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Entre un foulard et un képi

par El Yazid Dib

Que peut-il y avoir ? L'un est une identité, l'autre une discipline. Derrière un foulard se cache toujours quelque chose. Plus intense qu'une religion, plus suspecte qu'un doute. Une marche? un pousse-pousse à l'écheveau?

Par nature tout le monde est libre dans ses aplombs, ses choix et ses convictions. La femme, tout comme l'homme est libérée de toute entrave enfreignant le code moral ; seul arbitre de sa conduite tant que celle-ci n'enfreigne pas à son tour les lois de la république.

La douane ne baigne pas uniquement dans les droits et taxes perçus à tord ou à raison. Une directive qui n'intéresse en rien l'import/export, le ciel ou la terre semble avoir bien pris un léger dessus sur une actualité peu mouvementée. L'administration douanière à l'instar de toute autre entité fonctionnant en uniforme s'est vue chapitrée par des avis éloignés d'une réalité qui ne tire son essence que d'une réglementation, d'un contrat d'engagement et du respect républicain. Mettre un foulard sous un képi n'est qu'une entorse à la beauté du modèle selon les uns. Un excès d'attributs. Alors que d'autres y voient un droit patent et imprescriptible. La douane est algérienne, elle n'est ni ottomane, ni saoudienne. Le costume réglementaire, outre qu'il soit une expression de souveraineté, est aussi un insigne institutionnel normalisé par des lois algériennes. Pas de place à l'hirsute, pas d'endroit à l'hybride. Par conséquent le rajout, le retranchement ou la substitution devient le cas échéant une atteinte au caractère inviolable des symboles de l'Etat. Il n'a pas à être sujet à des fantasmes casuels ou faire le menu d'un débat forclos depuis longtemps dans un linceul noir de sang et?..C'est une homologation. Un consensus étatique. Et si à l'exemple ; l'on entreprenait par charge supplémentaire d'adoration de l'emblème national ou pour des circonspections théologiques de le parer d'une dorure en lettre nobles d'« allah akbar » ? Serions-nous pour ceci en porte-à-faux avec le caractère solennel consacrant pourtant bel et bien l'islam comme la religion de l'Etat ? Loin de prôner ici, une laïcité qui n'est pas le propos, l'on tend simplement à distinguer la frontière entre une conviction personnelle et une raison d'Etat. Un foulard sous un képi ira sans doute vers une autre explication infinie.

A voir les explications du Directeur général des douanes, dans son élan de défense de la franchise sacrée liée aux conditions de port de la tenue ; il semble que les différents débatteurs confondent les girons de l'intimité et du professionnalisme. Exercer un métier suppose des obligations, de l'astreinte à un cahier des charges et à des dispositions statutaires opposables aux contractants. Faire de la dévotion une morale individuelle imposable dans l'entreprise est une croyance hors-la loi. De surcroit si l'on y tient mordicus, cela effleure la rébellion. Il avait expliqué que l'interdiction du foulard ou autre vêture, ornement ou élément vestimentaire, décoratif non prévu par la loi demeure prohibé lorsqu'il est arboré, porté, exhibé, accroché ou mis simultanément avec l'uniforme. Ce qui par nature transforme la parution des effectifs et dilue l'harmonie des rangs. Porté ainsi, cet excédent à l'apparence liturgique du moins ; chahuterait toute la mythique légale rattachée à la tenue. Sinon ; la liberté d'être, de paraître ou de se vêtir n'aura qu'une injonction amarrée à la décence et à l'humilité. Toute l'essentialité réside dans la dissymétrie signalée qui brise à l'œil la symbiose souhaitée. Ainsi, si l'une si, l'autre non ; voilà l'armée de Tora bora. Mais en dehors des heures légales de travail, dévêtue de son uniforme ; la douanière est absolument libre de s'habiller comme bon lui semble et affranchie ainsi de toute obligation inhérente au port de l'uniforme. Aussi plusieurs observateurs et prédicateurs dans cette polémique inutile explicitent à décharge ; les propos de Bouderbala «?. ce dernier n'avait fait que rappeler une réglementation existante. Et en la matière, les Douanes ne font pas exception. Elles ne sont effectivement pas les seules à exiger une tenue spécifique et à interdire le voile. Les services de sécurité, de police, de gendarmerie et l'armée interdisent eux aussi à leur personnel de porter le voile et de respecter la tenue réglementaire » Ainsi, il aurait été plus judicieux de faire, faire comprendre cette situation, aussi par ses démembrements extérieurs. Ces directeurs départementaux à qui revient directement l'attribution de veille et de contrôle. Que peut faire un Moïse, face à ses apôtres qui lui clamaient « Allez-y, toi et ton seigneur combattez ! Quant à nous, nous restons là où nous sommes !»

