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LES AUTRES GUERRES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

UNE EPOQUE PAS COMME LES AUTRES OU LE SORT D'UNE GENERATION. Essai de Salih Benkobbi. Editions Anep, 339 pages, 300 dinars, Alger 2002

S'il y a en un qui défend «bec et ongles» son engagement et ses convictions, c'est bien Salih Benkobbi. On ne pouvait attendre moins de quelqu'un qui, assez jeune, s'est engagé politiquement et pleinement, dans le mouvement national de libération du pays. S'il y a un qui a vraiment «l'Algérie dans la peau», c'est bien Salih Benkobbi.

Un riche parcours : Né entre les deux guerres mondiales, après avoir suivi des études coraniques, primaires et secondaires à Constantine, sa ville natale, il rejoint l'Université d'Alger en novembre 54. Membre fondateur de l'Ugema, participant activement à la grève des cours du 19 mai 56, arrêté lors de la Bataille d'Alger, il passe ses années de détention dans divers camps, dont ceux de Paul Cazelles et Bossuet, tous sinistres lieux de concentration, de répression, de tortures et de crimes.

L'Indépendance, enfin ! Diplomate, il assume également les fonctions de formateur au sein même du ministère et d'enseignant à l'Ena (qui, on le rappelle, a formé ? section Diplomatie, aujourd'hui disparue - durant longtemps et dès le début, un gros lot de diplomates dont bien des étrangers).

Un parcours qui nous permet de comprendre exactement, ou presque, le style de l'ouvrage. Un contenu rigoureux, parsemé d'anecdotes et de noms? ainsi que d'humour, afin de relancer la lecture et, surtout, pour nous faire revivre en direct des situations aujourd'hui, hélas, méconnues. Ainsi, du rôle positif joué par les nombreux Algériens d'origine européenne et autres Français libéraux : ils ont aidé, caché, soutenu, participé... Un contenu qui tient des mémoires, de l'écrit historique, de la sociologie politique, de la psychologie sociale (pour ne pas dire clinique)?et même de l'essai (de la morale ?). Destiné aux citoyens lambda, aux étudiants, aux enseignants, aux politologues et aux politiciens, aux moudjahidine (vrais ou faux), aux fils de chouhada et de moudjahidine... aux jeunes et surtout aux «tab djenanhoum».

Avec, parfois, des jugements (non ! plutôt des conclusions) sans appel,assez compréhensibles, en tout cas par tous ceux qui ont vécu et subi la présence, les vexations et l'oppression coloniales .Et, aussi, une certaine sévérité à l'endroit de ceux qui n'ont pas bien «continué» et «bien écrit» l'Histoire de la Révolution...une écriture qui, on l'oublie, ne s'est «libérée» qu'à partir des années 90. Et encore !... Les «ancêtres» n'ont pas tous désarmé, et ils ont même inventé d'autres parades pour la «diriger» encore et encore, la «contrôler» (sic !) et la «valider»(re-sic !)

Parties intéressantes à lire avec minutie : le mouvement estudiantin...et merci pour la justice enfin rendue au grand rôle joué par les lycéens durant la grève du 19 mai 1956. Il était temps ! Il y a, aussi, l'étude rigoureuse sur la guerre psychologique... et les contre-actions. La vie (de l'intérieur) dans les camps. Il a, corrigé, au passage, et c'est tout à son honneur, certaines erreurs «historiques» : ainsi, selon lui, Ferhat Hadjaj, l'ex-étudiant de l'Université d'Alger, «égorgé par la police de Jijel», évoqué dans le fameux Appel à la grève du 19 mai 1956 (une erreur involontaire, l'information ayant mal circulé et l'urgence ayant prédominé), est toujours en vie...L'analyse et les commentaires sur l'après-62 nous en apprennent beaucoup, bien que... De trop ? Peut-être, ou alors pouvaient faire l'objet d'un ouvrage à part.

Avis : Lecture difficile non en raison du contenu, intéressant, mais de la forme : Mise en page lacunaire, pas attractive pour un sou, texte présenté au «km»... Dommage ! Heureusement que nous sommes en 2014? et l'édition (ainsi que l'Anep) a fait beaucoup de progrès. Une seconde édition mieux présentée et, aussi, traduite en arabe, peut-être même avec un nouveau titre plus attractif, est souhaitable. Que dis-je, nécessaire !

Extraits : «Le besoin de communiquer aux autres, par le verbe et les écrits, un témoignage personnel ou une expérience particulière, découle en partie de la conviction qu'on a du caractère original du message» (p 5), «Il n'y a pires troubles de comportement que ceux d'adultes qui n'auraient pas pleinement joui de leur enfance tant qu'ils en étaient d'âge» (p 22), «On dit que l'humour est le propre des peuples opprimés, misérables, à la limite du désespoir et que les gens heureux se dispensent d'y recourir» (p 194), «C'est dans les pires épreuves que le rire donne la démonstration de son appartenance exclusive à l'homme «(p 196).

CINEMA ET GUERRE DE LIBERATION. Algérie, des batailles d'images. Etude de Ahmed Bedjaoui. Chihab Editions, 308 pages, 1 000 dinars, Alger 2014

Jamais le cinéma algérien n'avait fait autant parler de lui. Non par ses réalisations qui se comptent (comme pour ses salles) depuis déjà pas mal d'années, sur «les doigts...de quelques mains» ( pour ce qui concerne les longs métrages de fiction), mais seulement par les écrits autour de lui. On compense les «vides» comme on peut !

