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Pour la gloire de la culture. Pour l'honneur du pays !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Le roman algérien de langue française. Essai de Faouzia Bendjelid Chihab Editions, 196 pages, 700 dinars, Alger 2012.

La littérature romanesque algérienne de langue française a son histoire. Eh, oui !

On a eu la littérature de «l'assimilation», la littérature de «pré-combat», puis la littérature de «combat»? ceci pour l'ère coloniale et ceci selon la catégorisation de F. Fanon.

L'ère postcoloniale va subir «l'effet Kateb». Le roman Nedjma (1956) subit «les influences du courant universel de la modernité du texte qui se construit dans les disparités, les ruptures narratologiques et le collage tout en restant enraciné dans le terroir et le patrimoine culturel national» : Mémoire collective, histoire, mythologie et légendes puisées dans l'imaginaire collectif et la parole ancestrale et populaire? La «poétique du fragment» ! Le «je» qui s'impose. L'écriture (plurielle) iconoclaste va naître et s'imposer. Par la suite, on aura de tout : surtout de la «littérature de résistance». Cette fois-ci, non contre le colonialisme? mais contre tout ce qui ne permet pas ou ne veut pas permettre l'émancipation au sens large du terme.

L'exemple le plus visible de la littérature de contestation et de résistance est bel et bien celle produite par les femmes. Une véritable bataille pour la promotion de la condition féminine. Avec des parcours exceptionnels. Avec, aussi, une participation active, aux côtés des hommes, à «l'écriture d'urgence» imposée par la dénonciation de la violence terroriste des années 90, cet «espace tragique» de la vie du pays.

L'écriture de l' «après ?urgence» est une toute autre histoire : un «nouveau souffle » du roman algérien, avec le renouveau de l'esthétique et du sens. La littérature de langue française est loin de s'estomper. Elle prospère et foisonne et, avec son discours encore inépuisable et inépuisé, elle s'émancipe même. Phénomène curieux ! Bien réel.

L'Auteure : Faouzia Bendjelid est, entre autres, professeur, enseignante de français à l'Université d'Oran et chercheuse au Crasc d'Oran. Sa thèse de doctorat avait porté sur Rachid Mimouni.

Avis : Destiné aux étudiants? et aussi aux «critiques» littéraires, surtout ceux de la presse spécialisée. Déconseillé aux contempteurs de la langue française.

Extraits : «Ecrire dans la modernité, c'est rejeter un modèle autoritaire et un discours d'allégeance au pouvoir politique en place» (p 11), «Le roman algérien de langue française n'a pas encore dit son dernier mot, et tous ses maux !» (p 160)

TIGDITT, QUAND LE THEATRE

S'EMBALLE. Epopée du Festival national du théâtre amateur de Mostaganem. Essai de Aziz Mouats (Préface de Kamel Bendimered). Apic Editions, 288 pages, 700 dinars, Alger 2014.

A la base : Un quartier populaire de Mosta, Tigditt. Un homme, ancien scout, au caractère trempé et «toujours prêt» pour accomplir la B.A. (bonne action) autour de lui, ancien poissonnier, ancien cantonnier en chef, mais d'une curiosité et d'une sensibilité culturelles à nulles autres pareilles, Mustafa Ben Abdelhalim dit «Si Djilali».

Un ami, véritable «gourou», un précurseur, Ould Abderrahmane Kaki.

D'autres amis (comme Abdelkader Benderdouche, Senouci Bouhell, Mekki Bensaid, Abdelkader Tamasquelte, Ghali Elakeb, Laaredj Ziane ?), toujours disponibles pour le bien public? Ainsi que des lieux de rencontres et de débats toujours ouverts aux débats (comme le café Marhaba).

Et, enfin, et surtout, une «idée», fille d'une véritable obsession : doter la ville d'un événement culturel important et qui marquera le temps et les esprits? une rencontre autour du théâtre? avec des troupes volontaires et volontaristes? Mostaganem pouvait valoir bien mieux qu'Avignon, n'est-ce pas ?.

Pas facile dans un système alors résolument autoritariste, sous tutelle d'un Parti unique, «dominant et hégémonique», sourcilleux et soucieux de ses «prérogatives révolutionnaires». Encore que? le parti avait d'autres chats à fouetter, avec un 19 juin pas si lointain et un Pouvoir qui cherchait à récupérer la société civile, celle de l'Algérie profonde, par le biais d'une Révolution culturelle.

 Inauguration (bien plutôt démarrage) : 1er septembre 1967.Dans un «obscur siège des Sma» et grâce au Croissant rouge? et aux commerçants de la ville, surtout les grossistes, ce qui permettait de bien nourrir son monde (Mustapha Kateb, le directeur du Tna, avait, dit-on, effectué spécialement le déplacement depuis Alger et aurait remis discrètement une somme de cinq millions de centimes qui ira directement dans la cagnotte du festival). Dix troupes au rendez-vous dont quatre originaires de Mosta. Bigre ! Que de chemin parcouru. On a même vu des soirées avec 10 000 spectateurs (au stade Benslimane). Qui dit mieux, qui dit plus ? Aujourd'hui, en juin 2014, on en est à la 47 ème escale, celle du Festival national du théâtre amateur de Mostaganem. Une ville marquée par bien des hommes et des événements culturels (Kaki, Khadda, Z. Bouadjadj, Cheikh Hamada, Tengour?) ?et, aussi , son agriculture terrestre (boostée par le mythique Ita) et maritime (quel poisson, mes amis !) , mais dans l'imaginaire collectif culturel et intellectuel, il y a toujours le Fntam. et, il y a le souvenir d'un grand homme de l'action culturelle mostaganémoise et nationale, décédé le 10 juin 1990, à l'âge d'à peine 70 ans. Décidemment, la culture en Algérie, ça use ?et c'est ingrat !

