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L'entreprise, entre les «je l'aime» des uns et le «moi non plus» des autres !

par Cherif Ali

En ces temps de crise et de récession économiques, le regard et l'espoir doivent se porter, en priorité, sur la création d'entreprises, seules à même de pouvoir relancer la croissance et l'emploi.

Or et depuis quelques mois, les chefs d'entreprises du secteur privé et les gestionnaires du secteur public persistent à croire que la machine économique est, sérieusement, grippée ! Et, pensent-ils, l'usine Renault-Algérie d'Oued Tlélat, n'est que l'arbre qui cache la forêt, de la santé économique du pays.

Face à la chute des prix pétroliers, on a, pourtant, des officiels qui s'étendent, quand-même, en propos rassurants qui ne seront pas démentis sur le court terme, comme s'accordent à le dire tous les économistes d'ici, grâce à l'addition des réserves de change et du fond de régulation des recettes pétrolières.

Nous avons le potentiel pour réaliser une croissance plus forte et durable, a déclaré Abdelmalek Sellal, le Premier Ministre dans son allocation d'ouverture de la Conférence sur le développement économique et social qui s'est déroulée début novembre au Palais des Nations à Alger ; il nous faut d'abord, a-t-il ajouté, nous départir du pessimisme ambiant !

Il a rappelé, à cet effet, son objectif de construire une économie diversifiée, émergente pour atteindre à l'horizon 2019 un taux de croissance de 7% grâce, notamment, à l'industrie.

Avec le prix du pétrole qui baisse, les rentrées en devises du pays vont, considérablement, se réduire ; cela ne semble pas infléchir le gouvernement qui présente, pour les prochaines années, un plan d'investissement des plus audacieux. Faut-il se féliciter de ce " trop d'Etat " dans l'économie, sachant que cela peut tuer l'économie, ou exiger, alors, l'effacement de l'Etat, sachant que son absence est aussi nocive que sa grande présence ?

Livrée aux spéculateurs, l'économie réelle, tout comme la population, ont en subit les contres-coups : commerce informel, inflation des prix, évasion fiscale etc.

Le Premier Ministre pense, pour sa part, que " les performances économiques du pays sont positives et peuvent être, substantiellement, améliorées " ; il a dit " qu'il continuerait à exécuter, jusqu'au bout, le programme sur lequel a été élu le Président de la République ". Pour ce faire, il s'est dit " décidé de mettre l'entreprise nationale, sans distinction aucune, au cœur de sa démarche visant l'amélioration du climat des affaires, l'entrepreunariat, le partenariat et la promotion de l'investissement, créateur de richesses et d'emplois ".

Cette déclaration n'a pas laissé les observateurs indifférents tout comme celle faite en France par le Premier Ministre Manuel Valls. Mais à la différence de Abdelmalek Sellal, ce dernier a été plus incisif dans son propos allant même jusqu'à s'épancher pour dire : " j'aime l'entreprise ! ". Il déteste l'entreprise ! C'est ce que pensaient les gestionnaires d'Ahmed Ouyahia, du temps où il était aux affaires.

On se rappelle de cette époque où les patrons des entreprises publiques étaient tétanisés par l'opération " mains propres " lancée par le chef du gouvernement en 2008. Ils étaient horrifiés à l'idée de prendre un quelconque risque ou une décision qui pouvaient les conduire directement en prison. J'aime l'entreprise, poursuit Manuel Valls, qui indique que : " la France a besoin de ses entreprises, de toutes ses entreprises car ce sont elles qui, en innovant, en risquant les capitaux de leurs actionnaires, en mobilisant leurs salariés, en répondant aux attentes de leurs clients, créent de la valeur, génèrent de la richesse qui doit profiter à tous ! Et moi, a-t-il tenu à le répéter, j'aime l'entreprise ! ".