Donc cette situation ubuesque que l'on a voulu mettre à la vitrine à défaut de prendre en charge les doléances d'un personnel figé qui dépassent le foulard et autres fantaisies ; faisait patiner les exégètes en mal d'égérie là où ils ne devraient pas trop exceller. La discipline, l'esprit et la conduite paramilitaire. Une administration vivant en casernement n'est pas une salle d'ablutions. Ni une moussala de quartier. Elle ne se gère pas à coup de fatwa ou de prêches appropriés. Le ministère des affaires religieuses s'était mis directement dans un confessionnal public en indiquant loin de ses paroisses, que la constitution garantissait le foulard et que son port en douanes ne devrait pas connaître d'interdiction. Qu'il s'agissait là d'une liberté individuelle. Si l'on est versé en prude scoliaste dans le déchiffrage des versets célestes indiscutables l'on doit s'inscrire aussi et correctement dans un schisme académique et non populiste. L'on doit savoir l'esprit et la lettre du positivisme de la règle de droit qui n'est qu'impersonnelle, abstraite, impérative et contraignante. Mais discutable et révisable par consensus et unanimité seulement. Son application reste cependant uniforme avec ou sans treillis et uniformes. Par ailleurs l'important pour un culte c'est de toujours savoir ses lignes de démarcation. Rentrer par le biais d'une liberté générale prise sous un angle individuel dans la circonférence d'un devoir statutaire ne ramène qu'à une interférence malhabile.

Un agent de Kahrif, otage d'une certitude uniformologique agissant dans les hauts derricks à grande tension pourrait-il se débarrasser de sa combinaison et casque de sécurité au profit d'une gandoura moulante et d'une chéchia encombrante ? ou les porter les uns dans les autres ? Les exemples sont légions autant que le sont les humeurs et le parti pris. A chaque moment ses propos, à chaque profession ses charges. Si l'on tente de raviver des ardeurs qui n'ont plus publiquement cours, c'est qu'il faut croire que tous les sacrifices consentis de part et d'autre sont tombés en désuétude. Le pays ne s'est point arrêté à une émeute près, l'administration ne s'arrêtera pas à un cuir chevelu dégagé ou emballé.

La souffrance de ces agents est ailleurs que dans un équipement supplétif controversé. Si l'on transcendait le tout vers cette polémique, la douane n'aurait donc à connaître qu'un genre féminin de problèmes. Alors que le nœud de l'approche devrait se faire dans l'avenir de l'institution et l'assortiment des hommes qui la dessineront. C'est à peine comparable ; la douane vit à l'identique les problèmes que vit le FLN. Elle souffre de ses membres. Ils lui font du mal autant que les pionniers lui avaient fait les signes de noblesse. N'était-ce ce regain de modernisation, Bouderbala aurait jeté le ?foulard. Il résiste comme une taxe fixe aux tentatives du dégrèvement fiscal ou comme une amende légalement due aux épreuves contentieuses des transactions amiables. Alors ? Ce « hidjab » que cache-t-il ? Une tête, laquelle ?

