui est ressuscitée à partir de la mort et c'est le possible qui a pris le dessus sur l'impossible».

Nous avions 14 ans lorsque Krim Belkacem et Louis Joxe ont signé l'accord portant cessez-le-feu le 19 mars 1962 à midi. Alors que Krim, mandaté par le CNRA, apposait sa signature, du côté français les signatures des ministres du général De Gaulle, président de la Ve République, a savoir Robert Buron et Jean de Broglie, s'alignent avec celles de Louis Joxe. Pour nous, déjà adultes à cet âge, nous comprenions que l'ère coloniale s'achevait. C'est bien la fête de la victoire. Finies les rafles, fini le couvre-feu. Nous venions de retrouver existence à la vie. Et sur les cahiers de lycéens, nous apprenons l'hymne à la liberté et dessinons les premiers emblèmes : vert, blanc, rouge au croissant et à l'étoile.

Aujourd'hui 53 ans, comment convient-il de lire cet événement, à partir des témoignages d'acteurs et de l'épreuve des faits occasionnés par les difficiles négociations secrètes d'Evian dans l'entre-déchirement des passions, des discussions et des conflits larvés de cette période sensible autant de notre côté que du côté des Français. Le processus qui allait mener vers Evian avait commencé dès janvier 1956 à l'occasion de la victoire aux législatives du Front républicain sous le mot d'ordre «Paix en Algérie».

Le nouveau président du Conseil, Guy Mollet, se disait favorable à la négociation. Mais il capitulera sous la pression du lobby colonial et son projet tombe à l'eau. Il reprendra lors d'une escale au Caire de Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères françaises qui demanda l'entremise de l'Egypte pour une éventuelle rencontre avec le FLN.

C'est Georges Gorce qui sera chargé par Guy Mollet du bien-fondé de la démarche en rassurant le Chef de l'Etat égyptien. Les échanges de vues à travers des négociations secrètes commencèrent dès le 10 avril 1956 entre Mohamed Khider et Joseph Begarra membre du comité directeur de la SFIO. Tout en décidant de maintenir les contacts, les positions étaient très éloignées entre les deux parties. En dépit des divergences, des rencontres auront lieu, cette fois parrainées par Tito, dans l'ex Yougoslavie le 26 juillet 1956.

C'est Mhamed Yazid et Ahmed Francis qui rencontreront Pierre Commin, secrétaire-adjoint de la SFIO où les deux parties se prononcent d'un commun accord pour des discussions préliminaires, secrètes et directes entre les représentants du gouvernement français et les représentants du FLN. Le rendez-vous fut donné pour une rencontre à Rome entre mi-août et début septembre. Il y avait M'hamed Yazid, Mohamed Khider et Kiouane face à trois Français conduits par Commin.

Et le 22 septembre 1956 à Belgrade, Mohamed Khider, accompagné de Lamine Debbaghine, réaffirme la position de principe à savoir : la proclamation de l'indépendance de l'Algérie. Ce à quoi répondit Pierre Herbault, chef de la délégation française : «Aucun gouvernement ne peut prononcer le mot indépendance concernant l'Algérie sans être immédiatement renversé». A partir de ce moment s'arrêtera la première phase des contacts secrets avec le gouvernement Guy Mollet. Le détournement de l'avion le 22 octobre 1956 qui transportait les cinq ministres historiques démontrait une fois de plus l'extrême faiblesse du gouvernement français face au lobby colonial.

M'hamed Yazid en profite pour évoquer au plan international le double jeu des français. L'arrivée de De Gaulle après la chute de la 4ème République présage d'une reprise en main de la question algérienne. C'est ainsi que de Gaulle commence à parler de l'autodétermination de l'Algérie et qu'il s'engage à consulter les Algériens sur leur choix. La route sera longue et jonchée d'épines. Le 29 septembre 1959, Ferhat Abbas, alors président du GPRA, répond que le gouvernement provisoire de l'Algérie en lutte est prêt à négocier sur la base de l'indépendance où il affirme que le Sahara est partie intégrante du territoire de l'Algérie».

