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«Le vaillant capitaine de l'ALN Wilaya 5, Si Zoubir» (Tahar Hammaïdyia) : Révolte ou désobéissance

par Le Dr Boudjemâa Haichour *

L'histoire, le parcours, la bravoure et le destin d'un homme dont le caractère a été façonné tout au début d'une carrière militaire en Indochine, se trouve être dans une affaire de révolte ou de désobéissance face à ses supérieurs de l'état-major Ouest de la Wilaya V. Il s'agit de l'affaire Si Zoubir.  

Lors de mes rencontres avec les moudjahidine de la Wilaya V, le nom du Capitaine Si Zoubir revenait dans leurs propos comme pour exprimer tantôt une sorte de remords parfois une situation liée à la raison d'Etat de notre Révolution qui avait ses principes qui, dans le contexte des événements, s'expliquent par ce sens de discipline dans la hiérarchie au-delà des humeurs et des égos.

Mais qui est Si Zoubir (Tahar Hammaïdyia), originaire du Sersou (Tiaret), né en 1931 à Oued Lilli dont le père était garde champêtre et propriétaire agricole. Orphelin de mère, il se trouva dans une situation douloureuse alors qu'il terminait sa seconde au lycée, quelque temps après il s'engagea dans l'armée française.

Il part en Indochine et de retour en 1955 en Algérie il est cantonné à Sébabna à la frontière algéro-marocaine. C'est là qu'il prend contact avec les moudjahidine de la zone 1 Wilaya V et réussit à nouer le contact avec l'ALN.

La base de Sébabna est une caserne très importante et il décide de préparer son projet pour s'évader avec l'armement lourd et léger avec ses éléments.

L'opération est menée après que Si Rachid Mostaghanmi ait donné l'accord. C'est un week-end le samedi 16 février 1956, la surveillance est allégée. Tandis que le chef de la caserne est absent, l'attaque fut donnée et l'évasion s'est faite en chargeant vingt mulets en armes lourdes et légères. C'est le premier armement lourd dont bénéficiera la Wilaya V. Ce fut un choc terrible pour l'armée française.

Si Zoubir était un baroudeur hors pair formé dans la guerre d'Indochine. Il avait mené de grandes batailles contre les troupes de l'armée française durant la guerre de libération nationale. Il était aimé et estimé par ses djounoud partageant avec eux la galette quotidienne.

Si Abdelhafid Boussouf découvre le lieutenant Si Zoubir ancien élève de l'école des sous-officiers et décide de l'envoyer en mission sous l'autorité d'Ali Haroun pour l'achat de l'armement.

Il part donc en expert et rencontre Si Haroun à Madrid où ils devraient partir ensemble au Mexique chez les négociants en armes. L'opération est tombée à l'eau du fait que Fidel Castro les a déjà achetées afin d'entreprendre l'attaque de la baie des Cochons.

Si Zoubir rentre au pays et rejoint Oujda avec ses éléments au maquis de l'Ouarsenis. Il a été affecté en zone 7 dirigée par le Capitaine Abdellaziz Bouteflika en novembre 1957. C'est là qu'il rencontre la moudjahida Leïla Ettayeb évoluant dans les montagnes de la zone 7.

Il décide de demander sa main qu'il épousera plus tard. Elle s'inscrira à la Faculté de Droit à Rabat. Quant à lui, Il est rappelé par les gens de l'état-major Ouest où il reçut le grade de Capitaine et sera affecté en zone 1 à Tlemcen.

L'affaire Si Zoubir éclate durant l'été 1959 avec les lignes Challe et Morice, les approvisionnements en armement faisaient presque défaut ce qui allait étouffer dans de nombreuses régions du pays nos djounoud.

Les maquisards trouvaient des difficultés même pour se ravitailler en denrées alimentaires. Si Zoubir se sentait asphyxié avec ses éléments. Pas d'argent, pas d'armes et les centres de regroupement séparaient la population du contact avec les moudjahidine.

