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Glissement des repères et sagesse du milieu furtif

par Abdelhamid Charif

En absence de lois tempérantes et contraignantes, la précieuse liberté se laisse pousser des griffes et finit anarchiquement par atteindre et écorcher tout le monde, y compris les plus puissants ; et en absence de repères fixes, la notion d'errance n'a aucun sens et tout égarement intellectuel aspirerait au statut de percée socio-anthropologique.

Et en défiant et cassant les tabous sociaux, l'élite avant-gardiste pourrait prétendre révolutionner la philosophie et l'étouffer de rationalité et de modernisme, en renouvelant les mœurs et vertus à travers la réhabilitation généreuse et permissive d'anciens vices. Telle pourrait être en fin de compte la religion évolutive, par petits égarements successifs, d'une société sans religion.

ET POURTANT PERSONNE NE NIE SA ROTATION

En dépit de leurs appels en nombres pléthoriques, en quantité et en qualité, pour l'abrogation de la peine capitale jugée inhumaine, je n'arriverai sans doute jamais à comprendre ces frères intellectuels musulmans, pratiquants ou non, et il m'arrive même de m'interroger sur la qualité de leur sommeil. On pourrait pourtant bien fermer l'œil sur leur forcing argumenté par de prétendues pressions internationales, même si bizarrement dans beaucoup de pays musulmans économiquement et stratégiquement plus importants et ayant adhéré avant l'Algérie aux organismes internationaux, le sujet est simplement intouchable, et même si paradoxalement en Amérique, qui domine ces mêmes organismes, la peine capitale est étrangement toujours appliquée dans certains Etats. Alors s'agit-il d'un discernement salutaire décroché de l'université de la sagesse, où le plagiat est non seulement toléré mais encouragé ? Et dans ce cas les textes législatifs et les interprétations religieuses médiévales n'ont d'autre choix que de s'adapter. Ou bien s'agit-il d'une énième singerie symptomatique d'une admiration et envie désespérées envers ceux-là même qui jalousent viscéralement les musulmans, car se retrouvant éperdument sans religion ?

Depuis le 22 Juin 1633, date du célèbre procès d'inquisition de l'église contre la science, quand le savant Galilée forcé de se désavouer en public ne pouvait que murmurer "Et pourtant elle tourne !", le christianisme n'existe en fait que sous forme de folklore culturel. Les fêtes religieuses sont les premières à le confirmer puisque c'est durant ces périodes que l'on transgresse le plus les préceptes du christianisme.

Si dans l'esprit des sociologues et philosophes, authentiques ou ainsi considérés, une exception, voire plusieurs, ne fait que confirmer la règle, en revanche pour les mathématiciens et savants rigoureux et intransigeants, il suffit d'un seul contre-exemple pour démolir toute une théorie, et de surcroit une religion.

Peut-on donc évacuer et se débarrasser totalement de sa religion scientifiquement discréditée, ainsi que toutes ses contraintes morales, et arriver quand même à garder toute sa sérénité ? Surtout si en face, d'autres s'accrochent tant bien que mal à la leur sans tomber sous le charme des projets soutenus de folklorisation, et en dépit d'un affaiblissement aussi endogène qu'exogène ?

Le dernier texte de la révélation divine, le seul à échapper à l'édition humaine, fournit des réponses très claires :

"Beaucoup de gens des Écritures, après s'être rendu compte de la justesse de votre cause, brûlent d'envie, par pure jalousie, de vous faire abjurer votre foi et de vous ramener à l'impiété", Coran 2/109. "Tu ne seras agréé ni des juifs ni des chrétiens que lorsque tu auras suivi leur confession", Coran 2/120.

Cette passion "Je t'envie, moi non plus" n'est toutefois pas frontalement conflictuelle, car alors qu'un côté veut tout simplement déraciner l'autre, il se trouve qu'une bonne partie en face ne demande en fait que cela. Et la cohésion chez les plus puissants débridés n'est pas totale non plus, car certaines élites, dont des savants de premier ordre, n'éprouvent aucune gêne à nager à contre-courant et choisir l'Islam, ou du moins à reconnaitre ses mérites comme seule véritable religion. Contentons-nous seulement de deux exemples, comme il n'en existe presque plus, de figures emblématiques de la science, littérature, et politique, apportant leurs témoignages sur l'Islam sans l'embrasser :

Goethe : "C'est dans l'Islam que je trouve le mieux exprimées mes propres idées."

