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La Suisse sème la pagaille sur les marchés

par Akram Belkaïd, Paris

Mais quelle mouche a donc piqué la Banque nationale suisse (BNS) qui vient de semer la panique sur les marchés de change et à la Bourse de Zurich ? L’affaire a commencé jeudi 15 janvier lorsque la Banque centrale helvétique a annoncé qu’elle abandonnait sa politique consistant à lier le franc suisse à l’euro. De manière plus précise, la BNS a décidé de supprimer le cours plancher entre les deux devises (1 euro pour 1,20 franc suisse). Pour mémoire, depuis 2011, l’institution monétaire intervenait sur le marché dès lors que la valeur du franc suisse augmentait. Techniquement, cela passait par des achats massifs d’euros afin que la devise européenne s’apprécie elle aussi (afin de protéger la compétitivité du « made in Switzerland »). Avec l’abandon du pivot, le franc suisse a pris plus de 20% quelques jours et désormais sa parité est de 0,98 pour 1 euro. Une tendance qui a provoqué la chute de la Bourse de Zurich (-8,7 % jeudi et -6% vendredi) où les titres des sociétés exportatrices ont dévissé. On le sait, quand une monnaie s’apprécie, cela pénalise les entreprises qui vendent à l’étranger, autrement dit 80% des grands acteurs de l’économie helvétique.

Une décision assumée

Pour Thomas Jordan, le président de la BNS, il était temps que son établissement reprenne la main sur sa politique monétaire à long terme et qu’il mette donc fin au lien entre euro et franc suisse. Selon ce responsable, dont nombre d’acteurs suisses des marchés ont exigé la démission, le plancher a été mis en place en 2011 quand l’euro connaissait une phase d’expansion. Aujourd’hui, et alors que la devise européenne connaît un accès prolongé de faiblesse, la BNS a jugé nécessaire de laisser le franc suisse flotter librement. Et d’affirmer que les turbulences des marchés finiront par se dissiper quand les parités entre monnaies atteindront l’équilibre.

De nombreuses voix se sont élevées pour reprocher aussi à Thomas Jordan le fait qu’il n’ait pas préparé les marchés à cette décision. On le sait, depuis quelques années, la Banque centrale européenne (BCE) ou la Réserve fédérale (Fed) ont une communication précise, où chaque mot est pesé et où les décisions à venir sont toujours annoncées en filigrane. De quoi faire plaisir aux marchés qui, jusqu’à la fin des années 1990, vivaient dans la hantise d’une annonce surprise de ces institutions monétaires à l’image de la Fed qui augmentait ou baissait ses taux sans préavis. En abandonnant brusquement le taux plancher, la BNS a donc renoué avec des pratiques que l’on croyait oubliées et qui ont semé la confusion parmi les acteurs du marché des changes. Une décision assumée par Thomas Jordan pour qui, il était nécessaire de surprendre les marchés afin que la mesure soit efficace.

Un avertissement concernant l’euro

Il reste maintenant à savoir combien de temps les turbulences vont durer. Une chose est certaine, les exportateurs helvétiques vont être pénalisés, mais aussi l’industrie du tourisme suisse puisqu’avec un franc suisse fort, les visiteurs étrangers vont préférer d’autres destinations. Mais le point important de cette évolution réside peut-être dans le fait que la BNS a d’autres motivations. En effet, on peut se demander si la Banque centrale n’anticipe pas une plongée de l’euro en raison des difficultés politiques, économiques et sociales que connaît actuellement l’Union européenne (UE). L’intervention de la BNS serait donc destinée à éviter que le franc suisse ne plonge avec la devise européenne. Question simple : à quel niveau, la Banque nationale suisse s’attend-elle à voir l’euro tomber ? En ce sens, la décision de Thomas Jordan sonne comme un augure à ne pas négliger.