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De la Grèce, de la troïka et de la démocratie de marché

par Akram Belkaïd, Paris

Qui prime ? Le choix électoral d’un peuple ou un traité transformé en totem ? C’est la question que pose, une nouvelle fois, l’actualité grecque. De fait, l’arrivée au pouvoir du mouvement Syriza est susceptible de rebattre les cartes d’une situation que l’on croyait figée, depuis que le Traité constitutionnel européen ait été adopté, sans grandes modifications. Et cela, malgré les (vaines) promesses d’amendements, faites par quelques gouvernements velléitaires ou vite rappelés à l’ordre, par Bruxelles (on pense, notamment, au président français François Hollande qui, à l’entendre, pendant la campagne de 2012, devait imposer une nouvelle mouture de ce texte).
 
LA TROÏKA A ECHOUE

La situation est connue. D’un côté, un pays qui a été mis sous tutelle par la désormais tristement célèbre Troïka (Banque centrale européenne ou BCE, Fonds monétaire international ou FMI et Commission européenne). De l’autre, des créanciers qui ne veulent pas de l’idée d’une annulation partielle ou encore moins totale d’une dette qui fait près de 320 milliards d’euros. Or, depuis 2009, la Grèce ne cesse de s’enfoncer et les mesures d’austérité mises en place par la Troïka n’ont pas donné de résultats. Le déficit grec s’est aggravé, la dette n’a jamais cessé d’augmenter alors que, dans le même temps, la situation sociale de la population s’est détériorée. Aujourd’hui, et alors qu’un vent de changement souffle sur Athènes, les langues commencent à se délier. Les critiques contre la Troïka se multiplient, y compris en provenance du Parlement européen. Autoritarisme, mépris affiché pour les souffrances des Grecs, morgue des tenants du pouvoir financier : on s’accorde, enfin, à dire que les émissaires du trio sont les premiers responsables de l’échec de la thérapie de choc qui a failli tuer la Grèce et les Grecs.

 Le nouveau pouvoir à Athènes a remporté une première manche, celle de se faire élire. Il est, aussi, en passe d’en gagner une deuxième, celle de démontrer qu’il appliquera les mesures promises, pendant la campagne électorale. En Europe occidentale, les petits soldats du néo-libéralisme poussent des cris d’orfraie. Ils ne comprennent pas que Syriza ne se range pas au principe de réalité qui, selon eux, consisterait à continuer gaiement, dans une voie sans issue. Cela met en exergue le fait que le débat sur l’inutilité des politiques d’austérité, en temps de crise, n’est toujours pas clos. Pourtant, la Grèce est la preuve directe que rogner dans les dépenses publiques, mettre à la rue des milliers de fonctionnaires, démanteler un système de protection sociale sont autant de mesures douloureuses, pour ne pas dire criminelles, qui ne relancent pas la machine économique, bien au contraire. Le FMI a beau dire, la BCE a beau faire, et la Commission européenne a beau intriguer : la croissance n’est pas au rendez-vous. Que faut-il de plus pour que le cap soit changé ? Même Barack Obama, le président américain, y est allé de son couplet pour souhaiter que la Grèce cesse d’être pressurée. Il reste, maintenant, à savoir si les appels au bon sens vont être entendus.

L’EXIGENCE DU CHANGEMENT DE CAP

La démocratie a parlé. Les Grecs ne veulent plus être humiliés. L’Europe, de son côté, tergiverse. Elle ne veut pas d’annulation de dette mais fait mine d’oublier que si l’Allemagne est ce qu’elle est, aujourd’hui, c’est parce que, entre autres, sa dette en matière de dommages de guerre a été annulée, en 1953. Mais ce que l’Union européenne (UE) a, de plus en plus, de mal à cacher, c’est qu’elle sait que bouter la Grèce, hors de la zone euro, signifiera, certainement la fin de la monnaie unique et une onde de choc d’une brutalité extrême, dans tout le vieux continent. Les politiques économiques suivies, au cours des vingt dernières années, faites de dérégulation et de réformes, au profit du capital et de la finance, se paient cash, aujourd’hui. La Grèce est la première à en souffrir mais d’autres pays suivront si l’UE ne réalise pas qu’il est temps de changer de cap.