Dès le 10 novembre 1959, alors que la ligne Challe et Morice la plus meurtrière se met en action, le général de Gaulle donne l'accord des pourparlers pour discuter du cessez-le-feu. La 3ème session du CNRA se tient à Tripoli en janvier 1960 et ce n'est qu'en juin 1960 que de Gaulle fait le premier pas où dès le 25 de ce mois les négociateurs algériens, Ahmed Boumendjel, Mohamed Seddik Benyahia et Hakiki, rencontrent à Melun Roger Morris, le général Castris et le colonel Mathon. Ce fut un échec à Melun et ce sont les manifestations de décembre 1960 qui vont changer le cap des pourparlers qui imposent à de Gaulle de relancer les contacts par l'intermédiaire des Suisses.

Deux personnages vont être au parfum de cette reprise, l'Algérien Tayeb Boulahrouf, représentant du FLN à Rome, qui reçoit une communication du Suisse Olivier Long qui lui parle de la décision du gouvernement français de reprendre les négociations. Boulahrouf s'envole pour Tunis et informe Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf, Abdellah Bntobbal, Saad Dahlab de ses contacts.

Il repart au Caire pour rendre compte à Ferhat Abbas qui lui donne le feu vert. Il retourne à Genève et confirme à Olivier Long l'accord du FLN pour la reprise des négociations. Le 20 février 1961, Ahmed Boumendjel et Tayeb Boularouf rencontrent au Schwarzen Hotel de Lucerne, Georges Pompidou et Bruno de Leusse. Il y eut encore des divergences de fond mais le 5 septembre 1961 il revient de Paris avec un texte secret du général de Gaulle écrit de ses propres mains où il passe à des discussions officielles et sans préalables.

De Gaulle tient une conférence de presse dans laquelle il exprime le choix de l'auto-détermination. «La France, déclare-t-il, n'a aucun intérêt à maintenir sous sa loi et sous sa dépendance une Algérie qui choisit un autre destin». Ces négociations connaîtront quatre phases : Lugrin du 20 au 28 juillet 1961 ; Evian I, négociations secrètes décembre 1961/janvier 1962 ; Les Rousses, discussions secrètes du 2 au 12 février 1962 ; et la phase publique à Evian du 7 au 18 mars 1962.

Entre l'Algérie et la France le contentieux reste cependant ouvert. De cette mémoire déchirée parfois occultée, cinq décennies après, le sens à donner à un rapprochement visant à l'approfondissement des rapports entre les deux peuples, dans le respect dû aux morts et au devoir de mémoire, n'a pas abouti à trouver les mots qu'il faut : repentance pour les uns, reconnaissance pour les autres,

Est-il judicieux de dire que le commencement s'est frayé une ligne tortueuse ? Les accords d'Evian se terminaient par une année baignée de larmes et de sang. L'ère coloniale prenait certes fin, mais l'éprouvante atmosphère que l'OAS avait créée prenait toute son ampleur. Plus tard, étudiants, nous apprenons que les accords d'Evian étaient assortis d'annexes secretes permettant à la France de continuer ses essais nucléaires et spatiaux à Reggane, In-Nekker, Bechar et à l'un des plus vastes centres d'expérimentation d'armes chimiques et biologiques au monde : il s'agit de B2-Namous.

Terribles et terrifiantes, ces expériences pour tester la guerre nucléaire en grandeur nature dès 1960 vont laisser des séquelles sur la population du Sud qui continua à vivre la tourmente radioactive. Les essais nucléaires français dans l'Algérie indépendante se poursuivront jusqu'en 1967 et la base B2-Namous ne sera fermée qu'en 1978. Puisque nous parlons des droits, est-ce que les Algériens exposés aux radiations avaient-ils été indemnisés ?

Loin d'apaiser les passions, les chances de la paix étaient de plus en plus menacées. La paix des braves, nous l'avions vécue dans toute l'atrocité du terme. L'exécutif provisoire que présidait Abderrahmane Farès était dans l'incapacité de gérer cette transition périlleuse. Un régime plus que centenaire ne pouvait disparaître sans laisser de traces.

Les dépassements et les négociations des ultras de l'OAS ont rendu impossible une transition douce comme celle d'Afrique du Sud avec Mandela et De Klerk. De l'autre côté, le GPRA et l'EMG étaient dans une situation d'affrontement pour la prise du pouvoir. La tension monte. Le GPRA qui devait soumettre les documents de l'accord à la réunion du CNRA tenue à Tripoli du 22 au 27 février, à la quasi-unanimité, le projet d'accords établi aux Rousses fut approuvé sauf des trois membres de l'EMG qui se sont abstenus.