Sir Bernard Shaw : "Il n'y a qu'une seule religion même si on trouve une centaine de versions. Si une religion a des chances de gouverner en Angleterre, voire en Europe, dans un siècle, ce sera l'Islam."

DECULTURATION ET CUEILLETTE DES INTELLECTUELS MUSULMANS

Louis Massignon, ce compagnon français de Laurence d'Arabie, islamologue, "formateur des théologiens musulmans", et pacifiste voulant du bien à toute l'humanité, n'avait qu'un livre pour ennemi et un seul serment déclaré, "Enterrer le Coran" ; même si plus tard il identifiera deux autres ennemis, Bennabi et son ami Ben-Saï. Cette araignée, ainsi surnommé par Bennabi, a tout fait en compagnie de ses élèves musulmans assidus pour concrétiser le rêve commun de rapprochement pacifique interreligieux. Et n'a-t-il pas réussi ? Il a même en outre triomphalement annoncé le retournement du Marocain "El-Hadj Abdeldjalil" en "Père Abdeldjalil". Et sa toile d'araignée, qui lui a survécu, continue inlassablement cette œuvre de rapprochement et de récolte, même si les méthodes ont forcément changé. Le quotient intellectuel ayant chuté des deux côtés, les indignes héritiers de Massignon ne s'en sortent toutefois pas si mal. Ils se contentent de l'emballage culturel et linguistique comme hameçon, tout en en prenant soin de l'assaisonner de décors excitant et entretenant les instincts et plaisirs de la chair. Carrément scotchées aux chaines et autres médias étrangers, des élites musulmanes apprennent et avalent à bouchées doubles, des stéréotypes et autres formules toutes faites, en langue de Shakespeare ou de Molière, croyant ainsi se cultiver alors qu'en fait ils ne font qu'anesthésier et scléroser leur facultés de pensée autonome. Charmés, éblouis et complètement envoutés, certains prennent immédiatement acte de leur infériorité, alors que d'autres découvrent graduellement qu'en fin de compte ils n'ont plus du tout à rougir ni dissimuler ces pseudo-dérapages, considérées à tort comme des écarts culturels dans leur entourage immédiat, et qu'en fait ils peuvent même constituer des valeurs ajoutées pourvu que l'on dispose de suffisamment de talent pour les investir.



GLISSEMENT DES REPERES ET RETRO-MECANIQUE DE L'ACTION-REACTION

Le recul du Christianisme s'est inévitablement répercuté sur les mœurs, et la permissivité qui était lente et limitée au début, a fini par prendre une allure vertigineuse à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle, coïncidant notamment avec le développement rapide des technologies de communication. Ainsi l'adultère, l'union libre, l'avortement, et même le divorce, qui étaient moralement et même juridiquement condamnés, ont fini pas être banalisés, acceptés et même parfois célébrés. L'évolution de la tenue vestimentaire est très significative et mérite d'être évoquée. Initialement pas très différente de celle des femmes musulmanes, la tenue féminine commença d'abord par se débarrasser du foulard, puis se mit à relever graduellement le niveau des robes et jupes pour aboutir aux mini-jupes et bikinis, avant la grande consécration des tenues à zéro-pièce dans des plages naturalistes et autres concours et manifestations subtilement qualifiés de culturels et artistiques.

N'ayant par la suite plus rien d'autre à dévoiler, et afin de continuer la marche du progrès moderniste, on s'est alors occupé de l'homosexualité, et de nos jours un politicien qui s'oppose à l'homo-mariage doit simplement en tant qu'ex-politicien enterrer son ambition. Les éclaireurs sociaux peuvent peut-être prédire pour nous si demain, l'épanouissement du "Mariage pour tous" sera démocratiquement et généreusement étendu aux amis les bêtes, sans même demander leur avis.

