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L'échec scolaire n'est pas une fatalité en Algérie

par Boudalia Malika



La loi d'Orientation de l'Education Nationale du 23 janvier 2008, met l'accent sur deux points :

1- La mission première de l'école : «Transmission de l'Héritage Culturel Commun». La loi nous rappelle qu'une Civilisation n'est pas innée; Elle se transmet. Dans ce sens cette loi constitue un acte refondateur.

2- L'Approche par Compétences ; C'est la première fois depuis l'ordonnance de 1976, que l'Etat indique clairement le contenu impératif de l'école. Cette clarification comble un vide.

Le premier point indique la finalité de l'école; Le deuxième point indique le moyen d'y parvenir.

L'instrument principal pour atteindre ces objectifs, étant le livre, il me parait utile de faire un bref historique du livre scolaire, afin de vérifier s'il répond aux attentes nationales.

- En 2000 : Introduction en Algérie du Groupe français Hachette-Livre, à travers sa filiale Sedia. Prise en charge par ce Groupe de l'enseignement de la Langue Nationale.

- 2001 : Publication du manuel

«La classe préparatoire». Alors que la classe préparatoire n'était pas encore officiellement instituée.

- A partir de 2001, publication de manuels parascolaires en arabe.

- 2003 : Le Ministère de l'Education choisit en première position le Groupe Hachette pour élaborer et fournir les manuels pour l'enseignement de la Langue Nationale. .

- 2005 : Passation du marché d'Hachette à des éditeurs algériens qui reproduisent rigoureusement son modèle.

- 2011 : Introduction des éditions Hatier. Publication d'une collection pour l'enseignement de la Langue Nationale.

Hachette agit sur deux niveaux :

1- Pénètre le marché du livre.

2 - Impose ses normes et standards dans l'Édition scolaire, parascolaire, et dans toute la sphère culturelle.

Comparaison entre les prestations d'Hachette en Algérie et ses prestations en France.

2002 : La réforme Benzaghou et la réforme de l'éducation en France coïncident.

Les deux réformes proclament officiellement les mêmes objectifs. Les deux réformes prônent l'approche par compétences. On devrait donc retrouver sur le terrain, des pratiques et des produits pédagogiques similaires.

Le livre scolaire étant l'instrument principal pour atteindre l'objectif, les prestations d'Hachette devraient être de part et d'autre nécessairement équivalentes.

Qu'en-est-il exactement ?

Je me propose de visualiser à l'aide d'un tableau comparatif des produits Hachette, la mise en œuvre de l'approche par compétences, sur le terrain algérien et sur le terrain français.

Autrement dit, comment est construite la première compétence de base de part et d'autre par l'éditeur commun ?

Observations :

La stratégie qui consiste à nous exclure de l'économie de la connaissance s'opère par la rupture de la transmission. Ainsi, la crise de la transmission est scientifiquement aggravée par des frappes à plusieurs niveaux. L'offensive s'appuie sur la psychologie comportementaliste, la linguistique structurale, les sciences cognitives, utilisées comme arme pour briser la chaîne de transmission. Une opération à plusieurs niveaux :

1er niveau :

contenu de la transmission :

- En France, le devoir de transmission est assuré avec fidélité. L'enfant baigne dans une galerie d'œuvres. Les références " transgénérationnelles " sont léguées à travers la langue littéraire, la culture humaniste et la Civilisation.

- En Algérie, les héritiers sont dépossédés de toute culture. L'enfant est soumis à la politique de " la table rase ". Il lui est réservé une langue de fabrication, langue simple, langue de survie.

- En France, l'enfant est familiarisé avec la culture orale et écrite. Il s'approprie précocement les biens culturels.

- En Algérie : L'enfant doit s'adapter à une langue préfabriquée. Une langue de substitution pour la vie quotidienne.

- En France : Macro linguistique. (L'ensemble). Lexique riche, complexe, abstrait.

- En Algérie : Eléments de langage. (L'élément). Vocabulaire réduit, simple, concret, basique, domestique. Il est même glissé des mots créoles dans un des manuels précité.

