Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'or, un enjeu mondial : Pourquoi l'Algérie, pour sa sécurité, doit augmenter ses réserves d'or

par Medjdoub Hamed *

Suite et fin

D'autre part, les nouvelles places de cotation et d'échange d'or en Chine cherchent à faire pièce aux principales places boursières de métaux précieux, de Londres (London Bullion Market) et des Etats-Unis (COMEX). Pékin a ainsi lancé, dès les années 2000, le Shanghai Gold Exchange (SGE) et le Shanghai White Platinum (WPSE). Ainsi la ceinture de l'or sur une partie du monde, par la Chine, est bouclée.

3. BREVE RETROSPECTIVE DE L'ECONOMIE ALGERIENNE

Comme tous les nouveaux pays du Tiers-Monde qui devaient poser les premières assises d'un Etat structuré et, vu l'ampleur des besoins d'une population restée à l'état sous-développé par la colonisation, il fallait à l'Algérie de se pourvoir de moyens de financement suffisants pour payer les équipements importés. Ces moyens financiers qui dépassaient ses possibilités allaient être mobilisés grâce à des emprunts. C'était le début de son endettement, et du Tiers-Monde. Vinrent ensuite les nationalisations opérées dans les secteurs économiques et financiers encore détenus par l'ex-puissance coloniale, ainsi que la revalorisation des matières premières par la constitution d'un cartel groupant plusieurs pays, l'OPEP, dont l'Algérie fait partie, et qui devaient contribuer à une meilleure mobilisation des ressources financières.

Une autre donne qui a contribué tant à asseoir l'Algérie et les pays du Tiers-Monde, sur le plan de la défense de la souveraineté nationale d'une part, que sur le plan de la course aux armements, compte tenu de l'antagonisme qui opposait les deux leaderships des blocs Est et Ouest - la militarisation à outrance de la planète -, et par conséquent le développement considérable de l'industrie d'armement. Des années 50 jusqu'aux années 1980, cette industrie va doper la croissance des pays développés - sans distinction pour les pays du bloc Ouest que les pays de l'Est - au détriment bien entendu des pays du Tiers-Monde qui, eux, doivent débourser pour doter leur Défense nationale. Mais c'est le prix à payer pour leur défense.

L'Algérie, à l'instar des autres Etats progressistes du Tiers-Monde, a calqué son régime politique et économique sur la configuration mondiale - un monde bipolaire - qui prévalait à l'époque. Jusqu'au début des années 1970, elle va matérialiser son développement par différents plans économiques (triennal, quinquennal, etc.) accompagnés de la nationalisation des terres agricoles en 1963 (ce secteur devint autogéré), et du secteur minier (les hydrocarbures le 24 février 1971).

Elle créera sa propre monnaie, le dinar algérien, le 10 avril 1964, et l'émission de billets de banque algériens. Dans le cadre de sa politique monétaire, elle instaurera trois mesures: le contrôle de changes pour parer à la fuite des capitaux, l'inconvertibilité externe du dinar algérien et enfin la nationalisation du système bancaire. Le dinar est défini au plan international à 180 mg d'or fin. Sur le plan de la parité, la monnaie algérienne est ancrée à la monnaie française. Ce n'est qu'à la dévaluation d'août 1969 en France, que le dinar se déconnecte du nouveau franc jusqu'alors à parité égale.

Malgré la passivité de la monnaie dans l'ajustement des prix, la centralisation offrait une certaine protection à l'économie algérienne tant que les éléments constitutifs de la donne monétaire n'avaient pas subi d'altérations notables. Et c'est le cas puisque de 1967 au début des années 1980, la politique monétaire en Algérie - le dinar administré par l'Etat - n'a pas posé de problèmes majeurs, ce qui veut dire que le système retenu en fonction du régime politique pris par l'Algérie, dès son accession à l'indépendance, était en adéquation avec l'environnement extérieur, la stabilité monétaire ayant été assurée sur plus de quinze années. En outre, à cette époque, la déréglementation financière n'ayant pas fait son apparition, ne commandait pas une refonte du système monétaire et financier algérien.

