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Crise russe, le retour ?

par Akram Belkaïd, Paris

Depuis le début de l’année, le rouble a perdu près de 25% de sa valeur par rapport à l’euro et au dollar. Ces derniers jours, sa baisse s’est même accélérée et menace de provoquer la panique dans les milieux financiers russes, à commencer par la Bourse de Moscou mais aussi les banques et, surtout, le marché des changes. Pour l’heure, les particuliers ne témoignent d’aucune nervosité si ce n’est qu’ils ont tendance à dépenser plus, phénomène classique quand une monnaie est engagée dans une spirale de dévaluation continue. Il reste à savoir désormais si cette crise monétaire ne va pas se transformer en crise financière.

UN CONTEXTE DEFAVORABLE

Signe de gravité de la situation, la Banque centrale russe a relevé son taux directeur en le faisant passer de 1,5% à 9%. C’est un procédé habituel qui vise à rendre la monnaie locale « plus chère » et à dissuader les spéculateurs de parier continuellement contre sa baisse. Dans le même temps, l’institution monétaire intervient directement sur le marché des changes en achetant des roubles contre des dollars ou des euros. Là aussi, l’objectif est de permettre l’appréciation de la monnaie russe par rapport à ces deux devises principales. Problème, dans le temps, ce type d’intervention s’avère coûteux et risque de sérieusement amputer les réserves de changes du pays (Moscou a dépensé 30 milliards de dollars en octobre pour soutenir sa monnaie).

Et la situation est d’autant plus difficile pour la Russie que ses recettes en devises fortes sont, elles aussi, en baisse. Comme c’est le cas dans nombre d’autres pays producteurs de pétrole, le gouvernement de Vladimir Poutine a bâti son budget sur l’hypothèse d’un baril de brut à 100 dollars. La chute continue des cours de l’or noir intervient donc au mauvais moment puisqu’elle prive Moscou de précieuses ressources pour contrer la chute du rouble. Cela est d’autant plus inquiétant que plusieurs économistes prévoient que la Russie sera en récession en 2015 avec un repli du produit intérieur brut (PIB) pouvant atteindre -4%.

Dans ce contexte, on peut se demander si l’on n’est pas en train de revivre un scénario comparable à celui de 1998 quand les difficultés financières de la Russie avaient débouché sur une grave crise financière mondiale. Bien entendu, les situations ne sont pas comparables. En 1998, Moscou était encore dans une sorte d’idylle avec les pays occidentaux et accueillait avec une certaine bienveillance, pour ne pas dire une certaine docilité, toutes les recommandations du Fonds monétaire international (FMI). Aujourd’hui, le rapport de force est totalement différent. La situation en Ukraine mais aussi en Syrie sans oublier le dossier du nucléaire iranien sont de vrais points de friction entre Moscou et l’Ouest. Or, dans le même temps, les banques occidentales demeurent très exposées en Russie et toute crise financière ne pourra que les affecter négativement. En clair, on se demande comment la Russie et ses partenaires économiques occidentaux vont pouvoir dépasser leurs différends politiques pour arriver à contrer cette crise qui menace.

UN COMPLOT ?

Cela est d’autant plus vrai que des officiels russes n’hésitent pas à prononcer le terme de « complot ». Cela concerne notamment l’évolution du prix du pétrole. Pour Vladimir Poutine, ce repli des cours du brut a une « composante politique ». Une flèche adressée directement à l’Arabie saoudite mais aussi à son parrain américain. Et, jusqu’à présent, le président russe a rappelé à plusieurs reprises que les difficultés monétaires ne le feraient pas renoncer à ses actions politiques et géostratégiques, notamment en Ukraine et au Proche-Orient. En tout état de cause, ce qui se passe sur le front monétaire en Russie n’est pas anecdotique ne serait-ce que sur le plan financier. A bien des égards, l’Algérie est dans une situation comparable et risque fort de devoir prendre les mêmes mesures correctrices que Moscou, à savoir une hausse du loyer de l’argent et de la fiscalité. Cela sans oublier une baisse drastique des importations par le biais de restrictions à l’accès au change. Des mesures qui ne seront pas sans conséquences sur le plan social.