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La catégorisation des revues scientifiques en Algérie

par Ali Derbala*

Pour que leurs travaux scientifiques soient reconnus,  la DGRSDT a imposé aux chercheurs algériens que leurs publications soient éditées par un journal  du bouquet Thomson Reuters.

Beaucoup de revues de re-nommée mondiale ne sont pas sur la liste des revues de ce fameux bouquet. Beaucoup de journaux des pays de l’Est, américains, australiens et du reste du monde, pour me semble-t-il une question financière, ne figurent pas et n’apparaissent pas sur la liste de «publist... sciex», une liste de « Science Citation Index Expanded ».

Les chercheurs de notre département de mathématiques ont publié leurs travaux dans des revues « non payantes » qui ne sont pas sur cette liste. Ils ont publié dans IJAMC, International Journal of Applied Metaheuristic Computing, Discussiones Mathematicae Graph Theory, The Australasian Journal of Combinatorics, AKCE International Journal of Graphs and Combinatorics.

Gestion  des carrières  des enseignants  chercheurs

Pour évoluer dans leur carrière, les chercheurs scientifiques algériens sont tenus de publier leurs résultats dans un journal scientifique traitant de leur domaine. Les travaux de tout scientifique doivent être communs ou publics, universels et accessibles à tous et dans le monde entier.

Le déroulement ou l’avancement dans les carrières des enseignants de rang non magistral, assistants, maîtres assistants A et B et maîtres de conférences-B, est suivi par les conseils scientifiques des départements et des conseils scientifiques de leurs facultés. Les enseignants de rang magistral, maîtres de conférences-A, leur avancement pour l’obtention du grade de professeur est géré par la Commission Universitaire Nationale (CUN), une instance anonyme, qui rassemble des universitaires non élus mais choisis par le MESRS à 100 %. Pour éviter la sur-bureaucratisation et la tricherie dans la recherche, cette commission doit être formée des universitaires élus (2/3 de sa composante) et nommés (1/3). A l’heure où on parle de la gestion des carrières des enseignants chercheurs de l’université, comment et pourquoi doit-on durcir ou imposer de nouvelles conditions d’admission au grade de Professeur à des enseignants chercheurs en fin de carrière? Ces enseignants ont presque trente ans d’ancienneté, au moins cinq ans en qualité de Maîtres de conférences-A, ont publié depuis leur dernière nomination des articles dans des conférences internationales et nationales, ont formé des magisters, des masters, des ingénieurs d’Etats, parfois des doctorants, encadrent des doctorants, ont produit des polycopies de leurs cours, ont publié des articles non payants dans des revues avec des comités de lecture formés de sommités mondiales dont quelques uns de ces articles ne sont pas publiés dans les journaux du bouquet de Thomson Reuters. Pourquoi la CUN ne prend pas en considération les travaux antérieurs du maître de conférences-A ? Elle ne prend en considération que les travaux des cinq années postérieures à la nomination au grade de maîtres de conférences-A. La CUN n’est pas la CNR scientifique, caisse nationale de retraite, caisse qui ne prend en considération pour le calcul de la retraite que seulement les cinq dernières années de cotisation à la CNASAT.

L’aventure  Thomson Reuters

Pour la session de Juin 2014, du site Web du MESRS, www.mesrs.dz, un fichier CUN 2014, conférence universitaire nationale, était à rapatrier pour la présentation et l’acceptation du dossier au grade de professeur. La date butoir du dépôt de dossier était fixée au 15 Juin 2014. Il est écrit en bas de la page 3 du dit-fichier, en Nota Bene (NB), que les publications de parutions postérieures à l’obtention du grade de maître de conférences « A » doivent avoir pour supports des revues référencées dans le Journal of Citation Reports (JCR) de THOMSON REUTERS, complétées par la liste des revues pour les sciences sociales et humaines labélisées par le CNRS (France). Comment se fait-il que le MESRS n’a publié l’Arrêté n° 393 que le 17 juin 2014 instituant une commission scientifique nationale de validation des revues scientifiques ?? Cet Arrêté est même annexé de la composition de la commission scientifique nationale. Un « département » ministériel décide-il, recommande t-il et applique t-il des textes avant leur parution sous forme de Décret ou d’Arrêté du Ministère ? Certains éditeurs de ce bouquet Thomson Reuters, Springer, Elsevier, etc., ont même publié des articles « douteux ». En effet, l’éditeur allemand de publications scientifiques Springer a retiré de ses archives 16 articles générés automatiquement par un programme informatique et signalés comme des faux grossiers par un chercheur français [1].