DES POINTS DE DISCORDE

L'EMG estima que les accords d'Evian comportaient beaucoup de compromis. La discorde laisse présager une grande tourmente de l'Algérie indépendante. Tout semble être miné. Le roi Hassan II et le président Habib Bourguiba, que Dieu ait leurs âmes, estiment devoir demander au GPRA de négocier les frontières est et ouest. La réponse fut que les instances élues de l'Algérie indépendante se pencheront sur le tracé des frontières. Donc, le conflit latent des frontières sera différé et finira par exploser aux premières années de l'indépendance avec le Maroc. Le contentieux et les accumulations des contradictions de la révolution vont apparaître au grand jour. C'est l'heure des règlements de comptes qui ont couvé depuis les premières années de la lutte de libération nationale.

Il y aura trois visions différentes quant à la prise du pouvoir. Celle du GPRA dont il tire la légitimité du CNRA, l'EMG qui considère que le CNRA est une instance dépassée et qu'il faut organiser une conférence des cadres et, enfin, le point de vue des «Cinq historiques» qui ne partageaient pas également les mêmes idées. Saâd Dahlab, homme du terroir, a su mener avec brio les négociations secrètes d'Evian. Sous la responsabilité de Krim Belkacem, ces diplomates militants s'appelaient Bentobbal, Yazid, Dahlab, Boulahrouf, Mostéfaï, Rédha Malek, Mendjli, Kasdi Merbah... face à Louis Joxe, Robert Brun, Bruno de Leusse, Jean de Broglie, le général Camas et Caillet. Pour la première fois, de Gaulle voulait des contacts directs, lui qui nourrissait des soupçons envers le FLN. Car le GPRA n'était pas perméable à n'importe quelle solution, surtout que le FLN refusait de se rendre aux conditions dictées par de Gaulle. C'est un peu l'histoire du «slougui et du loup», l'un craint l'autre. C'est Olivier Lang qui sera le médiateur dans le contact avec le FLN et de Gaulle. Tayeb Boulahrouf, représentant du FLN à Rome, aura la primeur, lui annonçant la décision de la France de négocier avec le GPRA.

Le FLN n'avait pas accepté que lui soit imposée une trêve ou un cessez-le-feu sans avoir au préalable réglé tous les problèmes à la fois politiques et militaires. Donc déclencher le processus des pourparlers tout en continuant la lutte sur le terrain. De Gaulle sera d'accord pour que ne cessent pas les combats avant d'avoir tout réglé.

LE DESTIN D'UNE ALGERIE LIBRE ET INDEPENDANTE

La France, malgré toutes les déclarations de bonne intention, continue de souffler le chaud et le froid en voulant reconnaître le MNA comme partie dans les négociations. En fait, du côté du GPRA, on attend sagement la suite des événements. Tandis qu'à Alger, le putsch des généraux allait donner une autre tournure, le destin de l'Algérie se jouait face à la crise interne qui prenait des dimensions sérieuses. Inquiétude et interrogations commencent à se poser au niveau des instances dirigeantes de la révolution.

Le risque d'un dérapage certain se dessinait à l'horizon. Le GPRA n'était pas pour un programme d'association, il se refuse d'accepter des enclaves territoriales tels Mers El-Kébir ou Reggane et rejette tout projet de défense commune. Une façon de répondre à la conférence de presse de de Gaulle du 11 avril 1961. Parmi les points essentiels, il faut retenir la langue arabe comme seule langue officielle et nationale, la révision du code pétrolier, la gestion de la transition par un exécutif provisoire, la libération des détenus, le référendum sous contrôle international de pays neutres choisis de commun accord...

De suspensions en reprises, de pourparlers en réunions secrètes, les négociations ont eu lieu à Evian, Lugrin, Les Rousses. Et en fonction des périodes considérées, les délégations des deux parties subissaient des modifications dans leur composition, le changement survenu dans le GPRA en août 1961 et le différend avec l'EMG dont Kaïd Ahmed et Mendjli Ali étaient les représentants. A l'exposé préliminaire, d'emblée Krim Belkacem rappelle que «le problème pour lequel on se trouve ici est celui de la décolonisation totale de l'Algérie, de la disparition d'un système périmé et de l'accession de notre peuple à l'indépendance». Les négociations ont été longues et difficiles. Si c'est à Evian que l'avenir de l'Algérie se jouait entre des diplomates ayant force de caractère, les uns et les autres étaient soumis à des pressions multiples. A Lugrin, le problème du Sahara va être l'enjeu de toutes les tractations dans les styles de négociations. Nos voisins nous mettent le couteau sous la gorge, ajoutant du feu sur l'huile par leurs revendications des frontières.