Tout le reste est une toute autre histoire marquée par des hauts et des bas? avec une «descente aux enfers », des tentatives de récupération, des mises à l'écart, des erreurs de «casting», des heures de gloire, des audaces, la venue (4è édition) du tamazight, les dettes, les entourloupettes, le bénévolat, les tentatives islamistes pour imposer une chappe sur les œuvres?

Ce qui est sûr, c'est que l'aventure intellectuelle, une des plus grandes du pays, continue.

L'Auteur : Aziz Mouats, né en 1950 à Skikda, est de formation agronome . Installé à Mostaganem, après ses études à l'Ita, je crois, depuis fort longtemps, il est, aussi, journaliste et enseignant universitaire, Surtout, un militant infatigable de la mémoire.

Avis : Défense et illustration du théâtre amateur national, mais surtout hommage rendu à des hommes de bonne volonté et à une ville ouverte à la culture populaire. Les gens de Mosta ont bien de la chance d'avoir un skikdi (l'auteur), ce qui me remplit de fierté, et un tlemcénien (le préfacier)? un ami dont j'ai apprécié, sur le terrain et apprécie toujours le talent d'écrivant et l'engagement. Ce qui démontre la qualité et l'objectivité du contenu? Avec un certain engagement !

Extraits : «Dans tout travail de mémoire, il y a toujours deux risques, celui impardonnable de la subjectivité et du parti-pris, et celui factuel de la défaillance mémorielle » ( p 15).

ENCYCLOPEDIE DE LA POESIE ALGERIENNE DE LANGUE FRANÇAISE (1930-2008). Recherche de Ali El Hadj Tahar (Deux tomes/157 poètes). Editions Dalimen, Tome 1 : 461 pages / Tome 2 : 493 pages ; les deux pour 2.200 dinars, Alger 2012

On a déjà eu des encyclopédies et des dictionnaires biographiques sur la vie culturelle du pays, mais c'est, à mon avis, la première fois qu'une Encyclopédie aussi vaste nous est présentée? en Algérie, par un auteur Algérien. Un énorme travail abattu : 112 pages pour la présentation avec des textes courts mais clairs qui nous éclairent sur le cheminement difficile et souvent douloureux ou tragique d'un genre littéraire encore assez incompris? et pourtant aimé tous les jours (avec un retour sur «la période coloniale», «les années 1960», «les années 1970, «les années 1980», «les années 1990 et 2000», mais aussi la «poésie intellectuelle», les «femmes rebelles et plume au vent»? et , bien sûr, l'inévitable problématique de «la francophonie»).

L'approche chronologique obéit à une logique qui a permis de cerner tous les aspects. Elle a permis, à l'auteur, «de chevaucher les périodes politiques que l'Algérie a traversées et qui correspondent à des préoccupations esthétiques, philosophiques et morales particularisées et dominantes dans les littératures qui en sont issues»

Durant la période coloniale, la poésie a été d'abord et avant tout une arme de combat. Celle des années 60 s'est caractérisée par la revendication et la définition de l'identité nationale et l'énonciation d'un projet de société. Durant les années 70, il y a fusion des idéaux poétiques avec le projet politique. Durant les années 80, succession de problèmes... la paix sociale est rompue. Malgré tout, une certaine fidélité aux idéaux de justice et de droit. Les années 90 voient la lutte pour rétablir l'espoir et exorciser «les noirs desseins qui pèsent sur le pays».

Chose importante à souligner, la poésie algérienne de langue française a toujours refusé de se définir par une rhétorique théorisée et balisée à l'avance dans un manifeste. Sa finalité admise, c'est son contenu, qui fuse dans des mots savants, ou dans le lexique du quotidien des masses, dans les vers rimés, dans la poésie en prose? Des styles divers? avec des sujets lisibles, «ce qui la destine au lecteur qui aime le Beau enrobé de sens». Profitez-en donc pleinement ! Car, vous avez 157 poètes présentés dans l'ordre alphabétique, ce qui facilite la recherche : de Aba Sourdine et Ahmed Arua à ZI rem Yousef et Jean Sénac, en passant par Haddad Malek, Hadj Ali Bachir, Kateb Yacine et Safi Kentaou : Une bio-express, l'œuvre poétique, l'œuvre, des poèmes ou des extraits de poèmes? Des vers bien pleins. Au service de votre santé morale !

L'auteur termine par une conclusion cependant bien amère. Le militant prenant le pas sur le chercheur ? : Malgré tout le mal qu'il se donne, le poète (en français ou en arabe), devenu un exclu et un reclus dont les œuvres ne sont même pas repris dans les manuels scolaires, n'est pas, n'est plus, comme l'étaient Kateb Yacine et bien d'autres, la conscience de son peuple... «les valeurs ayant subitement changé, les opportunistes et les corrompus (?) devenus les références populaires»? Le militant a bien raison. Hélas !

L'Auteur : Ali El Hadj Tahar, né le 18 mars 1954 à Merad (Tipasa) est journaliste? mais aussi peintre? et, bien sûr, poète

Avis : Digne de figurer dans votre bibliothèque. Et, qui aime (la poésie et les belles ?lettres) ne compte pas, n'est-ce pas ?

Extraits : «Ce n'est pas la faute des militaires si notre démocratie est encore mensongère, et qui, d'ailleurs, vaut mieux que le repas de sang et d'intolérance servi à la table des fanatiques «(p 21), «En s'emparant d'une langue étrangère, les poètes algériens en ont fait un outil charnellement expressif, profondément lié à leurs racines, à leur âme et à leur histoire» (p108), «La «démocratie» du dernier despote, au lieu de permettre le déploiement du génie créateur en est devenue le tombeau et celui de tous les rêves» (p 112).