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La BCE se lance dans l’assouplissement quantitatif

par Akram Belkaïd, Paris

Après des années de tergiversations, la Banque centrale européenne (BCE) va donc suivre les pas de la Réserve fédérale américaine (Fed) en se lançant, elle aussi, dans un programme de «Quantitative easing» (QE), autrement dit, un assouplissement monétaire quantitatif. De manière concrète, l’institution financière européenne va racheter sur les marchés pour plus de 1.140 milliards d’euros de dettes publiques et privées. Des rachats qui vont s’étaler jusqu’à 2016, voire au-delà. Le but affiché est de donner un coup de fouet à l’économie européenne qui est engagée dans la spirale de la déflation ( 0,2% pour les prix en décembre contre un objectif fixé à 2%).

UN «QE» POUR QUELLE EFFICACITE ?

En injectant des liquidités dans le circuit bancaire, la BCE espère que cela va inciter les établissements financiers à soutenir l’activité en octroyant des prêts aux entreprises et aux ménages. Le pari est risqué car rien ne dit que les banques vont jouer le jeu. Certes, les marchés financiers ont poussé des cris de joie à la confirmation par Mario Draghi, le patron de la BCE, du lancement du programme d’assouplissement. Mais il faudra vérifier si l’argent va bien là où il devrait aller, c’est-à-dire dans les comptes d’exploitation des entreprises. De nombreux spécialistes craignent qu’à l’inverse, la BCE n’alimente, comme ce fut le cas pour la Fed, des bulles spéculatives. Délestées de leurs créances les plus risquées, les banques pourraient ainsi racheter d’autres obligations d’Etat ou d’entreprises. Elles pourraient aussi placer leurs fonds dans des secteurs comme l’immobilier ou les marchés d’action, voire les commodités. En somme, rien n’assure que la BCE va aider au redémarrage à la croissance. Comme le relevait un économiste parisien, l’industrie financière va encore obtenir une aide massive sans avoir concédé la moindre contrepartie sous la forme, par exemple, de financer les projets d’investissement que l’Union européenne (UE) souhaite lancer.

L’autre grande question concerne le timing de l’opération. Après avoir longtemps hésité, du fait de l’opposition de l’Allemagne pour qui une Banque centrale n’a pas à intervenir sur la dette d’Etat, la BCE a donc fini par imiter son homologue américain. Il faut se demander si tout cela n’intervient pas trop tard et si une action de concert n’aurait pas été plus appropriée. De plus, la BCE vient désormais de jouer sa dernière carte. Que se passera-t-il si l’économie ne réagit pas ? Les experts préfèrent ne pas l’imaginer. Mais une chose est certaine, le bilan de la BCE sera empli de créances plus ou moins douteuses. A titre de comparaison, la Fed a commencé son « QE » en 2008 et, entre cette date et 2012, son bilan a gonflé de 800 milliards de dollars à 4.500 milliards de dollars, ce qui fait dire à nombre de commentateurs que la Réserve fédérale n’est devenue ni plus ni moins qu’un immense fonds spéculatif… C’est ce qui guette la BCE et il est probable que s’engage dans les semaines qui viennent un débat politique à propos de son action. Cela d’autant plus que l’Allemagne n’a pas vraiment accepté ce nouveau rôle de la Banque centrale.

L’AUGURE SUISSE

En tous les cas, on a aussi une autre explication à la décision de la Banque centrale suisse de ne plus lier sa monnaie à l’euro. Pour la Banque nationale suisse (BNS), le « QE » européen présente plus de menaces que de promesses positives. Sa volonté de laisser flotter le franc suisse par rapport à la devise européenne est donc une manœuvre défensive prise au nom de l’orthodoxie monétaire. Et l’on peut se demander si cela ne va pas donner des idées aux pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas qui, à terme, pourraient exiger une redéfinition de la zone euro qui serait alors composée de plusieurs monnaies uniques, l’une d’entre elles étant gérée de manière ultra-orthodoxe comme le faisait en son temps la Bundesbank avec le Deutsche Mark.