L'AFFAIRE DU PILOTE FRANÇAIS

Le GPRA intercède mais obtient difficilement la libération du pilote français, n'était la sagesse de Ferhat Abbas qui a convaincu Boumediene du bien-fondé de ce geste au-delà des divergences avec le GPRA. Cette version est celle de Ferhat Abbas dans son livre «Autopsie d'une guerre», tandis que Rédha Malek dit dans son livre «L'Algérie à Evian» que c'est Bentobal qui a persuadé Boumediene de le rendre. Cet incident du pilote français, le lieutenant Gaillard, va accentuer les dissensions et l'EMG qui va présenter sa démission. La crise est ouverte et constituera le commencement d'une lutte sans merci pour la prise du pouvoir. En élevant Benkhedda à la présidence du GPRA, car les trois «B» ne peuvent accepter que quelqu'un parmi eux soit porté à la présidence, ils se sont neutralisés tout en proposant un homme qu'ils pouvaient maîtriser. La direction du FLN fut homogénéisée en attendant que les négociations avec la France se terminent. En fait, c'est sur proposition de Bentobbal que Benkhedda a eu la présidence du GPRA, alors que ce dernier ne voulait même pas de Bentobbal au gouvernement qu'il allait présider.

UN 3EME GPRA SANS REPRESENTANTS DE L'ALN

Ferhat Abbas, refusant de prendre un portefeuille ministériel, ira séjourner à Rabat sur invitation du roi Hassan II. Son départ de la présidence ne règlera pas la crise GPRA/EMG. Le 3ème GPRA a été investi en l'absence des représentants authentiques de l'ALN. Mais le cours de l'histoire continuait et la révolution avançait en dépit des luttes internes.

Le GPRA demanda à l'EMG de revenir sur sa décision de démission. Abdelaziz Bouteflika sera la personne à qui est confiée la délicate mission de se rendre auprès des cinq ministres détenus au château d'Aulnoy afin d'abriter le conflit interne et de trouver une solution à la crise GPRA/EMG. Ce qu'il ne manquera pas de réussir. L'alliance sera scellée entre Ben Bella et Boumediene qui se disait être pour l'ALN lorsqu'il existe un conflit avec les politiques. Pour Boudiaf, l'Algérie sera militante ou ne le sera pas. Aït Ahmed rejoint presque la position de Boudiaf. Entre-temps, le GPRA affine ses contre-projets qui feront le finish des Rousses, d'autant que l'EMG n'a nullement l'intention d'affaiblir les négociateurs. Krim et Bentobbal iront chez les Cinq qui donneront leur accord en précisant l'essentiel à savoir : l'unité du peuple et l'unité du territoire. Pour les Français, difficile sera la contre-négociation. L'édifice argumentaire des Français s'écroulera, rapportera Rédha Malek dans son ouvrage exceptionnel «L' Algérie à Evian», conduisant Louis Joxe à exploser : «Votre projet est exorbitant, il détruit complètement la notion du droit acquis». Après moult tractations et consultations, le moment est venu de trancher. Le secret des négociations a fait avancer les choses. Sans précipitation mais tout en se hâtant lentement, selon l'expression de Rédha Malek, le GPRA ne voulait pas crier victoire ni même entretenir des espoirs qui pourraient s'avérer vains.

LE CONCLAVE DU CNRA ET LA VALIDATION DES MANDATS

La lente et ô combien ardue la besogne de finalisation des projets finaux, allait laisser le crayon s'illustrer. Il fallait attendre la ratification des documents par le CNRA. A cet égard, la bataille fut rude pour que le cessez-le-feu soit accepté par la partie algérienne. La bataille fut rude pour son acceptation y compris la position des Cinq qui tarda à venir, tout en étant favorable à l'essentiel des documents. Le CNRA se réunira en conclave dès le 02 février 1962. La validation des mandats va soulever des querelles.