Le mal détecté chez nos grand-mères se dissipait une fois le crâne carrément enserré par un foulard. En plus de l'effet analgésique, le serre-tête suggère la pudeur tout en gardant dans son état initial le mal qui y subsiste. Il est de ces modes qui frôlent tous azimuts l'inédit. Avec ces temps qui courent, ces périodes qui s'achèvent et se régénèrent le monde est difficilement cernable au plan culturel. On en fait de la politique un métier, de la religion une recréation et de l'information un spectacle. Tous nos marchés sont pleins de marchandises ambulantes et superficiellement empaquetées. Elles scrutent les horizons masculins, se nourrissent d'illusions et lorgnent parfois les prix défendus. L'évidence pectorale mise en relief, tient dans les souks, les amphis l'haleine des plus saints. Nos écoles sont garnies dès le moyen palier par ces p'tites innocences encamisolées, ces minuscules faces aux neurones non encore érogènes. Le regard n'a jamais épargné l'insolite et c'est à la bêtise de la capter. Que dire d'un corps humain aux contours de jeans universels quand seulement la tête est affichée musulmane ? Des jambes fuselées, des yeux noircis comme un hameçon, les mèches échappées, un rouge criard ; est-ce là le propre d'un moindre affront à un éditorial religieux que de ne pas porter un morceau de tissu? Les accoutrements composites d'orient ou d'occident pullulent dans les artères de nos cités. L'algérien civil a perdu ses repères. Ou sont ces m'layas, ces Haiks, ces serouals, ces?et ces? ? juste, ou est le modéré, l'usuel, le simple et l'ordinaire ?

Si le fait de dérober au regard une chevelure semble être une religiosité ; le visage est parfois plus explicite qu'un ensemble de touffes. La chasteté à observer en visant la non-observation d'autrui peut paraitre comme une contrefaçon morale. Pour tout ce monde la religion vestimentaire Ne serait donc qu'une contagion traditionnaliste ou à la limite ; une commune parodie visuelle sans nul ancrage spirituel. C'est là où l'entièreté du sens de la liberté des faits et des gens fait ses appoints. Libre à qui veut s'en charger, s'y ensevelir ou s'en embellir. L'accroche-cœur pourtant n'est pas au niveau du cou mais au plan de l'attitude réglementaire. La foi dans ce cœur. Mettre ou ne pas le mettre, le corroborer ou s'en défaire a été au fil des temps un dilemme de société. Le foulard, qui serait selon ou selon une obligation de paraitre ne sort pas d'une mode, mais machinalement d'une contrainte sociétale. Un besoin de tranquillité et signe d'indifférence pour marquer une appartenance. Se moudre ainsi dans la société vaut à une certaine époque son pesant sécuritaire. Si les diverses confessions se targuent d'être un patrimoine commun à l'ensemble de l'universalité ; le costume restera toujours objet à une attitude culturelle. Ce sont les gens qui l'ont lié, au lieu et place d'un accommodement, à une identité religieuse. Car il n'est pas des propriétés du foulard d'absoudre l'érosion d'une tête, plus qu'il ne cache sa face postérieure. Il n'a pas aussi le don de prémunir des virus de la corruption morale ou de la dépravation de l'âme.

Si douane s'est déployée à ne plus exprimer l'icône d'une barrière ; il lui reste la tache ardue de démanteler les résistances sournoises et débroussailler les mentalités, en même temps que sa réglementation s'attelle à démanteler les foulards de leurs supports.

Aujourd'hui, dans un contexte de globalisation et de sécurisation des frontières avec ce dilemme conventionnel de facilitations , d'ouverture et de contrôle où les systèmes économiques mondiaux connaissent des changements importants ; la douane algérienne doit, plus que jamais conforter sa place au niveau des grandes institutions. Ce n'est donc pas à un pli de foulard qu'elle va s'y accrocher. Le pari, un autre est à emporter en interne d'abord. Améliorer davantage la solde, promouvoir le mérite et réduire par conséquent tout risque de tordre le cou à une éthique parfois auto profanée. Il y a au bonheur de ces dames et messieurs ; de la haute intégrité, beaucoup de compétences et de très jolis visages. De la béatitude douanière. Quant aux autres, les apôtres et autrui ; la chronique des lendemains, d'un jour ou d'un autre s'en assumera.