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La fragilité de la mosaïque

par Bouchan Hadj-Chikh

Quel cirque !

Les américains appellent petite ville ce que vous et moi appellerions village. Et le village, dont je voudrais vous parler, s'appelle Athens. Dans l'Ohio. Les étudiants de l'Université, autour de 18.000 jeunes gens, sont studieux, sérieux cinq jours par semaine. Le vendredi soir, cependant, la veille de leur départ pour rejoindre leur famille pour le week-end, ils se lâchent, peuplent les bars, dont celui d'un américain d'origine syrienne, Samir. C'est là où, un soir, il y a bien longtemps, étudiantes et étudiants, toutes origines confondues, asiatiques, blancs, afro américains et quelques algériens, trois pour tout dire, s'agitaient sur la piste centrale en prétendant danser, sans s'inquiéter qui était en face d'eux, tandis que d'autres partageaient les mêmes tables, d'autres encore se bousculaient, courtoisement, le long du zinc pour se faire servir par un géant afro américain, un doctorant en physique, sympathique, très actif, toujours souriant. Souriant jusqu'à ce qu'un malpropre se fasse un chemin dans sa direction, à coups de coudes, pour lui crier sa commande en ces termes : " hé toi, le nègre, envoies moi un Daniel's".

Le serveur s'essuya les mains dans une serviette - il était toujours propre nickel - se pencha en avant comme il l'aurait fait pour le faire répéter ce qu'il lui avait cru entendre, agrippa l'homme par le col, le tira par-dessus le baret lui balança le plus magistrale direct en pleine figure qui envoya valdinguer l'homme quelques mètres plus loin.

Une scène de western classique ? Pas tant que ça. Car le mouvement des clients qui suivit stupéfia les algériens : la piste de danse, soudain, se fendit en deux. Peut-être trois. D'un coté, ils virent les blancs regroupés, prêts à en découdre, de l'autre, les afro-américains décidés à ne pas laisser passer l'ouragan les bras croisés et, enfin, entre les deux, ne sachant quoi faire ni quel parti prendre, une " buffer zone ", une zone tampon constituée des étudiants d'autres origines. Les trois algériens, avant de se faire une idée de ce qui se passait virent des policiers, à la suite du sheriff, débouler pour mettre fin à l'empoignade et conduire, au hasard, quelques témoins et les deux protagonistes

Le melting-pot qui fait la fierté de l'Amérique venait, encore une fois, de prendre un sale coup. Mais ce melting pot est leur nature, n'est-ce pas ? Ils font avec. Et il tient.

Les algériens furent les invités de marque du Sheriff.

Et le lendemain ils furent ceux du juge qui s'est bien marré avec eux.

Oui, quel cirque !

J'y pensai ce Vendredi 7 Janvier 2015, et les jours suivants quand, à la suite du terrible assassinat des journalistes de Charlie Hebdo (d'où fut éjecté en 2008 le dessinateur Siné, ami de l'Algérie, pour une caricature jugée " antisémite ", par un certain Philippe Val, alors directeur de la publication, qui publia, au nom de " la liberté de presse ", bien sûr, les caricatures islamophobes).

Sur les écrans des télévisions, certains représentants de la " communauté " musulmans de France se crurent obligés de clamer que ces crimes odieux n'étaient pas exécutés en leur nom - ce qui allait de soi, mais il fallait le répéter, le croyaient-ils (1) -tandis que la communauté juive, de son coté, se réunissait devant le super marché Hyper Kasher, lieu du meurtre de quatre innocents, pour clamer une autre évidence - qu'il fallait rappeler, là aussi, aux yeux de certains - selon laquelle ils étaient français et heureux de l'être. En terre française, selon s'entend.

Heureux ?

M. Netanyahu les rappela à l'ordre à 8.000 kilomètres de là. Les juifs disposent d'un " foyer national ", dit-il à leur adresse. Pour leur " Alya ". Le " retour " en " terre promise ". Puis il prit l'avion pour le leur répéter de vive voix, sans doute, avant assister au défilé" républicain ", à l'invitation du chef de l'état français.

Ni les dirigeants Papou- pour lesquels j'éprouve le plus grand respect - ni les Allemands, ni les Maghrébins, ni les Britanniques, ni les Africains - 44 pays étaient représentés au niveau des présidents, des premiers ministres ou des ministres, à l'exception des pays asiatiques, absents, encore moins le Président Barak Obama ou son Vice Président - ne crurent utiles de prononcer une telle énormité aux enfants et, souvent, aux petits enfants de leurs ex nationaux émigrés. Netanyahu, osa. Du coup, dans mon esprit, il faisait exploser le fondement de la République Française, une et indivisible, comme il est dit, laïc, surtout, dont les socles sont Liberté, Egalité, Fraternité. Les principes fondamentaux de la Révolution de 1789 (violés par les expéditions coloniales, la traite et, de nos jours, la Mondialisation).

Personne n'a osé donc dire à ses nationaux que la France était incapable d'assurer leur sécurité, qu'ils étaient moins libres, moins " égaux " que le reste de la population. Et qu'ils demeuraient, par dessus tout, et avant tout, " israéliens ".

Ce qui sous entendrait donc un soupçon de défaut d'allégeance de leur part, comme de la part des maghrébins de lointaine origines installés depuis des lustres dans ce pays. Ce qui pourrait se dire des africains, des asiatiques etc.