Sur les membres que compta le CNRA, 33 sont présents et 16 avaient délégué leurs procurations. Le quorum est atteint avec 9 voix. Benyahia présidera la session et Dahleb sera le rapporteur aidé par Krim. Bentobbal, Yazid et Benkhedda interviennent à chaque fois qu'ils jugent nécessaire.

Les membres du CNRA doivent voter les dix documents alors que Boumediene avançait l'idée du préaccord. Bentobbal et Krim se relaient en disant que la liberté ne sera pas obtenue seulement avec les armes. Il est impossible «d'aboutir à une indépendance idéale». Dahleb reconnaît tout de même quelques insuffisances et demanda des amendements à apporter lors des prochaines rencontres avec la délégation française.

C'est en fait le problème des troupes de l'ALN invitées à rentrer dans les casernes. La liberté de mouvement des unités pouvait être bloquée. Pour Boumediene, c'est un principe qu'on ne saurait transgresser. Pour Bentobbal, l'ALN ne rentrerait pas avant l'autodétermination. Abbas, quant à lui, votera les documents même si c'est à contrecœur, estimant que la négociation n'est pas encore terminée.

Melun, Evian, Lugrin, Les Rousses et Evian II, même si pour Boumediene le document est insuffisant et incomplet, il plaide pour un assainissement de la situation interne avant de continuer les négociations. La résolution est votée par 45 voix contre 4 sur un total de 49 votants. Elle dépasse le quorum des 4/5 des suffrages requis pour la proclamation du cessez-le-feu. Les quatre voix contre sont ceux de Boumediene, Kaïd Ahmed, Ali Mendjli et le commandant Naceur de la Wilaya V.

LA RESTAURATION DE L'ETAT ALGERIEN

Pour la première fois, un mouvement insurrectionnel est mené jusqu'à son terme. L'Etat algérien vient de renaître. L'Etat algérien exercera sa souveraineté pleine et entière à l'intérieur et à l'extérieur. La France reconnaît l'indépendance de l'Algérie en prenant acte des résultats du scrutin d'autodétermination du 1er juillet 1962 et la mise en vigueur des déclarations du 19 mars 1962. Pour la première fois aussi, le territoire dans ses frontières actuelles est porté sur une carte déposée auprès de la Cour de La Haye.

Pour les générations de l'indépendance, les acteurs de la révolution, quelles que fussent leurs divergences, ont mené à terme la libération de notre pays. Il serait difficile et indécent aujourd'hui qu'on puisse porter un jugement de mauvais aloi. Dans leur contexte, tout était possible. L'essentiel est dans le résultat. Ainsi, le 19 mars, en tant que fête de la victoire, doit-il être perçu comme un événement de dimension universelle dans les mouvements de libération nationale de ce siècle. Il reste que les quelques acteurs de l'histoire contemporaine doivent enregistrer tous les faits de notre histoire.

Il faut rendre hommage à tous ceux qui écrivent pour entretenir la mémoire nationale, à l'instar de Rédha Malek avec son ouvrage «L'Algérie à Evian» ou l'histoire des négociations secrètes - 1956-1962 - qui porte un regard serein sur les événements. Il faut aussi saluer la mémoire de Benkhedda Benyoucef qui a eu la lourde charge de faire aboutir les négociations à terme malgré toutes les humeurs des uns et des autres.

Le 1er juillet 1962, un référendum d'autodétermination consacre l'indépendance de l'Algérie. Le 3 juillet 1962 la commission chargée de superviser le déroulement du scrutin après le dépouillement rend les résultats suivants : Sur un total d'inscrits estimé à 6 549 736 électeurs répartis sur 15 circonscriptions, 5 992 115 ont exprimé leur suffrage dont 5 975 581 de «oui» et 16 534 de «non» soit 99,72% de voix pour l'autodétermination de l'Algérie.

La France adresse à Abderahmane Farès, président de l'instance exécutive provisoire, une lettre signée par le président français le général de Gaulle reconnaissant l'indépendance de l'Algérie. Le même jour alors que l'avocat Kaddour Sattor, président de la commission de contrôle du scrutin immortalise l'acte d'Etat civil de l'Algérie, l'avion Caravelle de Tunis Air atterrit sur le tarmac de l'aéroport d'Alger. A l'ouverture de la porte apparaissent: Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Rabah Bitat, Krim Belkacem, Benyoucef Benkhedda, Saâd Dahlab, Mohammedi Saïd, Lakhdar Bentobbal, Abdelhafid Boussouf, M'hamed Yazid.

