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Mais qui peut mettre « hors jeu » le président de la République ?

par Cherif Ali

Quand on n'a pas été capable d'empêcher la candidature à un quatrième mandat d'Abdelaziz BOUTEFLIKA, comment compte-t-on s'y prendre, dans les rangs de l'opposition, pour le pousser vers la sortie, maintenant qu'il est président de le République, légalement élu ?

Le 17 avril 2014, c'est pour ou contre le locataire d'El Mouradia que les algériens, d'ici et d'ailleurs, ont été appelés à voter en connaissance de cause, ou à s'abstenir, par dépit pour les uns, ou par rage pour ceux qui ne croient plus aux vertus de l'urne.

Depuis cette date le pays va bien et la situation, sur tous les plans, n'est pas mauvaise, déclare le Premier Ministre. Que nenni, affirme l'opposition qui dit qu'elle est, tout simplement, à la veille de devenir épouvantable, au regard de la chute du baril de pétrole et la paix sociale volera en éclat à partir du moment où le gouvernement sera forcé d'imposer au pays, un régime d'austérité et cela risque d'arriver plutôt que prévu !

S'invitant au débat, Abdelatif Benachenhou l'ancien Ministre des Finances a affirmé, quant à lui, dans une récente interview que « le cataclysme n'est pas pour tout de suite » ; il a fait part de son opinion au sujet des menaces qui pèsent, aujourd'hui, sur le pays notamment sur le plan économique : « les risques grandissent, le premier coup de semonce sera pour 2020 et si rien n'est fait, la date butoir de 2030 sera synonyme de sérieuses difficultés ».

En d'autres termes, les tenants du pouvoir n'ont pas de soucis à se faire si ce n'est, dans le pire des cas, temporiser jusqu'à 2019 pour éventuellement refiler « la patate chaude » à ceux qui voudront encore, dans ces conditions extrêmes, du « fauteuil » d'El Mouradia.

Les partisans du « tout et tout de suite » ne l'entendent pas de cette oreille ! Depuis leur réveil à Zéralda, la CNLTD, transformée depuis en ISCO et ceux qui l'a composent, préconisent de « dégager par le haut », le responsable de la situation « catastrophique » du pays, le catalyseur, selon eux, des désespérances du peuple, celui qui est en train de rendre folle la classe politique toute entière, le Président de la République !

L'ISCO ne veut plus, dit-elle, de ce « statut-quo » qui lui est imposé par ceux qui estiment que le président de la République dispose de toute la légitimité pour aller au terme du mandat que lui ont confié les algériens qui l'ont élu le 17 avril 2014.

Le vrai problème, pensent justement certains, réside dans l'incapacité du pouvoir à continuer à vendre l'idée, selon laquelle, il serait légitime, homogène et maître de ses décisions. Au moment où l'opposition durcit le ton, en appelant à des élections anticipées, le pouvoir se trouve en panne d'arguments, même s'il sait que l'opposition, seule et dans sa configuration actuelle, ne risque pas de le faire bouger.

Depuis quelques jours, les détracteurs sont passés à la vitesse supérieure, ils appellent à une élection présidentielle anticipée. Ils se sont même attelés à mettre en place « une instance de suivi ». Selon les observateurs, la substance de cette annonce surprend, non seulement par sa rapidité, mais aussi par son contenu qui reste, pour tout le monde, des plus abscons. Quelqu'un disait, d'ailleurs, à juste titre, qu'il y a comme un « parfum de coquetterie politique » dans cette volonté de l'opposition de « dégager » le président de la République, comme s'il s'agissait d'une fin en soi. D'un caprice, serions-nous tentés d'ajouter.

D'abord, comment comptent s'y prendre ces animateurs de l'opposition pour mettre « hors-jeu » le président de la République ?

Certes, ils viennent de livrer à l'opinion nationale, une solution politique censée sortir le pays de l'immobilisme, disent-ils, mais sans pour autant en fournir la faisabilité.

D'ailleurs, c'est la principale remarque qui leur a été faite, ce qui leur a valu une réponse cinglante d'un de leur pair de l'opposition, Abderrezak Mokri, qui a déclaré, non sans colère, que « le feuilleton des évacuations du président de la République doit cesser ! ».

L'ISCO, et ceux qui s'en revendiquent, comptent-ils alors sur une hypothétique « démission » du chef de l'Etat, qui remettrait son mandat en jeu et l'abandonnerait en quelque sorte, déjugeant ainsi tous ceux, qui parmi ses ministres, n'ont de cesse de répéter que « le cerveau du président de la République est en meilleur état que celui de la plupart d'entre nous et que, en définitive, c'est avec sa tête qu'il gère le pays et non pas avec ses pieds ! ».