L'ouvrage de Ahmed Bedjaoui vient nous rappeler cette triste et amère réalité, en nous replongeant dans l'univers d'un 7è art pris dans les filets de l'Histoire? et qui n'arrive pas à en sortir. Et encore ! Mais, quelle Histoire ? Surtout celle allant de 54 à 62? alors que peu de nos cinéastes se sont penchés (ou alors, seulement par des évocations rapides) sur la période des débuts de la colonisation et des résistances populaires soulevées par l'occupation française? et assez peu sur l'après-62. Aujourd'hui encore, aucun film sur les personnalités ou héros du mouvement national comme Abdelkader ou Ahmed Bey ou Ben Badis ou Mokrani ou Abane ou Abbas ou Amirouche ou même Messali, n'a vu le jour. Bouâmama est déjà oublié et Fathma Nsoumeur n'a été sauvé que par un film en tamazight. Rachedi s'est risqué à faire Ben Boulaid, mais il a subi bien des critiques des «gardiens des détails de l'Histoire». Et ce qui est accepté se fait toujours avec retard? Comme si on ne voulait d'autres héros que ceux qui sont encore vivants? et aux commandes.

En fait, une véritable Histoire du cinéma national qui ne dit pas son nom, présentée avec rigueur et démarche scientifique, n'empêchant pas l?auteur (le chercheur) de dire certaines vérités (ou révélations comme celle ayant trait aux négatifs des films algériens pour l'heure dispersés dans des laboratoires étrangers) ou de dévoiler certaines dérives loin d'être «révolutionnaires» (comme les querelles sur la paternité des images ou la mise à l'écart de talents dont Djamel Chanderli ou Pierre Clément ou les oublis comme celui de Kaddour Semmar). N'y manquent que des fiches biographiques et techniques

La «guerre est finie depuis cinquante ans» écrivait Ben Salama. Mais, la bataille des images continue ! Avec les autres. Entre nous. Heureusement, il y a des cinéastes algériens expatriés, quelques vieux amis de la Révolution algérienne, les documentaires, et surtout une nouvelle vague de jeunes s'essayant au court métrage de fiction ... et, toujours, M-Lakhdar Hamina et A. Rachedi. La Révolution continue !

Avis : Analyse de contenu complète sur le sujet. Désormais incontournable

Extraits : «S'il est légitime de reprocher à l'ancienne puissance coloniale de ne pas assumer ses responsabilités historiques, force est de constater que ce sont les cinéastes expatriés qui ont fait la plus grosse part de travail de mémoire sur la question des massacres de Sétif, Guelma ou Kherrata» (p 46), «Le cinéma algérien a fait trop de films de guerre et pas assez de films sur la guerre de libération» (p 112), «Sur la guerre d'Algérie, on peut ajouter que, longtemps, le cinéma français a été muet et silencieux» (p 147), «Si pour l'historien, la démonstration historique est essentielle, dans la fiction, le réel n'existe pas (?) Pour l'Art, la réalité n'est qu'une illusion» (p 271),

LE RENSEIGNEMENT. ENJEU D'UNE GUERRE SILENCIEUSE. Essai de Mohamed Khalfaoui (Préface du général Hocine Benhadid). Sarah Editions 261 pages, 600 dinars, Alger 2014

Ona tout sur (presque) tous. Le Renseignement ? L'origine des structures, les services secrets en Europe et au Japon, le renseignement dans les conflits armés (dont la guerre de libération nationale), la guerre froide (troisième guerre mondiale ?)? et, côté technique, le cycle du renseignement, les moyens de surveillance électronique, le renseignement économique... Mieux encore, tout, tout sur la cryptographie, avec ses systèmes, ses machines et ses noms bizarroïdes? pour le commun des mortels, mais banals pour le commun des espions et autres agents du renseignement : La scytale, le carré de Polybe, le chiffre des Templiers, la Table de Vigenère, la machine Enigma, le chiffre de César?

Tout, tout, tout sur le renseignement? Partout? Même en Algérie (p 89 à 136) . Avec, l'inévitable Histoire du Malg, désormais définitivement «mythifié». Les aspects positifs, bien sûr ! Toujours ça de pris ! Pour la face cachée de ce qui est appelé communément et en partie faussement la «Sm», rien ou presque rien... mis à part l'évocation rapide en préface, par le général à la retraite Hocine Benhadid qui trouve que l'auteur «met ainsi un terme à la rupture ayant longtemps stérilisé les échanges civils-militaires? et, en s'adressant au grand public, il fait de la sécurité nationale une situation qui doit préoccuper tous les citoyens»? et les questionnements indirects posés (aux dirigeants des pays arabes !) par l'auteur en avant-propos

L'auteur : Officier de l'Armée nationale populaire (ANP) en retraite, ancien cadet de la Révolution, ingénieur électronicien de l'Enita (aujourd'hui Emp), diplômé (magister) d'électronique de puissance de l'Académie des sciences et techniques militaires de Zaghreb (Croatie)

Avis :Destiné surtout aux bibliothèques des Ecoles militaires. Aussi, aux «accros», aux éternels inquiets ou méfiants et? aux futurs «espions».

Extraits : «Toute tendance vers l'absolutisme alimente l'excès de confiance en soi, qui se trouve souvent à l'origine de l'aveuglement stratégique» (p 15),«L'activité de renseignement est une guerre secrète qui ne s'offre pas de trêve» (p25), «On n'improvise pas un chef des armées, et la défense du pays, tâche sacrée, ne se prépare ni à la hâte, ni dans le désordre, ni dans la panique et encore moins par des hommes à la recherche de prestige ou autres besoins séculiers » (93)