- Hachette-France n'a pas d'équipes, ni de commissions d'élaboration, parce que pour les enfants français, elle n'élabore, rien du tout. Elle édite et transmet un patrimoine préexistant, vivant.

- Par contre, Hachette-Algérie a des équipes d'élaboration, de fabrication. Le fruit de leur fabrication se substitue au patrimoine, laissé à l'abandon, à l'agonie.

- En France, Hachette / 21ème siècle ne produit pas de manuels dans le premier cycle.

- Par contre, en Algérie, Hachette produit des manuels dans le premier cycle.

Parascolaire et Soutien recouvrent des réalités et pratiques différentes de part et d'autre.

- En France parascolaire et soutien visent la construction d'un Capital Culturel.

- En Algérie parascolaire et soutien visent l'adaptation à une langue fabriquée par des didacticiens.

2ème niveau :

âge de la transmission :

Entre zéro et sept ans, (l'âge neuronal) l'enfant peut acquérir un nombre impressionnant de compétences. Le cerveau de l'enfant est stimulé par la complexité et la nouveauté.

- En France : Cette période est mise à profit pour construire les compétences de base, notamment la première compétence qui est la maîtrise de la langue. Cette compétence ne s'enseigne pas. Elle se construit naturellement par l'écoute de récits, de contes, de légendes et par la mémorisation de poèmes.

Pour cela, l'école européenne s'appuie sur 1000 titres de la littérature pour enfants, comme elle s'appuie sur de nombreux recueils de poésies.

- En Algérie : L'âge neuronal, est gaspillé volontairement dans des apprentissages interminables de l'alphabet, et dans des exercices de type : dénomination d'objets et association mot-objet.

Le temps d'apprentissage précoce et mécanique de la lecture est pris sur le temps de la transmission culturelle. Faire perdre ce temps précieux à l'enfant, est l'un des procédés de fabrication de l'échec scolaire.

3ème niveau :

Mode de transmission :

- En France, Hachette utilise le canal de transmission naturel et traditionnel : La bouche de l'adulte et les oreilles de l'enfant ; L'écoute, l'audition, l'imprégnation, l'immersion. L'adulte raconte, l'enfant écoute. L'adulte lit à haute voix, l'enfant écoute.

- En Algérie, Hachette, n'utilise pas le canal naturel et traditionnel : Bouche / Oreilles.

La rupture du canal de transmission s'appuie sur des truchements qui servent de stimulus : Outils didactiques ; Matériel pédagogique ; Images ; Posters ; Affiches ; Affichettes. Une panoplie qui fait écran, parasite et brouille la transmission.

4ème niveau :

lieux de la transmission :

Intrusion des produits Hachette, et modèles Hachette à l'âge neuronal, dans tout l'environnement de l'enfant. Tous les lieux traditionnels de la transmission culturelle, c'est-à-dire l'école, la maison, la mosquée, la bibliothèque sont investis par le modèle Hachette. Une véritable invasion. L'enfant n'a plus aucune chance d'accéder à la culture.

Au sein des familles, les devoirs calqués sur le modèle Hachette, empiètent sur le temps du devoir de transmission culturelle, générationnelle. Les parents soucieux de la réussite scolaire de leurs enfants, croient bien faire en les obligeant à travailler sur ce modèle. Or le soutien scolaire en France signifie simplement : Enrichir l'enfant en lui racontant ou en lui lisant des contes, le familiariser avec les biens culturels.

Les mosquées, dans leur programme d'éducation des enfants, appliquent le modèle Hachette.

L'approche par les compétences : deux poids, deux mesures.

Des experts de l'Unesco ont baptisés la liste d'œuvres au programme pour enfants européens : " Graines de paix. "

L'Unesco, dans son appui aux enfants roms, sintés et gens du voyage, offre une mallette pédagogique inspirée de la psychologie du développement.

L'Unesco, dans son appui à l'enfant algérien, offre et développe une pédagogie, inspirée de la psychologie comportementaliste, (théories de l'apprentissage par conditionnement).

