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Grèce : un Hugo Chavez en Europe ?

par Abdellatif Bousenane

Les électeurs grecs n'ont pas eu peur. Ils l'ont fait. Par conséquent un vrai séisme politique frappe de plein fouet l'ordre établi en Europe. Dimanche dernier le parti de la gauche radicale Syriza gagne effectivement les élections générales avec un score historique. Mais la question centrale, n'est la capacité de ces nouveaux dirigeants d'un petit pays comme la Grèce à faire face aux pressions gigantesques de la « nomenklatura » du vieux continent?

Malgré la taille plus au moins modeste de la Grèce, que ce soit sur le plan démographique, économique et géopolitique, cette victoire constitue néanmoins un fait très symbolique à plusieurs égards. D'abord ce pays « mi-oriental, mi-occidental », représente dans l'imaginaire européen et occidental d'une manière plus large l'origine, la référence et même les fondements historiques de la civilisation dominante actuelle. Le mot démocratie vient de l'ancien grec démokratia, « souveraineté du peuple » combinaison de dêmos, « peuple » et kràtos, « pouvoir » ou « souveraineté ». Justement, la question de la souveraineté figure parmi les raisons essentielles qui ont motivé ce choix du peuple grec. Car la politique économique dictée par l'élite iconoclaste européenne est perçue comme étant une humiliation par le peuple de Platon et Socrate. L'austérité, rien que l'austérité, encore l'austérité. Cette attitude arrogante de la pensée unique économique libérale a entrainée depuis maintenant six ans l'État grec dans un cercle vicieux qui n'a fait qu'aggraver la situation du pays. Il faut tout de même souligner qu'effectivement l'Europe a versé plus de 250 milliards d'euro à la Grèce, un chiffre colossal vu la taille du pays, mais le seul bémol, c'est que cette somme a été désignée pour payer une partie de la dette et l'autre partie a été injectée dans les banques en difficultés.

Autrement dit, les milliards européens ont resté dans le cercle financier très fermé et l'économie réel grecque n'a pas bénéficié de cette manne. À partir de ce constat, le futur gouvernement Syriza et son leader charismatique Alexis Tsipras ne vont pas y aller par quatre chemins. La renégociation avec la toute puissante commission de Bruxelles va être rude et le risque d'un retrait de l'Euro voir de l'Union Européenne n'est pas négligeable ce qui peut provoquer une crise monétaire européenne à grande échelle. Cette hypothèse est d'autant plus plausible lorsqu'on entend les réactions intransigeantes des décideurs européens malgré le signal très fort lancé par le peuple souverain grec. La chancelière allemande, Angela Merkel, à titre d'exemple, a affirmé que « ... Berlin attendait du futur gouvernement grec qu'il respecte les engagements pris jusqu'à présent par le pays en matière de réformes économiques et de rigueur budgétaire... ». La Banque centrale européenne (BCE) est sur la même ligne : « Il n'appartient pas à la BCE de décider si la Grèce a besoin d'un allègement de la dette. Mais il est absolument clair que nous ne pouvons pas être d'accord avec l'allègement d'une dette qui comprend des obligations grecques détenues par la BCE. »

Un autre élément qui rend cette victoire électorale beaucoup plus intéressante, c'est l'effet domino probable que peut provoquer une telle ferveur de changement. La contagion est ainsi envisageable dans d'autres pays comme l'Espagne où le parti de gauche radicale Podemos vise un exploit similaire dans les prochains rendez-vous électoraux de 2015, des municipales, des régionales partielles, puis des législatives. D'autres pays durement touchés par la politique européenne d'austérité sont très attentifs à l'expérience grecque tels que, l'Irlande et le Portugal.

Bref, cette perspective est très positive en fait pour les nouveaux dirigeants de la Grèce puisque elle va alléger le poids de la pression « nomenklaturale » et permet également la création d'un nouveau pôle qui pèsera lourd au sein même de la zone euro.

Dans ce contexte de crise économique et idéologique, une nouvelle génération politique est entrain de se former progressivement. Une galaxie composite de jeunes et moins jeunes refuse en effet de se soumettre au fait accompli. Elle résiste d'une manière intelligente à ce rouleau compresseur, la seule et unique voie tracée par une « aristocratie » des temps modernes au service des intérêts des grands groupes multinationaux; Pour illustrer ce constat plusieurs experts affirment qu'en 2016 la richesse cumulée des 1% les plus riches du monde sera équivalente à celui des 99% les plus pauvres !

Une apparence pléthorique de mobilisations en tout genre caractérise effectivement ce mouvement. Les gens qui ont voté dimanche dernier ne sont pas tous issus de l'idéologie de l'extrême gauche. Il y a des individus de tous les horizons idéologiques mais ils sont tous d'accord sur un point : Il y a plusieurs voies à suivre à part la voie imposer par Bruxelles.

Y a t-il là des prémices d'un printemps européen ? Ce mouvement peut-il passer d'un simple groupe de pression politique à une force politique qui gouverne ?

Sinon, et loin d'un rêve platonique très séduisant d'ailleurs, la capacité de résister tout seul est, toutefois, extrêmement difficile pour la gauche radicale grecque. Et la confrontation solitaire avec les géants de ce monde est franchement suicidaire. Car l'élite dominante n'acceptera jamais de gouverner avec un Hugo Chavez en Europe. Par conséquent, Alexis Tsipras changera t-il de cap ? Fléchira t-il et modéra t-il ainsi sa posture coriace jusque là ? Pour combien de temps le peuple grec va t-il résister et accepter davantage de sacrifices pour justement assumer ce vote historique ? Wait and see !