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La déontologie des médias à l'épreuve du scoop et du buzz

par Ridha Najar *

INTRODUCTION

Parler de déontologie professionnelle aujourd'hui, à l'heure où la communication a noyé l'information et où l'Internet et les réseaux sociaux ont fait exploser le temps et l'espace, démultiplié les sources et fait susciter des vocations de journaliste citoyen et de blogueur militant, apparaît comme une nostalgique et vaine tentative de restituer ses lettres de noblesse à un métier en pleine crise d'identité, de doute et de crédibilité, dévoyé qu'il est par l'argent, la politique, la publicité et les relations publiques (PR), la sauvagerie de la concurrence et la course effrénée au scoop et à l'information-spectacle (« infotainment »).

Rappeler aujourd'hui aux jeunes qui n'ont pas été formés - ou mal formés - certaines règles « de base » du métier vous met dans la posture de « dinosaures » dépassés par l'époque ou celle de « vieilles filles » effarouchées par les nouvelles mœurs de plagiat éhonté, de non vérification de l'information et de croisement des sources, d'injure et de diffamation, de non respect du secret de l'instruction et de la présomption d'innocence ainsi que de la vie privée?Sans parler de l'inconsciente et irresponsable offre de tribunes aux défenseurs du terrorisme, sous couvert de liberté d'information et de respect du pluralisme.

En un mot, parler, aujourd'hui, de déontologie professionnelle des journalistes et des médias paraît comme une bataille d'arrière garde sans espoir de retour aux véritables règles professionnelles.

J'insiste sur la distinction entre « déontologie des journalistes », pour parler de la corporation, et « déontologie des médias », comme entreprises, pour mieux mettre en évidence le fait que les organes d'information eux-mêmes, quelle que soit leur plate-forme technique, devraient avoir leur propre charte déontologique interne. Les deux sont distinctes, mais complémentaires car il serait vain que les journalistes s'engagent à respecter une charte déontologique quelconque alors que leurs employeurs, de leur côté, n'acceptent pas un socle commun minimal en la matière.

Mais quelles sont-elles ces règles déontologiques, qui les a édictées et qui peut prétendre veiller à leur respect ?

Tout d'abord, fixons les concepts : Morale, Ethique, Déontologie.

CONCEPTS

Trois substantifs reviennent pour exprimer ce champ: Morale, éthique, Déontologie.

Voisins, mais pas tout à fait synonymes, alors qu'ils sont souvent indifféremment utilisés, y compris par les professionnels.

- Le concept de « Morale » (du latin « moralis » de « mores », les mœurs) concerne les règles de conduite pratiquées et admises par une société donnée. Le concept charrie une large charge du champ religieux dans le sens qui distingue les valeurs du « bien » du « mal », qui définit ce que la religion dicte comme devoirs, comme actions à faire ou à bannir pour être un bon croyant. Il en est ainsi des trois religions du Livre. Les philosophes des Lumières du XVIIIe siècle, dans leur vision humaniste, en ont fait une « morale » universelle, applicable en tous lieux et en tous temps. Ce qui est, évidemment, parfaitement utopique.

- « L'éthique » (du bas latin « ethica », du grec « éthiké, éthikos», de « éthos » mœurs) est plutôt, la partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale. Contrairement à la « morale », elle est particulière et non universelle. Dans un sens plus commun, l'éthique est l'ensemble de principes moraux qui dictent la conduite de quelqu'un. Le concept reste, donc, chargé dune dimension morale au sens du premier concept (comme dans le mot « bioéthique).

- La Déontologie (du grec « deon », « ontos », devoir et « ?logie », discours, doctrine), représente plutôt l'ensemble des valeurs etles devoirs que se dicte à elle-même une profession particulière. Curieusement, le mot, dans ce sens, a été réimporté de l'anglais alors que les anglo-saxons ont préféré, eux, adopter le mot de « ethic », plus proche de la morale.

Pour trancher le débat, la distinction entre « éthique » et « déontologie » est bien marquée par Daniel Cornu dans son ouvrage « Journalisme et vérité, pour une éthique de l'information ». Citation :

« Alors que l'éthique intervient comme puissance de questionnement de l'ensemble du processus de l'information, la déontologie revêt une portée limitée d'une morale propre à l'activité journalistique. Elle renvoie à des règles professionnelles qui constituent les conditions ordinairement admises d'une information correcte, au sens pragmatique. Elle est, en jouant sur les mots, une morale au quotidien » (Ed. Labor et Fides, 1994, p. 48).

HISTORIQUE

Historiquement, l'abolition de la censure en Grande-Bretagne date de 1695, la première loi libérale sur la presse en France remonte au 29 Juillet 1881, mais la première Charte du Journaliste n'a été adoptée qu'en 1918, en France, par le Syndicat National des Journalistes (révisée en 1938). Aux Etats-Unis, c'est l'association la plus représentative, Sigma Delta Chi, qui est à l'origine du Code of Ethics en 1926. Enfin, en Grande-Bretagne, le premier Code de conduite, élaboré par le Syndicat National des Journalistes, date de 1938.