Une recette efficace et récurrente, parfois fortuite, visant à faire digérer et réhabiliter des vices pervers, c'est à travers la victimisation des auteurs des scandales, suite à des menaces et même agressions ou crimes. Ainsi une réaction stupidement démesurée ou ainsi jugée, peut être subtilement exploitée pour d'abord couvrir l'action douteuse avant de finir par la justifier et normaliser. Et malheureusement comme observé par Henry Malet, "Les bons prétextes ne manquent jamais aux mauvaises volontés". On les cueille facilement, notamment grâce au paradoxe des idiots de service, qui s'attaquent toujours sans se rendre compte aux thèses qu'ils prétendent défendre. Ainsi par exemple, les nombreuses agressions physiques et morales qu'ont subies les homosexuels à, travers les régions et les âges, ont fini par porter leurs fruits, tout comme d'authentiques sacrifices.

PSEUDO-SAGESSE DE L'INJUSTE MILIEU FURTIF

Les différents échelons de la perversion n'ont jamais pu être imposés par les pionniers de la dépravation. Ils n'ont en fait été franchis que suite aux concessions graduelles que la société, dirigée par ceux qui n'en sont pas dignes, a cédées par paliers successifs.

Ce sont les dirigeants élus ou auto-désignés et les sages autoproclamés qui, à travers la stupide pseudo-sagesse du juste milieu, ont petit à petit dévié leurs sociétés vers la déchéance morale, en s'évertuant à trouver à chaque fois, un compromis médian et plein de tolérance entre les uns et les autres.

Autrement dit, en référence aux repères moraux initiaux, la société doit continuellement s'adapter au milieu géométrique d'une demi-droite, avec une extrémité fixe et une deuxième débridée. C'est toujours ainsi, et sans doute seulement ainsi, que des sociétés et des civilisations se sont engouffrées dans la perversion, en changeant et perdant leurs repères sous le faux prétexte de tolérance médiane glissant invariablement dans une même direction. La locomotive de la perversion traine ainsi derrière elle, avec un certain écart d'une ou deux générations, les pseudo-sages et géomètres du juste milieu.

Ainsi ce seront sans doute nos sages meneurs du peloton, veillant à ne pas voir s'élargir l'écart par rapport au groupe des échappés, qui viendront nous proposer bientôt le fruit d'une réflexion responsable et modérée aboutissant à un compromis, médian et bien mesuré, du juste milieu, concernant le sort réservé à la peine capitale dans le pays.

LA MORALE ET LA LIBERTE ORPHELINES L'UNE SANS L'AUTRE

Les contributions et réflexions intellectuelles moralisatrices des uns parmi nous, ne doivent nullement viser à heurter les sensibilités et moralités des autres, ni à enfreindre leur liberté de pensée et de culte, imprescriptible et divinement accordée par Le Créateur ; car en fait la morale et la liberté sont toujours orphelines l'une sans l'autre.

Même si chaque côté peut prétendre assez légitimement détenir la vérité, la sagesse du juste milieu fixe et stable, autorise les uns et les autres à exprimer et défendre librement leurs thèses, sans tentation d'exclusion de l'autre, ni de sélection malicieuse n'accordant la voix qu'aux médiocres et mauvais avocats des adversaires. Toutefois quelles que soient les certitudes des uns ou des autres, dans les débats et dialogues directs, les bases élémentaires de respect mutuel exigent de la retenue et d'admettre, ne serait-ce que par décence de courtoisie respectueuse, une certaine marge de doute. Et de quelque côté qu'elle se trouve, chez ceux-là ou chez ceux d'en face, ou plus probablement quelque part entre les uns et les autres, la vérité ne doit heurter, ni effrayer ou faire peur à personne. Elle seule peut, pourvu qu'elle soit suffisamment approchée et dignement défendue, telle une chandelle solitaire allumée, éclairer et vaincre, grâce à son rayonnement, toute une ligue de ténèbres étagées ; et quand c'est le cas, il ne doit normalement y avoir aucun perdant, et tout le monde devrait sortir gagnant.

A la décharge de ceux qui, comme l'auteur, viennent de temps en temps partager ce genre de réflexions, il n'y a d'autre excuse à avancer que des contraintes plutôt obligeantes, qui à défaut d'être unanimement partagées doivent au moins faire partie des bagages de compréhension de l'autre, telle celle évoquée par le verset suivant : «Et craignez une calamité qui n'affligera pas exclusivement les malfaisants d'entre vous», Coran 8/25. A