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La Russie, grand perdant du grand jeu pétrolier ?

par Akram Belkaïd, Paris

Qui est le grand perdant de la chute des cours du pétrole ? La question est régulièrement posée mais, selon les circonstances et l’actualité, les réponses divergent. On cite, ainsi, l’industrie du pétrole et du gaz de schiste, notamment aux Etats-Unis. Face à la baisse des prix, ses investissements seraient, de moins en moins rentables, ce qui stopperait son élan (au grand bénéfice de producteurs traditionnels). On cite, aussi, des pays réfractaires à « l’ordre » américain comme le Venezuela, l’Iran et, bien entendu la Russie.

Dans cette optique, le repli du marché serait orchestré par l’Arabie Saoudite - qui refuse de baisser sa production pour faire monter les prix - avec l’aval, plus ou moins tacite, des Etats-Unis. Ces derniers accepteraient ainsi de fragiliser les acteurs de la filière des hydrocarbures de schiste pour affaiblir le régime de Poutine et l’amener à faire des concessions dans les dossiers ukrainien mais aussi syrien (Moscou reste un soutien sûr de Bachar Al-Assad) et iranien (la baisse des prix réduirait la marge de manœuvre de Téhéran dans ses négociations sur son programme nucléaire).

De grosses pertes pour la Russie

Autant le dire, tout de suite, ces explications sont certes probables mais personne n’est en mesure de prouver que telle ou telle hypothèse est plus prépondérante que les autres. On lit, aussi, beaucoup de variantes comme celle qui voudrait que l’Arabie Saoudite cherche, justement, à torpiller les négociations irano-américaines, en aggravant les difficultés financières de Téhéran et donc, en radicalisant les factions dures de la République islamique. Par contre, si une chose est bien certaine, c’est que certains pays producteurs d’or noir paient chèrement l’inversion du marché. C’est le cas de la Russie, pour qui, cette année, risque d’être catastrophique en matière de recettes extérieures. Selon le bulletin mensuel de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), Moscou devrait perdre 135 milliards de dollars, en 2015. Les experts du Cartel rappellent, ainsi, que la Russie perd 3 milliards de dollars, à chaque fois que le baril baisse d’un dollar. Une donnée inquiétante quand on sait que 70% des revenus extérieurs russes proviennent de la vente d’hydrocarbures.

Dans les années 2000, de nombreux spécialistes ont avancé l’hypothèse que la Russie était le seul pays capable de rivaliser avec l’Arabie Saoudite, à la fois en termes de production globale mais aussi d’exportations. De fait, les pompages russes sont, aujourd’hui, de l’ordre de 10,5 millions de barils par jour. De quoi, normalement, tenir la dragée haute au royaume wahhabite. Or, aujourd’hui, Moscou a du mal à peser sur le marché du brut. En effet, il existe de nombreux doutes quant à sa capacité à influer sur les cours sur la longue durée. Si Riad peut baisser ou augmenter sa production à sa guise, sans trop d’impacts, sur sa situation intérieure (dans le cas d’une baisse des revenus, le Royaume a la possibilité de compenser grâce à ses importantes réserves financières) ce n’est pas le cas de Moscou dont nombre de dépenses internes sont incompressibles. A cela s’ajoute le fait que la Russie est plus vulnérable aux turbulences et aux influences des marchés financiers que l’Arabie Saoudite. Certes, le rial saoudien connaît quelques faiblesses - qui relèvent d’ailleurs plus de son lien avec le dollar américain que de l’évolution des cours pétroliers -, mais ce n’est guère comparable avec la plongée brutale du rouble, depuis plusieurs mois.

Une diversification encore plus difficile

Selon plusieurs banques, la fuite des capitaux privés russes, à l’étranger, se poursuit - elle aurait atteint le montant de 20 milliards de dollars, depuis 2013 et le gouvernement pourrait décider de remettre en place un mécanisme de contrôle des changes pour stopper cette hémorragie. Une décision qui lui donnerait un répit mais qui ne contribuera pas à compenser les pertes dues à la baisse du pétrole. En effet, la Russie essaie, aujourd’hui, d’attirer des investisseurs étrangers pour relancer la diversification de son économie. Une démarche nécessaire mais qui risque d’être mise à mal par le retour de l’Etat dans le jeu économique.