Pour l'audiovisuel, The Code of Broadcast News Ethics de l'association des directeurs de l'information à la Radio-TV aux USA remonte à janvier 1966 (depuis il a été modifié plusieurs fois).

DE LA DEONTOLOGIE JOURNALISTIQUE : ESSAI DE DEFINITION

Le combat pour la Liberté de presse a pour corollaire un souci permanent d'auto contrôle de la presse sur elle-même. Les médias qui ont lutté pour la liberté de la presse, depuis la naissance de la presse à grande diffusion, ont toujours essayé de constituer un contre-pouvoir au service de la démocratie et de la liberté d'expression.

En contre partie, pour mériter leur crédibilité et la confiance de leurs lecteurs, il leur fallait mener un autre combat : la moralisation de leur propre profession. Historiquement, ce souci de moralisation, s'il s'est manifesté dès le IXXe siècle, n'aboutira à une certaine concrétisation qu'au début du XXe siècle grâce à l'action d'associations de journalistes.

- Au-delà des lois et règlements qui régissent l'exercice de la profession ou celui des libertés publiques - le droit à l'expression faisant partie intégrante des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales -;

- Au-delà des codes de l'information et de leurs décrets d'application qui régissent les publications, le dépôt légal, la responsabilité du directeur de la publication?;

- Au-delà des définitions qui sont données par le code de l'information ou par le code pénal des délits de presse - comme la diffamation ou l'injure- ou qui imposent des droits de réponse ou de rectification?;

- Au-delà de tous ces textes de lois, il existe des lois et règlements, écrits et non écrits, des règles de conduite, que la profession s'impose à elle-même?un ensemble de valeurs, de principes ou d'ambitions que la profession a forgées, souvent dans la douleur, et qu'elle ne cesse de réviser, d'amender, d'améliorer, de défendre.

Ainsi donc, la déontologie du journaliste recouvrirait à la fois le champ réglementé par la loi - et que chaque citoyen ne peut outrepasser sans risquer d'en payer le prix - et celui, plus flou, de l'éthique professionnelle qui serait, elle, définie par la profession elle-même.

Il s'agit donc essentiellement non de lois mais de pratiques professionnelles concrètes que la profession s'impose à elle-même pour :

- Mieux pouvoir défendre la liberté de presse,

- Transcender la recherche et le respect de la vérité,

- et se tracer volontairement des limites comme le respect de la vie privée et de la personne humaine.

Le flou qui règne sur ces règles, écrites ou, surtout, non écrites, détenues et défendues par des gardiens anonymes, permet parfois toutes les dérives et toutes les entorses. Les objecteurs de conscience n'étant aimés par personne, les faiblesses individuelles expliquent par ailleurs la passivité de la majorité.

Qui serait, en effet, assez irréprochable pour oser juger ses confrères ? (« Que celui qui n'a pas péché, me jette la première pierre » !).

Par ailleurs, est-il toujours possible de respecter la déontologie dans une ère de concurrence sauvage et du dictat des impératifs commerciaux ?

Ces règles ne sont pas sans soulever de vrais débats, des conflits même, portant sur la relativité des notions déontologiques, relativité dans le temps - évolution selon les époques et les mœurs -, dans l'espace - « vérité au delà des Pyrénées? » - et même en fonction de la technologie qui permet aujourd'hui d'accéder à des données et informations jadis inaccessibles ou de manipuler à loisir sons et images numériques?

Souvenons nous, pour souligner cette relativité, que la presse écrite ne publiait pas les photos de morts au début du siècle !

Débats soulevés par l'évolution de la presse, d'un côté vers le sensationnalisme mercantile et, d'un autre, vers un journalisme d'investigation générateur de conflits éthiques tel celui soulevé, par exemple, par le journaliste allemand Günter Wallraff (?Tête de turc ? ) obligé de déguiser son identité ou par l'emploi, aujourd'hui de caméras cachées pour pouvoir accéder à l'information.

Débat déontologique également quand il s'agit de décider, en cet été 2014, s'il faut diffuser les vidéos ou les images de la décapitation en direct des otages des islamistes (James Foley, Steven Sotloff, Alan Henning, Hervé Gourdel).

Vieux débat soulevé par la mort, en direct, de la petite colombienne Omayra Sanchez, s'enfonçant le 16 Novembre 1985 dans la boue du volcan d'Arnero.Dans la même année, et dans le domaine du domaine sportif, rappelons le débat qui a concerné la retransmission de la finale Liverpool-Juventus (30 Mai 1985), au stade du HEYSEL, drame de l'écroulement des tribunes que la télévision allemande a refusé de diffuser.

Plus ancien encore, mais plus proche de nous Maghrébins, la retransmission ou non du massacre de Sabra et Chatilaentre le 16 et le 18 septembre 1982.

Voyez, aujourd'hui, comment l'on étale à souhait ce genre d'images ou de vidéos remplies de morts et de cadavres mutilés ou déchiquetés. La banalisation du terrorisme et de la mort, en quelque sorte !