COMMISSION D'ENQUETE POUR METTRE FIN A LA CRISE

Si Zoubir était un militaire pur et dur. Il décide d'affronter ses supérieurs et pénètrent Oujda sans se référer à sa hiérarchie. Ne pouvant convaincre Boumediene chef d'état-major Ouest, ni le Commandant Othmane à qui il voue un grand respect, il essaie de prendre contact avec Krim Belkacem alors ministre de la Guerre.

Il adopte une attitude de reniement avec ceux de l'état-major qu'il trouve vivant dans un luxe ostentatoire alors que les gens du maquis mouraient de faim.

Il se met en colère et rentre en dissidence. Cependant il reste en contact avec Krim Belkacem qui lui permettait de s'informer auprès de lui car le considérant comme un chef guerrier à qui il a pleinement confiance.

Alors qu'on lui demande de rentrer dans les rangs sans ses éléments, il se refuse de rejoindre seul l'état-major, dès lors il se heurte à un refus catégorique.

La situation dégénère et il est accusé d'indiscipline. Les Français veulent le gagner à leur cause et lui demandent de rejoindre l'armée française qu'il refusa. La crise prend de l'ampleur dans la Wilaya V.

A la fin de la réunion du CNRA qui tenait ses assises à Tripoli fin 1960, le GPRA ordonna la mise en œuvre d'une commission d'enquête pour mettre fin à la crise qui allait sévir dans la Wilaya V.

Abdellah Bentobbal accompagné de Mohammedi Saïd furent dépêchés et accueillis par Boussouf afin essayer de mettre fin à ce différend, mais leur visite s'est soldée par un échec.

L'INFILTRATION DES SERVICES FRANÇAIS DANS LA WILAYA V

Si Zoubir n'a pas obtempéré et les services français profitant de ce mécontentement dans les rangs de l'ALN, se sont infiltrés et finiront par intervenir en distribuant des tracts soutenant Si Zoubir, une sorte de " bleuillite " en installant une radio dissidente au nom de la Wilaya V.

La presse étrangère en a fit son scoop en parlant de redditions et de ralliements des djounoud. L'administration française est allée même séquestrer sa minoterie et le lopin de terre de Si Zoubir que lui laissa sa mère.

C'est Gadiri Hocine responsable du FLN au Maroc qui lui revient l'idée d'une médiation entre Si Abdellah Bentobbal accompagné de Chentouf Abderazak et Si Zoubir. L'entrevue aura lieu selon Gilbert Meynier le 19 février 1960 et Si Zoubir fait entrer ses troupes à Berkane à 60 Km d'Oujda et cette promesse sera tenue le 23 du même mois. Cette initiative m'a été confirmée par une proche parente de Si Hocine Gadiri.

HASSAN II ENTRE EN JEU EN MEDIATEUR

Le 24 février 1960 sous l'autorité du Prince Moulay Hassan, Si Zoubir sera placé sous le contrôle des Marocains se soumettant inconditionnellement aux directives du GPRA. Il sera transféré à Rabat le 27 du mois de février et placé sous la surveillance de la police marocaine. Mais il semblerait à l'époque que ses contacts avec les dissidents continuèrent. Son épouse Leïla Ettayeb, son bébé et sa grand-mère une semaine après seront transférées à Tétouan.

Elle n'aura plus de nouvelles. Elle sera accueillie par son oncle Abdeldjalil, adjoint de Boussouf, qui lui aussi était sous surveillance. Mme Leïla Ettayeb trouve une place d'enseignante de français à " Fkih Bensalah " à Tétouan. Elle retrouve au Maroc occidental Si Moussa Benahmed et Gadiri Hocine.

Le 02 août 1960 au terme d'un accord FLN/Autorités marocaines, Si Zoubir et son épouse furent livrés au Représentant de la mission algérienne au Maroc, qui les logea dans une dépendance de la résidence. Alors qu'il persistait dans l'agitation et le contact de ses éléments, il fut révoqué le 17 juillet 1960.