Suivant cette déclaration, et en exagérant à peine, à la suite de cette singularité avouée, tous les Français vont devoir s'identifier, désormais, se reconnaître entre eux entant que Juifs français, Catholiques français, Musulmans français, Bouddhistes français, animistes ou athées français. Puis, chaque fois qu'un événement survient dans le monde impliquant une partie infime de leur communauté respective, le dénoncer en tant que groupe ethnique. Dans la même veine, les Français, chez eux, devront se redécouvrir Ch'ti du nord, Breton de l'Ouest, ou encore Nisard du sud, Corse ainsi que ressortissants des Départements et Territoires d'Outre Mer, les DOM-TOM, portant sur soi des cartes d'identités, comme auparavant, au Rwanda, la mention " Hutu " ou " Tutsi ". Ou des documents, dans un autre pays " démocratique ", la mention " blanc " ou "noir ".

Le melting pot américain? à la sauce française ?

Destinée à la France Jacobine, une et indivisible ?

Aucun officiel donc ne trouva à redire sous peine d'être accusé de propos ou d'intention diffamatoire et qualifié, dans la foulée, d'antisémitisme.

En dehors du rabbin de Paris qui lui rappela qu'il était Français et heureux en France.

La dangerosité de la déclaration de M. Netanyahu n'a d'égale que l'explosion de la bombe déposée par un agent du Mossad dans Synagogue de Baghdad qui fit de nombreux morts, acte qui donna le signal à l'émigration de la population irakienne de confession israélite vers les territoires occupés.

Le 19 Mars 1950. Elle survient quelques jours après celle du Dr Kouchner, ancien ministre de la République qui indiquait le caractère raciste des Français, attribuant la détestation de l'ancien président Nicolas Sarkozy au fait qu'il soit d'origine juive.

Qui vise l'implosion ?

Qui vise l'explosion ?

Des spécialistes de ce que l'on nomme, par abus de langage, " les théoriciens du chaos ", le disent déjà à leur manière.

Les identités, je n'y crois pas. trop Là ou ailleurs.

Mais il ne faut pas être seul à y croire.

Si la justice était ? juste, si les règles d'association étaient clairement définies, si la répartition des richesses n'était pas contestable, nulle entité, qu'elle soit religieuse, culturelle ou ethnique ne serait capable de mobiliser les individus en faveur de la rupture, de la fracture entre les hommes. Ni élèverait un mur qualifié " de la honte " là-bas, pour le remplacer, aujourd'hui, par un sympathique " mur de séparation " en Palestine occupée, comme pour dire " nous faisons chambre à part ".

Il existe des zones. Celles des laissés pour compte. Des pays dominés. Des états loubards évoluant dans les " zones de non droit ", ces zones qui conviennent si bien dès lors qu'elles ne débordent pas. Daesh, le pseudo califat. Les milices anti syriennes. Ou encore. Celles de ces jeunes qui, perdant la raison de vivre " cherchent une raison pour mourir ", selon Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux.

L'ancien ministre de l'intérieur, M. Charles Pasqua, qui a son franc parlé, disait, au premier jour de ce grave événement, - je le paraphrase - qu'il faut chercher dans l'abandon des banlieues les germes à ces dérives de jeunes gens.

Dans les années 80, au cours d'un débat devant les caméras de la TV, il demandait, à un jeune homme issu de la seconde ou troisième génération d'immigré, qui se plaignait d'être " largué ", pourquoi il ne demandait pas la nationalité française et voter pour élire ses représentants pour défendre ses droits. Vrai.

Ce jeune, depuis, a ses papiers français, en règle.

Mais cela ne suffit pas toujours.

Les effets des papillons pervers, les bombardements aveugles en Afghanistan, en Syrie, en Irak, au Mali et ailleurs - où les hommes en armes sont qualifiés, un jour, de combattants de la liberté, de moudjahidine, le jour suivant de taliban, de fondamentalistes, de barbares selon la bourse des valeurs des combats à l'aune des intérêts des puissances - ne peuvent laisser indifférents tous les hommes.

Ainsi donc, s'il faut soutenir la France de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité, le combat pour un monde pour de semblables valeurs méritent également que l'on s'y engage.

Pour lui éviter l'éclatement.

PS : 14 journalistes palestiniens tués durant les derniers quatre mois par l'armée d'occupation. Une seule mention du premier caricaturiste palestinien assassiné. Naji el Ali. C'était à Londres en 1987 (2).

(1) " On s'inquiète de voir les musulmans modérés ne pas réagir. Il n'y a pas de musulmans modérés en France, il n'y a pas de musulmans du tout, il y a des gens qui sont de culture musulmane, qui respectent le ramadan comme moi je peux faire Noël et bouffer de la dinde chez mes parents, mais ils n'ont pas à s'engager plus que ça contre l'islam radical en tant que musulmans modérés, puisqu'ils ne sont pas musulmans modérés, ils sont citoyens " disait Charb, directeur de la publication de Charlie Hebdo sur le site ventscontraires.net, extension du Théâtre du Rond-point

(2) L'un des derniers dessins de Naji al-Ali, caricaturiste palestinien assassiné le 22 juillet 1987, à Londres, par le Mossad.