Ahmed Ouyahia, le chef de gouvernement de l'époque, n'aimait ni l'entreprise, encore moins les gestionnaires ; soucieux, même très soucieux qu'il était de préserver les deniers de l'Etat, et ce n'est pas ce qu'on lui reprochait d'ailleurs, il se méfiait des gestionnaires ; ces derniers échaudés par les multiples opérations " mains propres " dont certains de leurs pairs en ont fait, injustement, les frais, comme l'illustrent le non-lieu prononcé par la justice en 2010 en faveur de l'ex directeur de la Cnan, après sept ans passées en prison, ou encore le cas de l'ancien directeur général de l'Agence Nationale des Barrages, incarcéré une semaine avant de bénéficier d'une relaxe.

J'aime l'entreprise, continue à asséner l'imperturbable Manuel Valls, à l'intention de " ceux qui persistent à opposer, systématiquement, Etat et entreprises, chefs d'entreprises et salariés, organisations patronales et syndicales ".

Il n'aimait pas l'entreprise, disaient les gestionnaires de l'époque d'Ahmed Ouyahia " dont le gouvernement a durci et bureaucratisé les conditions d'investissement et de création d'entreprises ; l'octroi des crédits bancaires aux entreprises était soumis à l'accord du pouvoir politique et l'accès au foncier industriel était quasi-impossible " même les grands groupes se plaignaient, à cette époque là, des blocages administratifs de leurs projets, souvent pour des raisons des plus abscons. Des investissements importants dans différents secteurs économiques présentés par des groupes privés, attendaient, selon eux, dans des cartons, depuis des années, de passer au conseil d'investissement.

J'aime l'entreprise, continue de répéter, inlassablement, le Premier Ministre Français Manuel Valls, ajoutant : " il est absurde de parler de cadeaux faits aux patrons, ce langage n'a aucun sens. Une mesure favorable aux entreprises est favorable au pays tout entier ".

L'UGTA, tout comme Sidi Saïd, n'aimaient pas, ou pas assez l'entreprise ; c'est ce que pensaient, alors, les travailleurs mis au chômage, à l'époque de l'opération dite " politique de restructuration des entreprises " ; ces derniers ont accusé la Centrale Syndicale d'avoir fermé les yeux concernant ce qui été appelé, communément, à l'époque " le plan de redressement interne " à l'issue duquel, l'entreprise était obligée de fermer, de libérer les travailleurs pour être aussitôt reprise par des repreneurs plus que ravis par l'aubaine.

J'aime l'entreprise continue de répéter, en chinois et en anglais Manuel Valls, à l'occasion de ses déplacements à l'étranger.

Il n'aimait pas l'entreprise, ou il l'aimait trop, pour en faire sa chose, ce Chakib Khelil, disaient les algériens. On ne sait plus, en fait !

J'aime l'entreprise, s'est exclamé, de nouveau, Manuel Valls au lendemain d'un remaniement ministériel où le portefeuille de l'économie a été confié, à la surprise générale, à un banquier, Emmanuel Macron, signe du cap " social-démocrate " de l'exécutif Français.