L'opposition ne cède pas, et la démission du Chef de l'Etat, il en a même été question à l'international ! En effet, Maître Ali Yahia Abdennour, en voyage à Ottawa (Canada) a donné une interview dans laquelle il a commencé par dénoncer « l'omnipotence » du Chef de l'Etat, pour déclarer, d'emblée : « (?) le pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika est grand et son appétit insatiable, tout émane de lui, tout dépend de lui, et de lui seul ; il dirige tout, régente tout, contrôle tout, tient d'une main de fer les commandes du pays. Il règne et gouverne à la fois, accumule titres et fonctions. Il a fait du gouvernement, à sa dévotion, un pouvoir exécutant, du parlement l'annexe de la présidence et de la justice, qui a abdiquée ses pouvoirs constitutionnels, une simple autorité à son service ».

Ali Yahia Abdennour, cultivant, par devers lui, la contradiction, ajoute ensuite : « (?) un président soucieux de l'histoire, de la nation et des intérêts du peuple algérien doit démissionner. Incapable d'exercer ses fonctions, il ne peut faire, mais fait faire, délègue ses pouvoirs qu'il garde sans être en mesure de les exercer (?) ».

Monsieur le conférencier, merci pour ce moment !

L'opposition, pour en revenir à elle, ne veut rien lâcher arguant « d'un fort capital-sympathie » dont elle disposerait auprès des citoyens. Faut-il alors décrypter ce propos comme un message destiné à « la rue », l'invitant à rallier à ses thèses et la porter jusqu'à El Mouradia ?

En termes d'actions de rue, faut-il le rappeler, il n'y a eu, à ce jour, en tout et pour tout, que les éphémères tentatives du mouvement « Barakat » qui n'ont suscité au-delà de la curiosité aucune sympathie populaire significative.

Les émeutes de 2011, comme chacun le sait, étaient fondées sur la cherté des produits de consommation de base !

Aujourd'hui, il est plus qu'important de savoir à quoi et à qui l'opposition s'oppose ? Est-ce que l'opposition pose des problèmes économiques et sociaux ? Non ! Le peuple ne suivra pas alors.

Et puis, même rassemblée, cette opposition ne constitue pas une menace car son audience populaire est faible, elle ne parvient pas à faire partager ses revendications et propositions à la société et aux citoyens. Et surtout, elle n'arrive pas à contenir les ambitions de ses « présidentiables » !

A ce propos, le président de la République a réaffirmé lundi dernier que l'Algérie se préparait, « sérieusement », pour la révision de la constitution. Et parmi ce qui fait débat, chez nous et ailleurs, c'est le statut du président de la République, fonction qui suscite toutes les convoitises !

Le mode d'élection du président de la République est obsolète et même contreproductif, s'autorisent à penser quelques politologues. Selon eux, la présidentielle qui personnalise la vie politique à outrance, a pour effet de focaliser l'essentiel de notre attention sur des questions d'individus lancés dans un combat de coqs. Notre culture de l'affrontement, issue de notre goût immodéré pour les révolutions (*).

Beaucoup de responsables politiques sont, maintenant, convaincus du caractère néfaste, pour notre démocratie, de l'élection présidentielle au suffrage universel direct. La défiance généralisée envers le monde politique, les médias et bon nombres de corps intermédiaires, révèle une carence démocratique, une crise de la représentation qui, alliée au sentiment d'impuissance, alimentée par un discours « décliniste » et une panique identitaire, pèse sur le moral du pays (*)

Il est temps de cesser d'élire des présidents de la République pour mieux répartir les pouvoir afin de les rendre plus acceptables et plus efficaces. Des constitutionnalistes y réfléchissent (*)

Les algériens ne sont pas dupes. Ils ont beaucoup soufferts, ils ont été trompés, par les uns et les autres, et il sera très difficile, de l'avis de tout le monde de les mobiliser pour un quelconque changement, a fortiori violent. Et de l'anarchie qui en découlerait !

Ce dont use et abuse, faut-il le dénoncer, le pouvoir qui fait tout pour entretenir « ce reflexe psychologique » qu'il alimente par les exemples Libyen, Egyptien et Syrien notamment !

La paix est autant recherchée par le citoyen qui tend à la préserver au détriment de son bien-être économique s'il le faut, tout comme le pouvoir dès lors qu'il y va de sa survie.

Le pouvoir s'accroche, et se refuse au grand dam de l'opposition de « lâcher prise ». Le peuple fait dans la résistance passive, ne croyant ni aux promesses des uns, ni aux solutions de « sortie de crise » des autres ; il multiplie les actes d'incivisme contre le « beylik », tout en lui soutirant le maximum en logements sociaux, augmentation de salaires et autres prébendes.

Il faut dire qu'en l'état de la situation politique dans le pays, aucun clan au sein du pouvoir ou plus encore dans les rangs de l'opposition, ne semble avoir, suffisamment, de poids pour pouvoir imprimer, dans un sens ou dans l'autre un changement. Quant aux programmes politiques et/ou économiques, des uns et autres Partis, mieux vaut ne pas en parler !