Pour la première fois l'hymne national «Kassamen» retentit dans un silence de recueillement en hommage aux martyrs tombés au champ d'honneur pour que vive l'Algérie libre et indépendante. Alors que celui qui a mené les négociations au nom du GPRA, Krim Belkacem, et qui a triomphé dans un style de diplomatie militante et maquisarde, se retrouve avec d'autres compagnons en marge des instances dirigeantes de l'Algérie indépendante. Il sera contraint de prendre le chemin de l'exil. Il tenta d'organiser une opposition en fondant dès octobre 1967 le Mouvement démocratique pour la Révolution algérienne (MDRA). Il fut condamné par une cour révolutionnaire spéciale siégeant à Oran dont le compte rendu des délibérations fut publié le 8 avril 1967 dans le journal La République d'Oran. Comme tous les héros de la révolution de Novembre, Krim Belkacem, ce chef historique, sera étranglé le 18 octobre 1970 dans sa chambre d'hôtel de Francfort. Aït Ahmed Hocine rejoint le Front des Forces socialistes (FFS) le 3 septembre 1963. Il fut arrêté et condamné à mort par la cour d'assises d'Alger en 1964. Aït Ahmed réussit à s'évader en avril 1966. Il continua son combat depuis l'exil. Il est entré plusieurs fois au pays après l'ouverture démocratique. Nous lui souhaitons longue vie et qu'il se rétablisse de sa maladie.

Alors que Mohamed Boudiaf créera son parti le Parti de la Révolution socialiste (PRS) en septembre 1962. Il fut enlevé en pleine rue par un commando, détenu plusieurs mois sans instruction ni jugement au Sahara. Il sera libéré et rejoindra Kénitra au Maroc jusqu'au moment où il revint pour présider le Haut Comité d'Etat (HCE), il fut assassiné le 29 juin 1992 à la maison de la culture d'Annaba, alors qu'il prononçait son discours. Ahmed Benbella fut destitué le 19 juin 1965. Il passera 14 ans en prison. Le président Chadli le gracie et retrouve sa liberté. Il crée alors son parti, le MDA.

LES DIFFERENTES SESSIONS DES QUATRE CNRA

Il faut retenir que le 1er CNRA tenu à Tripoli du 16 décembre 1959 au 18 janvier 1960, session qui dura trente trois jours et n'a pas été indemne de confrontations entre personnes, dois-je dire de divergences, sur la manière d'organiser le pouvoir et la conception des pourparlers avec la France.

Quant 2ème CNRA de Tripoli du 9 au 27 août 1961, l'EMG se comportera comme un groupe de direction politique et non comme une équipe d'experts militaires. Il fit le procès du GPRA et ambitionne de se poser comme une direction alternative aspirant à la prise du pouvoir.

Le 3ème CNRA dont la session s'est tenue du 22 au 28 février 1962, considéré comme seul habilité à valider et juger des accords de paix, du cessez-le-feu, où les représentants de l'EMG considéraient que les accords menés sous la houlette du GPRA présentés par le talentueux Saâd Dahlab, rapporteur, sont une duperie. Ils se disent ulcérés par les concessions laissées aux Français (Mers El Kébir et In Aker). Il est important de noter que l'assemblée constituante, élue le 20 septembre 1962, avait reçu les pouvoirs de l'éxécutif provisoire. Pour les uns, les accords d'Evian sont une construction néocolonialiste néfaste. Ce sont des accords politiques et non juridiques et n'ont pas valeur en droit international.

Enfin la 4ème session du CNRA du printemps du 28 mai au 7 juin 1962, qui montra l'impuissance du GPRA à être respecté par l'EMG, précipite la tentative de destitution de ce dernier. Benbella se joint à l'EMG contre le GPRA et le pouvoir est désormais entre les mains des membres de l'EMG. C'est le clash. Cette session, présidée par Med Seddik Benyahia, n'est pas parvenue à un consensus, elle sera levée. C'est la dernière session ; elle ouvrira les hostilités de qu'on appellera la crise de l'été 1962. La destitution de l'EMG fut un coup d'épée dans l'eau. L'armée des frontières se dirige sur Alger et les Wilaya historiques divisées. Le Bureau politique constitué à Tlemcen, consolidé par l'EMG, s'installe avec l'arrivée de Benbella suivi de Boumediene à la villa Joly.

