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Gaz de schiste : on n'a pas le droit à la fracture !

par Abdellatif Bousenane

Les impacts environnementaux et sanitaires que peut provoquer la fracturation hydraulique (fracking), la technique utilisée à présent pour extraire des énergies fossiles non conventionnelles communément appelées « gaz de schiste », suscitent beaucoup de débats et controverses pas seulement dans notre pays mais dans le monde entier.

Une partie des habitants du Sud notamment à In-Salah manifestent toujours leur refus à l'exploitation de ces ressources. Ils demandent,en fait, un moratoire. Il est très claire néanmoins que le nœud du problème dans ce dossier, d'une importance stratégique, est typiquement technique et donc scientifique.

Le risque majeur à craindre réside dans la méthode / technique utilisée dans le forage et non pas dans le gaz de schiste lui-même. La question principale qu'on doit se poser ainsi : Est-ce que la fracturation hydraulique constitue un risque majeur et néfaste pour l'environnement? Je souligne le mot majeur parce que les risques et dangers liés à la pollution qui affecte l'environnement et la santé de l'homme sont très nombreux dans nos sociétés actuelles. Le pétrole conventionnel et toute l'industrie pétrochimique qui en découle sont très polluants. Ainsi pour l'industrie cimentière et beaucoup d'autres industries qui portent en leur sein une part de risques environnementaux potentiels et/ou avérés.

DEUX ECOLES, DEUX TECHNIQUES :

Seules les scientifiques spécialistes dans ce domaine de compétence, dès lors, peuvent nous éclairer, effectivement, sur les éventuels risques majeurs de cette technique. Et ce n'est surtout pas les politiques, doctrinaires, intellectuels?etc. Alors qu'un large éventail d'acteurs technico-scientifiques sont, décidément, partagés. Ce qui rend une connaissance exacte et tranchée en la matière très problématique. En tout cas, nous avons là deux grandes tendances qui se distinguent clairement :

La première est formée d'experts très septiques qui ne préconisent ni l'exploration, ni l'exploitation de cette énergie. Ils considèrent, en effet, que la technique contient un risque de grande ampleur car et selon les spécialistes de l'Institut Français du Pétrole, on a observé

« ?de fuites importantes de gaz dans l'environnement et de contamination de nappes phréatiques superficielles par du gaz et des fluides de fracturation, en raison d'un défaut de cimentation de la partie supérieure du forage.... ». Un deuxième risque pas négligeable, c'est la consommation exorbitante de l'eau. Un forage nécessite quelque 20 millions de litres d'eau, soit la consommation quotidienne d'environ 100.000 habitants. À cela on peut rajouter également « le « mitage » des écosystèmes et des paysages ». C'est-à-dire, elle peut provoquer une fragmentation des paysages.

La deuxième tendance est composée d'experts moins septiques avançant l'argument selon lequel ils existent des techniques d'exploitation propre du gaz de schiste en vue. Dès lors,

peut-on améliorer les techniques d'extraction pour exploiter sans risque ces réserves ? C'est la question centrale envers laquelle seule une réponse affirmative peut éventuellement tempérer les craintes et doutes qui entourent ce dossier.

Développée en Chine, elle utilise au contraire des composants inertes, non toxiques et non caustiques. C'est la nouvelle technique d'extraction, appelée Extraction Exothermique Non hydraulique, ou fracturation sèche, dans laquelle on n'utilise ni eau, ni produits chimiques. Les études dans cette perspective peuvent évoluer, en revanche, dans les années avenir et on peut ainsi limiter les risques au moins au niveau des industries pétrochimiques déjà existantes.

Si, à titre d'exemple, l'exploration de cette énergie est interdite en France depuis la loi du 13 juillet 2011, « ...un répit qui appelle toutefois une attention soutenue face aux rebondissements possibles des arguments et des techniques... ». Selon la même loi. Autrement dit, même les pays dont l'exploration par fracturation hydraulique est interdite temporairement, leur attention est toujours vive quant à de nouvelles découvertes technologiques pouvant assurer une sécurité optimale face à quelconque danger environnemental. Quant aux États-Unis d'Amérique l'exploitation de ce gaz bat son plein depuis déjà une dizaine d'années.

POLITIQUE S'ABSTENIR !