L'encéphalogramme de la vie politique algérienne et des plus plats ; il y a, certes, cette tentative du FFS et son message adressé au pouvoir : « n'ayez pas peur, le changement ne se fera pas contre vous ! », mais cette proposition a été, bien évidemment déclinée, poliment, certes, mais déclinée, tout de même par ceux d'en haut.

L'opposition l'a trouvé irrecevable, tout comme les militants de base du FFS qui se sont demandés si leur Parti avait des « gages » du pouvoir en place, lui permettant de l'amener à une table de négociation avec les opposants.

Que reste-il, alors, à l'opposition, comme carte à jouer pour mettre le président de la République, légalement élu, faut-il le rappeler, dans une position d'« hors-jeu » ? La mise en œuvre de l'article 88, se sont empressés de dire, à l'unisson, les représentants d'une trentaine de partis politiques et quelques personnalités dites « nationales ! ».

Ce à quoi, aurait répondu Mouloud Hamrouche, une des figures de proue de l'opposition : « cet article n'existe pas-techniquement-politiquement et idéologiquement-, car la constitution algérienne ne prévoit pas les modalités de son application ».

« Il n'y a pas de vacance du pouvoir dans notre pays », vient de surenchérir la patronne du Parti des Travailleurs et « la question de la légitimité du Chef de l'Etat, dit-elle, a été tranchée par le peuple qui l'a élu lors d'un scrutin propre, qui a reflété, fidèlement, la volonté des algériens de voir maintenues la sécurité et la stabilité du pays ». Pour Louisa Hanoune « les parties qui soulèvent à chaque fois la question de la maladie du Président, veulent leurrer l'opinion nationale et internationale, après avoir été incapables de présenter le moindre élément prouvant que la dernière élection présidentielle n'avait pas été propre ».

Le débat n'est pas clos pour autant car l'opposition n'en démord pas, pensant que l'état de santé déficient des personnalités au pouvoir, a parfois des conséquences dramatiques, lorsque des décisions concernant plusieurs millions d'individus doivent être prises.

Cela est peut-être vrai ; en convoquant l'histoire et si l'on venait à se référer aux exemples d'autrefois, on relèverait le cancer de Chamberlain lors de la signature des Accords de Munich avec Hitler, la paralysie de Roosevelt, lorsqu'il avait négocié avec Staline pendant la Conférence de Yalta, ou celui d'Eden qui déclencha l'affaire de Suez.

Mais, a contrario de ces exemples, il en est un des plus beaux, c'est celui découlant d'une grande tragédie vécue par Baudouin IV, roi de Jérusalem.

On a découvert sa lèpre alors qu'il était très jeune (moins de 10 ans), mais il est devenu plus tard l'un des plus grands rois des Etats Latins, se permettant de battre Saladin, alors qu'il n'avait que 17ans !

Il est mort à 25ans à peine ; sa mort a été un tournant, et c'est là où réside l'intérêt de cette narration, car le royaume a été affaibli ; les barons de son époque, comme Renaud de Chatillon, ont eu les mains libres et Saladin (un de nos héros légendaires, c'est vrai) en a profité, car deux années après la mort de Baudouin IV, il a repris Jérusalem.

Un mot aussi pour évoquer la Tunisie, pays inventeur de la révolution et seul miracle « arabe » depuis Cordoue, disait Kamel Daoud ; Caïd Essebsi, 87 ans, va être, probablement, élu président. C'est un reflexe connu chez les pays qui ont fait une révolution : la quête du grand-père, figure rassurante, après le meurtre du père, la rébellion. Garantie de consensus, mais surtout figure de sécurité, de nostalgie, pour un ordre antérieur au couple dictature/révolution. A méditer, vraiment.

En définitive, tout porte à croire que ces passes d'armes, pouvoir-opposition, vont meubler, encore quelques temps, le quotidien des algériens.

Tout comme ces discussions byzantines découlant du film « El Wahrani », la polygamie, ou encore ce débat découlant de la visite de la délégation de l'Union Européenne qui a provoquée l'ire d'Amar Saâdani, et qui a fait réagir un éditorialiste qui écrivait : « l'UE-et personne ne peut le lui reprocher- ne fait pas de la démocratie en Algérie un objectif. Elle n'a pas, non plus, vocation à suppléer un personnel politique local. Elle pourrait, éventuellement-et c'est le cas de toutes les puissances- émettre des signaux si elle venait à pressentir que le rapport de forces a changé. On en est loin. La CNLTD ou l'ISCO, n'a pas les moyens politiques-et populaires- de ses exigences ».

En conclusion, on a la classe politique qu'on mérite ! A moins de se dire, tout comme le sociologue El Kenz « qu'il est urgent de protéger le pays des formations politiques pressées qui se bousculent autour d'une République usée ».

(*) Renvoi : « Arrêtons d'élire les présidents » par Thomas Legrand