Ce sont les premières visites de Bouteflika Abdellaziz alias Abdelkader El Mali et de Med Seddik Benyahia pour approcher les historiques à Aulnoy. Abdellaziz Bouteflika retournera pour convaincre les uns et les autres. C'est Benbella qui a accepté l'offre de l'EMG qui cherchait un parapluie historique pour la prise du pouvoir. Il faut savoir que Med Boudiaf et même Hocine Aït Ahmed avaient refusé la proposition.

Mais quelque soient les dissensions entre les différents dirigeants de la révolution, chacun a apporté sa part de bravoure dans le dénouement de l'ère coloniale. Mais le principe de collégialité et de concertation décidé lors du congrès de la Soummam fut en grande partie respecté surtout dans la prise des décisions importantes. Après le second CCE, se sont les «3B» qui retiennent la réalité du pouvoir jusqu'à la création du GPRA le 19 septembre 1958. Il y aurait le Conseil interministériel de Guerre, C.I.G, sous la responsabilité des «3B».

Les forces armées ne relèvent plus de la seule responsabilité de Krim, mais des «3B». Il sera dépassé par l'état-major général (EMG) que dirigera désormais Houari Boumediene, prélude à sa prise de pouvoir au lendemain de l'indépendance. Il faut dire qu'au niveau des gouvernements c'est toujours un conglomérat consensuel de chefs, de clans et de clients.

SAUVEGARDER NOTRE HISTOIRE COMMUNE

A ceux qui sont morts et qui ont contribué à l'indépendance de notre pays, toutes nos pieuses pensées. Il reste que notre pays se doit de rapatrier encore les archives qui constituent le patrimoine national. Des efforts considérables doivent aboutir à une saine réécriture de notre histoire dans toute la communion de notre patrie une et indivisible. Tel sera le rôle des historiens mais aussi de ceux qui ont forgé l'histoire de notre période contemporaine.

Cette perspective s'inscrit bien dans le vaste dessein qu'assigne le président de la République à l'évocation du passé, justifiant celle-ci par «la volonté de tirer les enseignements et y puiser les valeurs de ce glorieux legs pour les inculquer à tant d'esprits vacillants sous l'emprise de la matière et l'égoïsme au point de ne plus réagir aux valeurs d'hier, pour lesquelles se sont sacrifiés hommes et enfants, animés tous par l'amour de la patrie et l'attachement au peuple».

Alors que notre pays s'attelle à mettre en œuvre l'avant-projet de la Révision constitutionnelle dans l'esprit d'une base consensuelle politique entre l'autorité et l'opposition, ce 53ème anniversaire du 19 Mars, s'avère le parfait symbole de la victoire d'un peuple ancré à jamais dans les valeurs de Novembre 1954, de la tolérance et des grandes idées humanistes inspirées par l'histoire de sa résistance anti-coloniale, pour que les générations futures puissent en faire les incontournables référents de l'avenir.

Notes bibliographiques

1- Redha MALEK : «l'Algérie à Evian: l'histoire des négociations secrètes, 1956-1962. Paris.

2- Guy Pervillé : «Les accords d'Evian (1962). Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012). Paris, Armand Colin, Collection U, Histoire, «Les événements fondateurs», septembre 2012.

3- Mohamed Harbi : «le FLN mirage et réalité» édition J.a Paris1980.

4- Benyoucef Benkhedda : Les Accords d'Évian : Paris : Publisud ; [Alger] : OPU, 1986.-

5- Benyoucef Benkhedda : «Les origines du 1er Novembre 1954» Editions du CN RMN R Ministère des Moudjahidines Alger 1999.

6- Gilbert Meynier : «Histoire intérieure du FLN- 1954/1962» Casbah Editions Alger 2003

7- Ageron Charles Robert : «La guerre d'Algérie et les Algériens 1954/1962» A.Colin 1997.

8- Haroun Ali ; «L'Eté de la Discorde» Casbah Editions Alger 2000.

9- Ali Kafi : «Du militant politique au dirigeant militaire» Mémoires 1946/1962- Casbah Editions 2004/2002 Alger.

10- Chadli Bendjeddid : «Mémoires» Tome 1 ? 1929/1979- Casbah Editions Alger 2012.