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Tunisie : le bonheur est dans? le vote ?

par Abdellatif Bousenane

Le peuple tunisien a dit son mot dans le premier tour de l'élection présidentielle qui s'est déroulée le week-end dernier. Les Tunisiens ont voté librement pour choisir leur président. Cependant, peut-on s'interroger sur l'impact réel du suffrage universel sur la vie réelle des Tunisiens. Puis, le vote est- il vraiment le début de la solution en Tunisie ?

J'ai bien noté qu'une grande majorité de médias internationaux, les notres aussi et les observateurs « bien pensants » ont salué une grande victoire de la démocratie et un progrès démesuré dans une société arabe ! Donc la messe est dite ! Circulez il n'y a rien à voir !

Néanmoins, et sans aucun désir d'incarner le rôle du perturbateur qui veut jouer les trouble-fêtes, il est légitime, tout de même, de poser plusieurs questions sur la pertinence de ce résultat du premier tour.

UN BEN ALI « LIGHT » !

Bien évidement le scrutin libre et transparent est à saluer, mais ce n'est pas une première dans le monde arabe. Les Egyptiens ont déjà voté librement, les Algériens, les Libanais, même les Palestiniens et j'en passe. Le grand vainqueur, en revanche, de cette première manche s'appel Béji Caïd Essebsi qui va être très probablement le premier magistrat de la Tunisie, vu son score qui est, effectivement, tellement élevé, il lui manque qu'à peine 5,8 % de voix au second tour pour arriver au palais de Carthage. En plus la marge assez grande qui le sépare du deuxième candidat malheureux. Puis, ça va dans la logique de l'élection législative qui s'est déroulée il y a quelques semaines de cela. Ainsi donc, on peut dire qu'il est dans la dynamique électorale qui s'est créée le mois d'octobre dernier.

L'homme fort de Tunis, a 89 ans ! L'âge, en soi, à mon sens, ne pose pas de gène, au contraire tout le monde rêve d'arriver à cet âge là avec beaucoup moins de problèmes de santé, toutefois, l'embarras est dans la pertinence du discours de tous ce « bon monde » de bien pensants qui appellent au rajeunissement des responsables politiques dans la logique de la modernisation et de renouveau de la vie publique, et de l'autre côté ils saluent l'élection d'un homme de 89 ans ? Objection !

Un autre élément qui va à l'encontre du triomphalisme affiché par les « démocrates-modernistes », le nouveau patron de la Tunisie n'est qu'un ancien membre du RCD (rassemblement constitutionnel démocratique) et même président du parlement du régime Ben Ali. Ancien directeur de la sûreté nationale tunisienne et secrétaire d'État adjoint à l'Intérieur dans les années Bourguiba. Et je m'arrêterais là.

Il n'y a aucune intention, ici, de culpabiliser les Tunisiens, de critiquer leur vote ou même de blâmer leurs nouveaux gouverneurs mais mon objectif est de mettre ce « bon monde » devant ses contradictions. Par conséquent, tout en respectant le choix libre des Tunisiens, on peut dire sans aucune hésitation, qu'une majorité du peuple tunisien a choisi l'ancien régime mais dans une autre configuration un peu «light». Car, la puissance qui est derrière Essebsi se constitue essentiellement des hommes d'affaires de l'époque Ben Ali, des administrateurs du vieux « système », des ex-membres du parti unique du pouvoir, autrement dit, les gardiens du temple.

LE POLITIQUE ET LE DEVELOPPEMENT:

La réalité est là, elle est tangible et solide. Pourquoi les tunisiens n'ont pas choisi les révolutionnaires qui ont chassé Ben Ali du pouvoir ? Peut-être parce qu'ils ont préféré l'expérience des uns sur l'immaturité des autres ? Ils voulaient garder au moins la stabilité et la paix dans leur pays vu les dangers d'un escalade possible ? Peut-être parce qu'ils n'ont pas vu de changement réel dans leurs vies quotidiennes après quatre années de changement ? Et donc pour sanctionner la révolution ? Ou ils ont compris finalement que le développement d'un pays est beaucoup plus complexe et profond qu'un jeu politicien ? Il est déterminé, en fait, par plusieurs paramètres qui dépassent le champ d'action d'un politique. Car, un jeune homme qui attend un emploi depuis des années dans un coin éloigné et oublié de la Tunisie, ne comprend pas comment un bulletin de vote pourra changer sa destinée (pour ceux qui n'ont pas voté). Est-ce que dans quelques semaines il va sortir de sa misère, de sa précarité et avoir enfin un appartement et se marié ? Impossible ! Il a attendu plus de quatre ans en vain !

Il faut avouer, néanmoins, que cette problématique de l'incapacité du politique à faire face aux problèmes du développement est universelle. Même dans les pays les plus développés, les plus industrialisés à savoir les pays de la civilisation dominante, le politique se trouve aujourd'hui pratiquement diminué devant des paradigmes gigantesques déterministes tels que la finance mondiale, la mondialisation, le libre échange et l'économie de marché, les Institutions internationales très puissantes et agressives qui imposent leurs règles et lois. Bref, il y en a maintes contraintes objectives qui rendent la tache du politique dans le monde d'aujourd'hui très problématique. Regardons l'exemple du président français François Hollande qui a promis « le changement maintenant » et rapidement, et qu'il est confronté actuellement, après trois ans de « règne », à la grande colère des « sans dents ». Dès lors, l'action du vote n'est pas, vraisemblablement, la meilleure manière de mesurer le degré du bonheur des peuples. Il existe le « Happy Planet Index (HPI) », un indice plus au moins contesté toutefois très intéressant à observer de près qui classe les pays selon le bonheur de leurs populations et qui se base sur des critères écologiques qualitatifs. Le dernier rapport paru la semaine dernière au tabloïde anglais Daily Mail classe la Tunisie à la trente neuvième place (39). L'Algérie arrive bien avant, à la vingtième place (20) sur cent cinquante pays au monde et la première place en Afrique et dans le monde arabe. Finalementon n'est pas si malheureux que ça!