La plupart des pays en développement, et c'est aussi le cas de l'Algérie, lorsqu'ils ont accédé à l'indépendance, se sont d'abord préoccupés de mettre en œuvre des programmes de développement à moyen et à long terme. Ils se sont donc tournés vers les procédures de planification, mais l'insuffisance des techniques de la prévision, la méconnaissance d'une vision globale de l'équilibre macro-économique et la priorité donnée d'abord à la planification, ont fait que les budgets économiques issus des lois de finances n'ont pas rempli leur fonction principale, c'est-à-dire assurer la cohérence des décisions pour les objectifs visés. Et ce déficit en matière de projection économique, de connaissance des interdépendances des économies dans un environnement international houleux dans lequel furent projetées ces économies jeunes, ne pouvaient que déboucher pour celles-ci sur des déséquilibres politiquement intolérables et économiquement dangereux: forte inflation, chômage excessif, crise de la dette extérieure, déficits budgétaires.

Si l'euphorie financière qu'ont suscitée les deux chocs pétroliers et entraîné l'emballement de l'économie algérienne, la situation va se renverser en 1986 avec le contrechoc pétrolier. Nous connaissons la suite. L'islamisme armé en Algérie, une crise économique de grande ampleur, un programme d'ajustement structurel accablant en 1994, un chômage de masse, etc.

L'économie algérienne, après une stabilisation macroéconomique à la fin des années 1990, et il faut le rappeler «entièrement dépendante des cours du pétrole (pays monoexportateur)», ne recommence à croître qu'avec la hausse des prix du pétrole, à partir de 2000. Pratiquement de 2000 jusqu'à l'été 2014, le prix du baril du pétrole a toujours été à des niveaux élevés, oscillant entre 90 et 115 dollars US, surtout à partir de 2009. Les réserves de change ont atteint des sommets historiques inégalés, jusqu'à 200 milliards de dollars. Qu'en est-il de l'Algérie, aujourd'hui, en 2015 ?

4. L'ALGERIE DOIT AUGMENTER SES RESERVES D'OR, POUR «UN CAS DE COUP DUR», A L'INSTAR DE LA CHINE

Tout d'abord, une mise au point. On reproche à l'Algérie «que la ressource pétrolière a graduellement pris l'ascendant sur le reste des activités économiques au point de mériter le terme de rente qu'on lui donne aujourd'hui. Comment ce fil conducteur a pu mettre la machine dans un ?emballement' que personne ne pouvait, ni peut arrêter ? Une ressource, censée être une bénédiction, qui a fait le vide autour d'elle. Un vide qui, loin s'en faut, ne se limite pas à l'absence ou à la sous-représentation des autres activités, mais va au-delà en créant des clientèles qui font aujourd'hui l'actualité politique du pays, en annihilant l'effort, le labeur et les valeurs du travail; en pervertissant les relations familiales et en déconsidérant gravement les études et la valeur des diplômes». (5)

Ce que dit cet auteur est très juste. Mais le problème dans ce fil conducteur, «c'est que l'Homme ne dirige pas réellement sa vie bien qu'il cherche à la diriger». Et ce qui est valable pour l'homme vaut aussi pour une nation. Qu'est-ce qu'une nation, si ce n'est aussi une grande communauté d'hommes.

Les Treize colonies britanniques d'Amérique du Nord qui ont fait sécession de la Grande-Bretagne le 4 juillet 1776 pour former les Etats-Unis d'Amérique savaient-elles qu'elles allaient devenir plus tard la première puissance écrasante du monde sur tous les plans ? Pareillement, l'Algérie savait-elle qu'elle allait être colonisée par la France pendant 130 ans ? Pareillement, la France, après la perte de ses colonies et de son empire, savait-elle qu'elle aura affaire à plusieurs millions de musulmans qui lui disputeront le droit du sol, le droit du sang et le droit de culte ? L'humanité évolue en boucle.

Pareillement, l'Algérie a combattu pour son indépendance, son peuple comme son gouvernement se devaient d'assumer les aléas de l'existence qui se posent pour chaque être humain qui vit sur terre, pour chaque nation dans le monde. L'indépendance de l'Algérie commence seulement à l'indépendance, et encore aujourd'hui, elle ne fait que commencer, même après 52 ans d'indépendance. Le chemin est long pour arriver au niveau des vieilles nations. D'autre part, il n'y a pas d'«emballement», l'Algérie est certes dotée d'une bénédiction, le «pétrole». Est-ce qu'elle est fautive parce qu'elle a le pétrole ?