Il n'aimait pas l'entreprise, disaient d'Ahmed Ouyahia, les patrons des EPE algériennes : " il donnait de l'argent d'une main et de l'autre signait une circulaire des plus restrictives énumérant les cas de dépenses pouvant être assimilées à l'abus de biens sociaux ". Je place tous les espoirs du pays sur l'entreprise, qu'elle soit publique ou privée, a déclaré Abdelmalek Sellal, à la veille d'un remaniement ministériel, plié dit-on, et dont l'annonce serait imminente. L'exécutif, pour la circonstance, sera, fortement réajusté, dit-on, et le cap économique, clairement explicité. Tous s'accordent à dire que, désormais, le débat à venir doit être placé sur le terrain économique. Il n'a pas défendu, à l'époque, l'entreprise publique puisqu'il avait soutenu, sans état d'âme " le démantèlement des EPE algériennes ". Lui, c'est Sidi-Saïd, depuis, il aurait viré sa cuti pour dire, avec suffisance:" aujourd'hui, il n'y a pas de clivage entre le secteur public et le secteur privé ; la priorité est de construire l'économie nationale, en mettant en place tous les mécanismes pour éradiquer les maux dont souffrent l'entrepreunariat, l'économie nationale et les travailleurs". L'ex chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, aurait tenu ces mêmes propos aujourd'hui, personne ne s'en offusquerait. Pour faire amende honorable, il pourrait même ajouter et on lui en donnerait acte : " il faut sortir de la suspicion, de la dualité économique, de l'ignorance réciproque et s'atteler à la transformation des mentalités ". Il aimait, certainement, l'entreprise plus que quiconque, mais ça ne l'a pas empêché de jeter l'éponge, déçu, avait-il déclaré, de " toutes ces promesses politiques sans lendemain ". Réda Hamiani, c'est lui dont il s'agit, avait un avis tranché sur l'avenir de l'entreprise : " il n'y a pas eu ces derniers mois des mesures concrètes, à même d'assurer un climat favorable à l'activité des entreprises. Des décisions ont été prises lors de la dernière tripartite, mais hélas, précise-t-il, rien n'a été concrétisé.

Pour sa dernière tripartite, consacrée à " l'investissement et l'entreprise ", Ahmed Ouyahia, comme dans un aveu de repentance, a indiqué : que " les orientations économiques du pays ont changé en faveur d'une meilleure place pour l'entreprise nationale " ; il a reconnu aussi que " les efforts pour atteindre cet objectif ont été insuffisants, en notant que la Banque Mondiale a classé l'Algérie à la 136ème place sur 82 pays dans le domaine des climats des affaires ".

Droit dans ses bottes, Abdelmalek Sellal croit, plus que jamais, en l'entreprise et rassure ceux, parmi les patrons privés, qui sont inquiets de la baisse du prix de pétrole : " malgré la chute du baril, nous restons offensifs en matières de développement économique, nous connaissons nos moyens, nous avons même évalué nos dépenses sur la base d'un baril à 50 dollars ! ".

Le Ministre de l'habitat, aime certainement l'entreprise, il faut lui en donner acte lorsqu'il a déclaré : " la réglementation des marchés publics devra être revue en profondeur pour qu'elle soit allégée ; il faut revoir les textes du foncier et prendre des mesures de défiscalisation de certaines charges ; il faut établir des " short-list " d'entreprises algériennes dans l'habitat capables de réaliser 400 logements au côté de celles aptes à en réaliser 2000 ".

De ce qui précède, peut-on dire que le climat des affaires est en voie d'être débroussaillé ?

Oui, à en croire Ali Haddad, le " Madjer " de l'entreprise, qui a permis l'éclosion de moult entreprises qui emploient, actuellement, 400, 500 ou 1000 travailleurs ; candidat à la présidence du Forum des Chefs d'Entreprises dont il compte décupler les adhérents, il est plutôt optimiste : " on ne peut pas dire que le climat des affaires est -comme je le lis dans une certaine presse- néfaste ou mauvais dans notre pays, je pense qu'il est très bon ". Ali Haddad pense que " le premier partenaire du gouvernement, c'est l'entreprise " et, poursuit-il " je ne pense pas que l'Etat soit contre l'entreprise et partant, contre les travailleurs ". Poursuivant son propos, il a tenu à rappeler : " si Renault accepte de venir investir avec l'Etat et les entreprises publiques algériennes, c'est qu'il a fait ses calculs ! Beaucoup d'Américains et d'Européens veulent, d'ailleurs, venir travailler en Algérie, malgré tout ce qui se dit sur le pays ! ".

Ce discours n'est pas fait pour déplaire à Abdelmalek Sellal, car, par le passé, la relation du FCE avec le gouvernement d'Ouyahia n'a pas été un long fleuve tranquille puisqu'en 2010, ce dernier a donné ordre aux EPE de quitter la formation pour des raisons de divergence d'organisation.

