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La triche, cet autre fléau qui ronge l'enseignement

par Beghdad Mohammed

Imaginons qu'un chef d'un département, d'une faculté, d'une université de mon pays l'Algérie, guidé par sa seule conscience professionnelle, par sa moralité qui le transcende, par la probité qui l'anime, par la déontologie du savoir qu'il prône et l'éthique du métier qu'il exerce, saisit le procureur de la république de la ville, directement sans consulter ses supérieurs hiérarchiques et sans aucun moyen de blocage de leurs parts, ni d'aucune autre pression intérieure qu'extérieure, pour ouvrir une enquête contre deux des étudiants de son département après avoir été alerté par des enseignants de la matière à la suite de la constatation de nombreuses ressemblances sur leurs copies de l'examen qu'ils venaient de passer il y a quelques jours. Ne soyez surtout pas ébahi, ce n'est qu'une fiction. La réalité est tout autre. Elle ne peut se réaliser en l'état actuel des choses.

Notre mauvais héros, toujours dans le virtuel, aurait vu de toutes les couleurs, rien que le fait de le penser ! Il aurait regretté le jour de sa naissance si jamais il aurait osé l'imaginaire. Il aurait été simplement réprimandé de toutes parts. Tous les malheurs du pays lui seraient tombés sur la tête. Il ne pourrait supporter la chape de plomb qui se serait écrasé sur sa pauvre personne pour le faire taire à jamais. C'est un tabou à ne point dévoiler et qui irait contredire toutes les politiques désastreuses menées contre vents et marées. D'un courageux qui a bravé l'interdit, il se retrouverait jeté tout frais en pâture, prêt à être désossé tout cru. Les prédateurs du mal et des ennemis du pays l'auraient dévoré après l'avoir déchiqueté sans aucun état d'âme avant qu'il ne donne de mauvaises idées à ses confrères. Il servira d'exemple aux autres possibles prétendants qui veulent déranger l'ordre établi.

Sans omettre les associations estudiantines qui auraient soulevé cieux et mers, cadenassé tous les locaux administratifs et pédagogiques avec des grèves, des manifestations, des assemblées générales en sessions ouvertes et des communiqués biquotidiens, demandant la tête du malheureux chef de département et la réhabilitation de leurs camarades qu'ils soient coupables ou non. Le chef, comme son nom devait l'indiquer ; du plaignant, il est converti, par le système, la force du terrain et les jeux politiciens, au banc des accusés jusqu'à la fin de ses jours. Exit la pédagogie et la déontologie ! S'il désirait, au départ de sa carrière, gravir les échelons de l'escabeau, il devrait maintenant méditer amèrement sur son sort scellé.

Réveillons-nous maintenant de notre cauchemar et découvrons que cette histoire est possible mais, sous d'autres cieux, dans des pays dont on comprend, à travers un tel acte d'intégrité et de l'amour du pays, pourquoi ils nous dépassent et que nous ne pourrions jamais les rattraper car, nous sommes en train d'emprunter des chemins tortueux qui nous mènent que droit au mur quoiqu'ils existent de voix plurielles qui n'ont jamais baissé les bras en appelant de toutes leurs résistances à l'arrêt de l'hémorragie chronique. On espère que ces cœurs battants, pourvu qu'ils n'abdiquent point, trouveraient enfin des oreilles attentives. Plus le temps passe dans l'agonie et plus le sursaut deviendrait insurmontable.

Revenons à notre histoire qui ressemble à l'inimaginable. C'est ce que j'ai lu par hasard dans un article d'un journal français [1] dans son édition online de ce 18 février 2015. La chronique a pour scène l'université du Havre, plus précisément au département de droit où effectivement le chef de ce département a déposé plainte auprès du procureur de la république de la ville du Havre contre deux étudiants de son département après avoir constaté lors de la correction que leurs copies d'examen comportaient des similitudes troublantes. Comme on le remarque fort bien, il ne l'a fait pour un flagrant délit observé au cours du dit examen, mais il ne s'est basé seulement que sur des soupçons de fraudes.

Il justifie son acte par un communiqué [2] sur l'obligation d'user de l'article 40 du code de procédure pénale [3] de son pays qui énonce que : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. ». Par ailleurs, il affirme dans cette même lettre que : « ma mission, en tant que directeur du département droit de l'université du Havre, est double : d'une part, veiller à ce que l'égalité des étudiants soit scrupuleusement assurée, d'autre part, m'assurer que l'image de nos diplômes perçue à l'extérieur de l'université soit de qualité. ». Sans commentaires.