Dans la publication du Ministère de l'Education et du Bureau de l'Unesco de Rabat, intitulée : " La refonte de la pédagogie en Algérie ". On peut lire en page 13 : «L'Unesco n'hésitera pas à apporter un soutien exemplaire : des expertises de haut niveau scientifique se rapportant à la confection de nouveaux manuels? Des groupes de stagiaires sont programmés à bénéficier de formations dans des centres spécialisés en France, en Egypte et en Jordanie afin d'acquérir les instruments didactiques? «?» L'Unesco, propose régulièrement aux cadres de l'Education Nationale des séminaires de formation sur la didactique de la langue arabe?»

En page 62 on peut lire : «L'Unesco a fort judicieusement accompagné l'INRE* dans le processus d'homologation des manuels scolaires.»

De son côté, le représentant de l'Unicef à Alger, présente par voie de presse un véritable plaidoyer pour généraliser et rendre obligatoire, le préscolaire en Algérie :

" C'est avec le préscolaire et la classe préparatoire que l'Algérie peut gagner sa bataille de la qualité de l'enseignement." ? " Il faut savoir, ajoute-il, qu'il y a 17 dollars retournés, pour un dollar investi dans le préscolaire ".

El Watan du 10 mai 2013.

Le représentant de l'Unicef, ne nous dit pas, toutefois, si ce dollar doit être investi dans la " didactique ", ou dans la transmission culturelle. Il ne nous dit pas non plus, si le préscolaire est obligatoire en Europe.

Qu'attend donc, le représentant de l'Unicef en Finlande pour s'aligner sur la politique de son homologue à Alger ? L'Europe du nord n'a-t-elle pas peur de perdre la bataille de la qualité de l'enseignement avec une classe préparatoire à sept / huit ans, et un préscolaire facultatif ?

La fin de la transmission est synonyme de la fin de notre société. Une société ne peut être pérenne si elle ne parvient pas à transmettre aux enfants ce qui assure sa cohésion, c'est-à-dire ses fondements, ses traditions, ses valeurs.

La didactique* dite de première génération, née dans les années 70, de par sa nouveauté, était inconnue des responsables du secteur de l'éducation nationale. Ils ne pouvaient donc pas mesurer les tenants et les aboutissants de ce modèle. Le projet mis en œuvre leur échappait. De ce fait, des siècles de transmission culturelle sont balayés.

Par effet de vases communicants le dictat de la " didactique* ", s'étend jusqu'aux textes règlementaires. On le retrouve aujourd'hui, dans le projet de loi relatif au marché du livre et aux activités autour du livre. Ce projet définit le livre scolaire et le livre para scolaire comme ouvrages didactiques obligatoires.

L'école moderne : une école à notre portée.

L'école institutionnelle algérienne instaurée au début du 8ème siècle, a développé durant douze siècles et demi la compétence de communication chez les enfants petits ! Aujourd'hui les scientifiques ont mis un terme nouveau " compétence de communication " sur une réalité préexistante. On peut situer la rupture de la transmission en Algérie, aux années 80 du XXème siècle.

Quelques caractéristiques de cette école du 8ème siècle :

- L'école, représente un pôle de transmission culturelle.

- La culture précède l'apprentissage des différentes disciplines.       

- Familiarisation précoce avec la poésie et certaines œuvres littéraires.

- La poésie n'est pas réservée à une élite.

- La mémorisation de poèmes se fait collectivement. Apprendre un poème n'est pas vécu comme devoir, mais comme un plaisir, une connivence culturelle et émotive.

- Pas de groupes de niveau, pas d'évaluation précoce, pas de classements.

- Apprentissage de la lecture par repérage d'indices.

- Autodidactisme.

La pédagogie moderne fondée sur la transmission culturelle ne nous est pas étrangère.

La " didactique "*, n'est donc pas une fatalité. L'espoir est permis. Pour sortir de l'engrenage, il faut rendre à l'enfant son héritage culturel.

* Modèle conçu pour l'apprentissage des langues étrangères dans les années 70.

* INRE : Institut national de recherche en éducation.