Comme pour dire, est-ce que les Etats-Unis sont fautifs d'être la première puissance du monde ? Mais il n'empêche que les Etats-Unis doivent assumer leur rôle pour lequel ils sont parvenus historiquement dans l'ordre hiérarchique de puissance dans le monde. L'Algérie est aussi dans ce même cas de figure d'assumer sa place dans ce même ordre de puissance. Donc, toute chose qui arrive est relative, et obéit à un ordre qui transcende le monde.

Cependant il demeure que les hommes comme les nations, comme ils sont transcendés, doivent aussi se transcender, se dépasser. Comprendre les forces qui agissent dans le monde, prendre ce qui est nécessaire, ce qui est perceptible pour tenter de faire son histoire, pour tenter de s'inscrire dans l'histoire. Et pour ne rappeler que l'Algérie qui, au début des années 1980, tout lui souriait - comme aujourd'hui, les réserves de change sont encore au plus haut -, le dinar était plus fort que le franc français, et ni les politiques ni les financiers ne savaient, lorsque brusquement surgissait le contrechoc pétrolier, et commença alors quinze années de remise en cause, de maladies politiques et sociales, et ce traumatisme historique que vécut l'Algérie était cependant nécessaire pour son réveil?

Ce traumatisme est encore présent dans les consciences parce qu'il est encore récent, il n'est pas oublié. Et qu'il ne faut pas recommencer.

L'Algérie est fatiguée de souffrir. Comme tous les autres peuples et surtout les peuples qui souffrent aujourd'hui, et sont dans le dénuement complet et la violence quotidienne. Aussi l'Algérie doit chercher à se prémunir des aléas des politiques occidentales en cours, instrumentalisant les haines internes propres aux pays musulmans pour ses intérêts géostratégiques immédiats. Elle sait qu'elle a le dos au mur, qu'elle n'a que le pétrole qui lui permet d'assurer ses ressources extérieures. L'Algérie n'est pas la Chine qui, même si elle repose sur un potentiel industriel le plus puissant du monde, est en train de prendre ses devants en matière monétaire, puisqu'elle augmente son stock de réserve d'or pour «en cas de coup dur». L'Algérie n'est pas l'Arabie saoudite qui, bien que dépendante du pétrole, repose sur les plus grands sous-sols de pétrole du monde.

Et ce n'est pas, déclassée déjà à la 25e place au lieu de la 24e qu'elle tenait dans le classement mondial du World Gold Council, et ses 173,6 tonnes d'or et leur équivalent, d'environ 6 milliards de dollars, qui lui permette tout au plus de répondre à moins de deux mois d'importation, que l'Algérie s'en sortira. «En cas de coup dur dont on ne peut jamais dire qu'il arrivera ou n'arrivera pas. Mais rien n'interdit d'y penser, au contraire tout incite à le penser à voir le cours cahoteux de l'économie mondiale».

D'autant plus que l'or est au cours le plus bas aujourd'hui, depuis 2009, à 1.158 dollars l'once.

L'Algérie ne peut pas dire aujourd'hui, comme au début des années 1980, qu'elle ne savait pas. Et recommencerait la galère des années 1980 et 1990. D'ailleurs, cette exhortation d'augmenter ses réserves d'or ne s'adresse pas uniquement à l'Algérie mais à tous les pays du monde. Quant aux pays occidentaux tels les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie?, ils en sont prémunis puisqu'ils disposent des plus grandes réserves d'or du monde.

* Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective.

Notes :

5. «Le fil conducteur de la rente», par Saâd Taferka, journal Les débats, le 12 mars 2015. www.lesdebats.com

6. «La question de l'or, presque «insoluble» qui fâche les puissances. Les forces historiques en marche» (7e partie), par Medjdoub Hamed, le 12 mars 2015. www.sens-du-monde.com, www.agoravox.fr

7. «Le Rôle de l'Or dans les Crises Financières Internationales. Le «Bancor» de John Maynard Keynes» (6e partie), par Medjdoub Hamed, le 7 mars 2015. www.sens-du-monde.com, www.agoravox.fr

8. «Déséquilibres macro-économiques mondiaux, pierre d'achoppement entre les puissances» (5e partie), par Medjdoub Hamed, le 7 mars 2015. www.sens-du-monde.com, www.agoravox.fr, www.lequotidien-oran.com