D'autre part, en tant que fonctionnaire, le directeur du département use de son droit d'activer également la loi de son pays datant du 23 décembre 1901 qui réprime les fraudes dans les examens et concours publics [4]. Cette loi, dans son article 1, précise que : « Toute fraude commise dans les examens et les concours publics qui ont pour objet l'entrée dans une administration publique ou l'acquisition d'un diplôme délivré par l'Etat constitue un délit. ». Elle complète dans son article 2 que : « Quiconque se sera rendu coupable d'un délit de cette nature, notamment en livrant à un tiers ou en communiquant sciemment, avant l'examen ou le concours, à quelqu'une des parties intéressées, le texte ou le sujet de l'épreuve, ou bien en faisant usage de pièces fausses, telles que diplômes, certificats, extraits de naissance ou autres, ou bien en substituant une tierce personne au véritable candidat, sera condamné à un emprisonnement de trois ans et à une amende de 9 000 euros ou à l'une de ces peines seulement. ». En outre, l'article 3 indique que : « Les mêmes peines seront prononcées contre les complices du délit. ».

Il rappelle dans sa déclaration l'un des objectifs de sa mission : « Ma fonction de directeur de département m'impose toutefois d'accorder plus d'importance à l'inquiétude de ceux qui ne fraudent pas et qui souhaitent légitimement que le sérieux et la qualité de nos formations soit préservée. ». Il conclut sa position par son souci de la préservation de l'image de son université et du maintien de sa crédibilité : « La faculté des affaires internationales du Havre intègre environ 90 % de ses étudiants diplômés dans le marché du travail ; ces bons taux d'insertion professionnelle reposent sur la confiance que les opérateurs économiques accordent à nos diplômes. Pour la préserver, je continuerai donc d'appliquer une politique de tolérance zéro à l'égard des fraudeurs, dans le plus strict respect de la légalité.».

Parallèlement à cette procédure externe, un autre dossier, muni de six-procès verbaux de suspicion de fraudes rédigés par trois enseignants responsables des épreuves, a été transmis à la commission discipline interne à l'université pour d'éventuelles sanctions pédagogiques.

La machine judiciaire, lorsqu'elle fait son devoir, s'est alors mise en branle. Rien ne l'arrête, ni un ordre de nuit ni une intervention d'en haut. Elle ira, en toute âme et conscience, jusqu'au bout de ses prérogatives. Aussitôt, la police, saisie par le procureur, met en exécution la procédure judiciaire en plaçant en garde à vue durant des heures ces deux étudiants avec des interrogatoires pour tirer au clair cette affaire, en adressant, sitôt dressé, son rapport au procureur qui décidera de la suite à suivre. Un rassemblement d'étudiants a été organisé le soir même devant le commissariat, non pas pour exiger la libération des deux mis en cause mais, apporter leur soutien en attendant la sortie des deux gardés à vue car, ils savent pertinemment que la justice rendra équitablement son jugement.

Où en sommes-nous nous avec toutes ces valeurs ? Frauder n'est-il pas considéré comme synonyme de voler ou usurper ? Combien de fois des conseils de discipline ont pris des sanctions mais, vite annulées et jetées aux calendes grecques par l'autorité supérieure avec des règlements tout à fait contraires aux principes pédagogiques ? Un chef de département, s'il a le droit de saisir directement la justice pour de tels faits pourrait-il voir sa carrière survivre à tels hypothétiques évènements ?

Si une association estudiantine, en l'occurrence le syndicat Unef (Union nationale des étudiants de France) ait intervenu et c'est son rôle pour défendre la présomption d'innocence de leurs affiliés, ce n'est pas pour répandre et participer à la médiocrité mais c'est principalement dans le but de ne pas sanctionner doublement ces deux étudiants, qui sont au passage des étrangers, par la crainte de voir le non-renouvellement de leurs titres de séjour. Pour sa part, le syndicat des enseignants Snesup-Fsu l'entrevoit aussi de cet angle. Quant au président de l'université, il a affirmé que certes son collègue chef de département a pris ses responsabilités mais, trouve que ce signalement lui semble disproportionné et maladroit car, dans son subconscient, il ne doute guère sur le verdict, ni sur la propreté de la commission de discipline qui ne va point faillir à sa mission, ni faire des concessions, ni étouffer l'affaire dans son œuf. Elle appliquera le règlement intérieur dans toute sa rigueur.

Qu'en est-il alors chez nous où les décisions de nos conseils de discipline sont le plus souvent piétinées pour des considérations sans doute extra-pédagogiques et que le recours à la justice est un sacrilège à ne même pas fantasmer ? C'est un sujet d'une autre nature qu'on n'est pas encore prêt aujourd'hui d'en débattre sans des expertises crédibles précises suivies de réelles réformes profondes.

Sources :

[1] http://www.leparisien.fr/faits-divers/universite-du-havre-soupconnes-de-triche-ils-finissent-en-garde-a-vue-18-02-2015-4544719.php

[2] http://www.normandie-actu.fr/tribune-fraudes-detudiants-au-havre-%C2%AB-pourquoi-jai-alerte-le-procureur-%C2%BB_113676/

[3]http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006574933&cidTexte=LEGITEXT000006071154

[4] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006070890&dateTexte