3. Les origines  de Thomson  et sa relation  avec le MESRS

A l’origine, DUCRETET-THOMSON fabriquait des postes radios et téléviseurs. THOMSON-CSF fait partie du complexe militaro-industriel. Elle fabrique les guidages de « missiles » et tout le matériel électronique de la haute technologie pour l’industrie militaire. THOMSON s’est associée ou a racheté REUTERS, la plus grande agence de presse britannique, un grossiste vendant de l’information brute à des médias. On leur apporte une réactivité permanente et une activité sept jours sur sept. La révolution numérique constitue également un défi, puisque la volonté de contrôle de ces institutions est compliquée par l’extraordinaire masse d’informations disponibles. On retrouve dans les archives du quotidien national El Watan de l’édition du 29/09/2011, sous le titre, Thomson Reuters et ministère de l’enseignement supérieur : Un partenariat de trois ans pour la recherche. Il est écrit que : Thomson Reuters, le premier fournisseur mondial d’informations intelligentes destinées aux entreprises et professionnels, a annoncé, le 8 septembre, un nouveau partenariat de trois ans avec le ministère algérien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui apportera la base de données Thomson Reuters Web of Knowledge -une plateforme de recherche intégrée et polyvalente -aux scientifiques et aux chercheurs de plus de 60 établissements à travers l’Algérie. Dans cet accord, il n’est pas question d’imposer quoi que ce soit aux scientifiques algériens, mais seulement l’utilisation d’une plateforme ou d’une base de données. Pourquoi la direction de la recherche impose aux scientifiques algériens de ne publier que dans les journaux du fameux dit bouquet ? S’il faut privilégier les journaux scientifiques, il faut privilégier ceux édités par les Universités et non pas ceux édités par des groupes financiers de la science ou des groupes du complexe militaro-industriel ou des groupes des hautes études et de recherches de stratégies globales qualifiés de « grandes oreilles» du monde. Il existait un moyen plus immédiat de jauger la recherche menée dans un pays. Il s’agit du tableau croisé des pourcentages d’articles publiés dans les 2000 meilleures revues internationales, et des pourcentages d’articles cités dans ces mêmes revues. Aucun débat n’a été installé dans les autres universités scientifiques algériennes sur ce bouquet scientifique. Le même agissement ou la même modalité d’introduction du LMD, un système d’attribution de nouveaux diplômes, se répétera encore une fois en 2014 mais cette fois-ci dans la recherche avec le bouquet Thomson Reuters. Pourquoi ne pas prendre en considération les journaux indexés par plusieurs bases de données telles ACM Digital Library, Bacon’s Media Directory, DBLP, Google Scholar, INSPEC, JournalITOCs, MediaFinder, etc. ?? The Standard Periodical Directory et Ulrich’s Periodicals Directory. Les revues scientifiques de cette catégorie B proviennent des bases sélectives telles que SCOPUS d’Elsevier, «All databases» de Thomson Reuters (Medline, INSPEC, Biosis...etc) etc. A risque de se répéter, la DGRSDT ne reconnait que la liste de «publist... sciex», une liste de « Science Citation Index Expanded ». Pourquoi la direction de la recherche veut canaliser tous les résultats de la recherche algérienne vers ce seul bouquet de revues ?

Pourquoi  privilégier  le bouquet  Thomson Reuters ?

La réponse est peut être donnée dans l’édition toujours d’El Watan, ARCHIVES ÉDITION DU 16/03/2010 EPOQUE SOUS LE TITRE : On vous le dit. Il est écrit que : …. le prix d’excellence globale de la recherche mondiale a été attribué au directeur de la recherche scientifique et du développement technologique, Hafid Aourag. Ces prix d’excellence ont été remis par la division scientifique de Thomson Reuters, leader des banques de données et source mondiale d’informations intelligentes pour les entreprises et les professionnels.

Marginaliser une frange de scientifiques, ceux dont leurs articles non payants sont publiés par d’autres éditeurs, c’est déjà exercer une domination sur eux. Il y a lieu de savoir qu’en cette date du 10 Novembre 2014, il n’existe aucune revue algérienne de mathématiques qui publie des articles de scientifiques algériens.

Pourquoi et comment la DGRSDT peut faire la « fine bouche » à des revues scientifiques de renommée mondiale ? Des revues algériennes ont existé et ont publié mais juste le temps de « régler » des situations administratives et faire passer au grade supérieur en général des responsables des universités, des recteurs, vice-recteurs, doyens, chefs de départements et les ami(e)s. Il y a même eu des revues scientifiques éditées par des universités algériennes qui n’ont publié qu’UN (1) NUMERO, le temps que le recteur non confirmé dans son poste obtient sa titularisation.

Conclusion

Dans nos universités et au ministère de tutelle MESRS, avec ses différentes directions, les discussions pédagogiques et scientifiques n’existent pas et si elles existent, elles prennent la forme d’une véritable lutte. Même Monsieur le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique lui a été donné de constater un déficit flagrant en matière d’information et de communication au sein des établissements d’enseignement supérieur autour des mesures engagés par le secteur. La domiciliation de toutes les publications scientifiques algériennes chez un seul bouquet de journaux ou d’éditeurs scientifiques peut être une menace ou une pression supplémentaire pour notre nation algérienne. Au contraire, il faut multiplier les bouquets de diffusion de notre recherche. Pourquoi tous nos résultats scientifiques doivent passer par les services d’édition du seul Thomson Reuters actuellement domicilié au Canada, servis dans un plateau ? Ce bouquet ne fait même pas l’effort de fouiner pour savoir qui a fait quoi et qui a élaboré quoi. Cela n’est rendu possible que grâce à la vigilance de la DGRSDT qui a su imposer aux chercheurs algériens, pour être reconnus et pour évoluer dans leur carrière et devenir Professeur, de ne publier que chez Thomson Reuters.

*Universitaire
Référence : 1-Science : un éditeur abusé par de fausses études générées par informatique. Le Quotidien d’Oran, Société, samedi 1er Mars 2014, p.17.