Il fut finalement arrêté par les hommes de l'état-major de la Wilaya 5 où un tribunal présidé par le Colonel Othmane le condamna à mort. Il fut exécuté d'un revolver par un soldat non initié à ce genre de tuerie qui tremblait pour lui porter le coup sur la tête. Sa mort ne fut connue auprès du GPRA par Hocine Gadiri quelque temps après. Ce qui entraîna la purge des éléments de Si Zoubir.

LES RETOMBEES DE L'AFFAIRE SI ZOUBIR AU SEIN DE L'ALN

Il faut retenir que l'affaire de Si Zoubir a fait l'objet d'un rapport à la session du CNRA Tripoli 2 en août 1961 et la réunion du CNRA Tripoli en juin 1962.

Peut-on conclure que l'affaire de Si Zoubir ait eu des conséquences sur la mort du Colonel Si Lotfi, ce bel homme, cet intellectuel, ce juste et intègre patriote.

De retour de Tripoli la mi-mars 1960 Si Lotfi continuait d'entretenir d'excellentes relations avec Si Zoubir ? La question reste posée. Seuls les acteurs de cette crise peuvent en dire les véritables raisons de cette dissidence.

Cette situation allait même accélérer le remaniement du GPRA et Ferhat Abbas sera reconduit dans ses fonctions de Président du Gouvernement provisoire. Mais Krim Belkacem devient ministre des Affaires étrangères. Le CNRA supprime le ministère des Forces armées et lui substitue le Comité inter-ministériel de la Guerre (C.I.G) composé du triumvirat à savoir : Boussouf Abdelhafid-Belkacem Krim-Bentobbal Abdellah.

LE CIG UN COMPROMIS ENTRE L'EMG ET LE GPRA

Le CIG dirige l'armée par l'intermédiaire de l'Etat-major général (EMG) dont la responsabilité a été confiée à Houari Boumediene. En faisaient partie notamment Ali Mendjli, Ahmed Kaïd dit " Slimane klata " et le Commandant Azzedine de la Wilaya IV.

L'Etat-major se réorganise de l'Ouest à l'Est où il fait libérer les condamnés du " Complot Lamouri " les Commandants Belhouachet, Draïa et Messaâdia et les font accompagner par Boutetflika à la frontière malienne d'où le surnom de " Abdelkader El Mali ".

L'ORGANISATION DE LA REVOLUTION AU SAHARA

Ils seront chargés d'implanter l'ALN parmi la population du Hoggar, du Gourara, du Tidikelt dans le grand Sahara. La cohésion et l'efficacité de l'ALN après la formation de l'EMG renforce la discipline des rangs de l'armée.

Il appartient aux acteurs de cette période notamment les chefs maquisards mais aussi ceux qui étaient proches d'éclairer les historiens pour réécrire ses pans de notre histoire en tenant compte du contexte de l'époque marqué par la clandestinité et le sens de la cohésion révolutionnaire.

Il s'agit de respecter nos morts et d'être dans l'esprit de notre religion les porteurs d'un Islam de pardon. Car dans la voie de notre combat libérateur, les erreurs humaines doivent trouver leur bénédiction auprès de Dieu à qui nous répondrons de nos actes. Celui qui fera un atome de bien le retrouvera et celui qui fera un atome de mal le retrouvera.

Que ceux qui ont vécu cette époque ont le devoir de dire et révéler ce qu'ils savent sur les hommes qui ont mené le combat pour la libération du pays.

Les citoyens ont le droit d'en connaître avec l'objectivité nécessaire la vérité historique loin de la délation et de la fitna, même si quelques fois des omissions involontaires dans la trame de la narration événementielle oublient l'essentiel.

La mort de Si Zoubir reste-elle une énigme tant il est vrai que notre Révolution aussi glorieuse qu'elle fut n'est pas indemne de cabales. Ces dernières nous ont fait perdre les plus probes et intègres, les grands hommes qui ont porté haut l'étendard de la liberté et de l'indépendance pour qui les générations se souviennent et défendent leurs mémoires.

* Chercheur-Universitaire