En 2011, le gouvernement a pourtant décidé de changer de braquet et de faire de cette année là, " l'année de l'entreprise ".

Les tripartites, tout comme les plans de relance se sont succédés avec les objectifs d'instaurer un dialogue social, de rééquiper le pays, de développer les infrastructures de base, de redynamiser la formation et la recherche.

Un Conseil des ministres a été, presque exclusivement, consacré aux problèmes que rencontre l'entreprise dans son fonctionnement et son expansion !

On parlait alors, de " mise à niveau de l'entreprise ", programme qui a concerné 20 000 PME, publiques et privées, pour une enveloppe de près de 380 milliards de dinars.

Avec la mondialisation, les entreprises algériennes sont contraintes, présentement, d'évoluer dans un contexte d'ouverture commercial et de concurrence accrues. Il devient alors, indispensable pour elle d'améliorer leur compétitivité interne et externe.

La Banque d'Algérie, sommée " d'aimer l'entreprise " qu'elle soit publique ou privée, vient d'ailleurs, d'ouvrir la possibilité pour les opérateurs nationaux d'investir à l'étranger, à condition que l'objet de l'investissement soit complémentaire à l'activité de production de biens ou de services, et que son mentant corresponde au volume des exportations de l'opérateur. Du coup, peu d'opérateurs algériens sont éligibles à l'investissement à l'étranger. Quant au citoyen lambda, il ne comprend pas le fin mot de cette mesure qui vise, selon lui, à préserver l'emploi des étrangers, alors que l'effort doit être consacré, en priorité, à la création de postes de travail en Algérie !

En conséquence, il détestera tous ceux, parmi les entrepreneurs, qui iront mettre l'argent ailleurs que le pays. Pour les travailleurs, l'injustice serait juste, comme l'écrivait quelqu'un dernièrement, si ces nouveaux riches savaient être des patriotes économiques et des créateurs de richesses pour rendre le pays qui les a faits, prospère et développé.

D'autres experts pensent plutôt, que les mesures de la Banque d'Algérie sont restrictives et que cela va coûter cher au pays ; la frilosité de la Banque, disent-ils, est un frein au développement rapide à travers l'acquisition de sociétés étrangères qui se vendent pour une bouchée de pain en raison de la crise en Europe. De ce qui précède, on peut dire que Sellal, tout comme Valls, aime, assurément, l'entreprise.

Mais ce dernier, contrairement à lui, n'aurait raté pour rien au monde l'ouverture du " Séminaire des Jeunes Entrepreneurs " qui s'est ouvert à Alger cette mi-novembre, pour délivrer son message à l'occasion de la journée nationale de l'entrepreunariat et profiter de la tribune ainsi offerte ! De toutes ces professions de foi concernant l'entreprise, il en ressort, en définitive, les engagements d'Abdelmalek Sellal, le premier ministre, d'Ali Haddad le futur président du FCE et de Sidi Saïd (ou son successeur) de faire de l'entreprise le fer de lance de l'économie algérienne pour renouer avec la croissance, l'emploi et le dialogue social.

Pour ce faire, il faut à minima :

1. baisser, au maximum, la dépense publique parce que le pays vit au-dessus de ses moyens

2. assainir, sincèrement, le climat des affaires

3. dépénaliser, dans les faits, l'acte de gestion

4. libérer, par les textes, les banques et les inciter à " lâcher "leur surplus de liquidités

5. faciliter l'acte d'investir, et encourager l'entrepreunariat des femmes et des jeunes

6. mettre, concrètement, le foncier à la disposition des investisseurs

7. activer l'entrée en bourse des entreprises qui ont en les moyens

8. relever le niveau du management de l'entreprise en encourageant la formation et la recherche

9. intégrer au gouvernement des visages nouveaux, aux idées nouvelles

10. nommer des walis avec une feuille de route et une obligation de résultats, notamment dans le domaine économique

11. travailler à l'émergence d'un marché commun maghrébin