Pour mesurer, en fait, l'échelle de grandeur dont il est question ici, il faut tout de même souligner qu'après la Chine et l'Argentine, l'Algérie est la troisième réserve au monde avant les États-Unis d'Amérique. Par ce fait, ce dossier d'une importance majeur pour notre pays doit être traité d'une manière scientifique et technique loin de toute instrumentalisation et conflit politique, idéologique ou même sentimentale.

Il est vrai que la carence en matière de communication enregistrée dans l'action gouvernementale accentue davantage ces tentations politiciennes qui visent une récupération malsaine de cet événement. Car, le fait d'attendre plusieurs semaines pour expliquer d'une manière timide aux populations qu'il s'agit juste des actions d'explorations et non pas d'exploitation, qui ne sera pas effective qu'a l'horizon 2022 si tout va bien, n'est vraiment pas compréhensible. Le sujet mérite beaucoup plus d'attention et une politique de communication qui s'appuie sur des outils pédagogiques dans une démarche stratégique plus large de la circulation de l'information, visant à administrer une campagne globale pour l'éveil des consciences, afin de susciter l'adhésion de la population aux mesures qui sous-tendent la mise en œuvre de l'exploration de ces ressources non conventionnelles.

En parallèle, dans le court terme nous ne sommes pas dans la capacité de devenir une puissance industrielle pour des raisons qui trouvent leurs origines dans quelques composantes psychosociales de nos habitus et conscience collective, essentiellement la perception de la valeur « travail » et le facteur « temps ».

Puis, dans les contraintes déterministes plutôt internationales. Il s'agit bien évidement de l'hégémonie de la civilisation dominante qui, par sa mainmise économique et politique sur une large partie de pays du sud, nous prive d'une manière directe et indirecte de tout transfère technologique d'une ampleur nécessaire à toute industrialisation à grande échelle. Pas seulement en Algérie mais une grande majorité des pays sur cette planète se trouve dans cette situation là.

Sur environ 190 États dans le monde, il y a seulement une vingtaine de pays industrialisés. Même une ancienne puissance industrielle comme la Russie est confrontée aujourd'hui à de graves difficultés économiques à cause justement de la chute des prix des hydrocarbures. Sans parler d'autres pays beaucoup moins industrialisés tels que : l'Iran, le Venezuela, le Nigeria ...etc.

ET LA SOLUTION ?

À partir de ce constat, la conclusion est d'une évidence indiscutable. Bien sûr, dans la configuration expansionniste économiste actuelle qui est basée essentiellement sur la croissance du PIB, le seul paradigme de développement universel existant. Le gaz de schiste est d'une importance stratégique voir vitale pour l'avenir de notre jeune État-Nation qui doit réunir les algériens de tous bords idéologiques. Si la fracturation hydraulique est discutable techniquement, nous n'avons pas le droit à la fracture, ni à la division et clivages politiques sur ce sujet. À moyen terme notre pays peut devenir, si on arrive à sécuriser d'une manière sûre l'exploitation du gaz de schiste, une puissance énergétique mondiale comme la Russie, l'Arabie Saoudite et les USA. Les ressources financières tirées de cette « affaire », à savoir des centaines de milliards de dollars par an (actuellement 53 milliards de dollars par an en moyenne sur les dix dernières années), peuvent ainsi nous permettre de négocier d'une position de force sur le transfère technologique et par conséquent la possibilité d'un financement conséquent au bénéfice d'une industrialisation massive du pays qui va reconfigurer certainement la structure et les fondements de notre économie.

Vouloir arrêter purement et simplement et d'une manière définitive les études, l'exploration et la recherche de cette énergie n'est pas raisonnable. Pire encore, il va à l'encontre des intérêts suprêmes de l'État. Car si les risques de la « fracking » sont avérés, on en a encore plusieurs techniques nouvelles en vue.

Ainsi donc, et malgré la nature controversée du dossier, la dépolitisation de ce débat est nécessaire voir obligatoire. Associer les populations des régions concernées, notamment les universitaires et techniciens parmi eux, en aval et en amont des opérations de recherches et d'explorations en explicitant d'une manière pédagogique très claire et dans la transparence la plus totale pour ne laisser aucune ambiguïté ou quelconque angle d'ombre, est la solution la mieux adaptée, à mon sens, pour éviter toute instrumentalisation politique qui serait beaucoup plus néfaste que le gaz de schiste. Ainsi un moratoire, évidement, s'impose. Cela va de soi.