Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La dernière chance de la BCE ?

par Akram Belkaïd, Paris

Dans quelques années, les historiens de l’économie appelleront peut-être cela le « pari de la dernière chance ». En effet, depuis lundi dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a lancé de manière concrète son programme de rachat de dette pour un montant global de 1.100 milliards d’euros d’ici septembre 2016, soit une enveloppe mensuelle de 60 milliards d’euros. Certes, ces montants peuvent être considérés comme modestes au regard des dizaines de milliards d’euros de titres qui s’échangent quotidiennement sur les marchés financiers mais il n’en demeure pas moins que c’est une véritable révolution qui a lieu.
 
CREDITS ET BAISSE DE L’EURO
 
Il faut ainsi rappeler que ce genre d’intervention a longtemps paru impossible car étant à l’opposé de la politique monétaire orthodoxe qui considère que ce genre de rachats équivaut à faire fonctionner la planche à billet.

Or, le dogme majeur qui fonde l’Union monétaire européenne (UEM) concerne justement le fait que la Banque centrale européenne (BCE) est censée être la garante suprême de l’interdiction de ce genre de pratique. Mais la crise de 2008 et ses conséquences, avec notamment une croissance en panne dans la majorité de la zone euro (exception faite de quelques locomotives comme l’Allemagne), ont changé la donne. Pour l’Institut monétaire basé à Francfort, l’urgence est désormais de relancer l’activité.

De manière concrète, la BCE va donc acheter des titres de dettes aux banques commerciales. Ces dernières, ayant récupéré de nouvelles liquidités, pourront donc soit prêter aux entreprises afin qu’elles investissent, soit accorder des crédits aux ménages pour qu’ils consomment ou achètent de l’immobilier. En clair, il s’agit de faire redémarrer l’économie en stimulant la demande.

C’est là le cercle vertueux imaginé par Mario Draghi, le patron de la Banque centrale. Il reste donc à savoir si les banques vont jouer le jeu en prêtant vraiment l’argent qu’elles ont récupéré et surtout, si elles vont le faire à des taux d’intérêt peu élevés. Pour les experts, la question du taux d’intérêt reste toutefois secondaire, car ils estiment que, concurrence oblige, les banques seront obligées de proposer des crédits avantageux. Par contre, rien ne pourra les empêcher d’aller placer leur argent dans des placements qu’elles jugeraient plus avantageux avec ce que cela représente comme risque de formation de bulle (ce fut le cas en 2008 quand une partie des liquidités libérées par la baisse des taux ont provoqué la hausse des matières premières agricoles). Le redémarrage de l’économie souhaité par la BCE passe aussi, selon elle, par la nécessité de faire baisser encore plus l’euro.

Cela permettrait ainsi aux exportateurs européens de gagner des parts de marché à l’étranger et, tout aussi important, de favoriser, dans la zone euro, le « made in Europe » par rapport aux productions asiatiques ou américaines.

Le rachat des dettes auprès des banques est donc destiné à encouragé le mécanisme suivant : l’argent dégagé par l’opération servira à être investi sur les marchés émergents ou dans les titres de dettes américaines, qu’il s’agisse des Bons du Trésor ou des obligations d’entreprise. Du coup, cette demande fera mécaniquement grimper le dollar par rapport à l’euro. Là aussi, la BCE rompt avec un vieux dogme imposé par l’Allemagne pour qui la monnaie unique doit absolument rester une devise forte.
 
DOPER L’INFLATION
 
Enfin, le troisième objectif de la BCE, qui va avec les deux qui viennent d’être cités (relance de l’activité, baisse de l’euro), est de redonner quelques couleurs à l’inflation. Cela fait plusieurs années que cette dernière est officiellement inférieure à 2% (une donnée que nombre de ménages européens contestent…) et le spectre de la déflation plane toujours sur l’Europe. Prix bas, taux d’intérêts négatifs, hausse du chômage, difficultés budgétaires des Etats et atonie de l’activité. Cela fait déjà longtemps que ce cocktail donne des sueurs froides aux dirigeants européens. Voilà pourquoi la BCE vient de tirer ce qui est peut-être sa dernière cartouche…