ELEMENTS DE DEONTOLOGIE

Le texte qui fait aujourd'hui référence (après la Charte française de 1938), et dont on retrouve de nombreux éléments dans les valeurs de nombreuses associations, syndicats ou ordres de journalistes, est celui de la Charte des devoirs et droits du Journaliste adoptée à Munich en Novembre 1971 par les associations de journalistes européens.

Après avoir affirmé le droit à l'information, à la libre expression et à la critique comme « une des libertés fondamentales de tout être humain », cette Charte rappelle que « la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l'égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics » et définit les limites que comporte cette mission d'information et que « les journalistes eux-mêmes s'imposent spontanément ».

Et d'énumérer les dix devoirs essentiels que « tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir de respecter dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements »:

« 1. Respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même,

et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.

2. Défendre la liberté de l'information, du commentaire et de la critique.

3. Publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent ; ne pas supprimerles informations essentielles et ne pas altérer les textes et documents.

4. Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents.

5. S'obliger à respecter la vie privée des personnes.

6. Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.

7. Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement.

8. S'interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation et les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d'une information.

9. Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.

10. Refuser toute pression et n'accepter de directive rédactionnelle que des responsables de la rédaction ».

Les cinq droits du journaliste, selon cette Charte deMunich sont :

« 1. Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d'information et le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception et en vertu de motifs clairement exprimés.

2. Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu'elle est déterminée par écrit dans son contrat d'engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale.

3. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou à sa conscience.

4. L'équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l'entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition

de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journalistes.

5. En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu'à une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique. »

La déclaration des principes sur la conduite des journalistes de la FIJ (Fédération

Internationale des Journalistes) de 1954, amendée à son Congrès de 1986, a identifié 9 valeurs premières dans « Les règles de conduite des journalistes dans la recherche, la transmission, la diffusion et le commentaire des nouvelles et de l'information et dans la description des événements ».

1. Respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître constitue le devoir primordial du journaliste.

2. Conformément à ce devoir, le journaliste défendra, en tout temps, le double principe de la liberté de rechercher et de publier honnêtement l'information, du commentaire et de la critique et le droit au commentaire équitable et à la critique loyale.

3. Le journaliste ne rapportera que les faits dont il/elle connaît l'origine, ne supprimera pas les informations essentielles et ne falsifiera pas de documents.

4. Le journaliste n'utilisera que des moyens équitables pour obtenir des informations, des photographies et des documents.

5. Le journaliste s'efforcera par tous les moyens de rectifier toute information publiée et révélée inexacte et nuisible.

6. Le journaliste gardera le secret professionnel concernant la source des informations obtenues confidentiellement.

7. Le journaliste prendra garde aux risques d'une discrimination propagée par les médias et fera son possible pour éviter de faciliter une telle discrimination, fondée notamment sur la race, le sexe, les mœurs sexuelles, la langue, la religion, les opinions politiques et autres et l'origine nationale ou sociale.

8. Le journaliste considèrera comme fautes professionnelles graves:

- le plagiat

- la distorsion malveillante

- la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement

- l'acceptation d'une quelconque gratification en raison de la publication d'une information ou de sa suppression.

9. Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d'observer strictement les principes énoncés ci-dessus. Reconnaissant le droit connu de chaque pays, le journaliste n'acceptera, en matière professionnelle, que la juridiction de ses pairs, à l'exclusion de toute intrusion gouvernementale ou autre.»

Autres règles puisées dans le Code éthique des USA:   

- La recherche et la publication de la vérité qu'elles qu'en soient les conséquences pour le journaliste

- La liberté de conscience

- L'honnêteté intellectuelle

- La lutte contre la vénalité et la corruption

- Le respect de l'avis d'autrui, surtout s'il est contraire à ses propres convictions

- Le refus des cadeaux de valeur, des voyages gratuits et des traitements de faveur qui peuvent compromettre l'intégrité des journalistes et de leurs employeurs

- la stricte distinction entre le fait et le commentaire

- le respect de la vie privée des personnes

- le devoir de corriger rapidement et complètement les erreurs?

?Et dans le code de conduite des journalistes anglais :

- la défense de la liberté de la presse

- la vérification de la véracité et de l'exactitude de l'information

- le respect de la dignité, peine et de la détresse humaine

- la lutte contre la discrimination raciale, religieuse ou sexuelle?

REGULATION : QUI DOIT DEFINIR LA DEONTOLOGIE ?

A travers ces exemples, l'on constate que la définition de la déontologie a souvent été le fait et l'initiative de la profession. Cette sorte de chasse gardée lui est reconnue? jusqu'au moment où elle pèche par son absence et son laisser-aller. Alors, dans de nombreux pays, devant la détérioration des pratiques professionnelles, différentes commissions, administrations ou instances ont été tentées de se substituer aux professionnels pour essayer de leur dicter les règles morales de l'exercice de la profession. Aux Etats-Unis, la FCC (Federal Communication Commission) a essayé de lutter contre la course effrénée au sensationnel que se livrent les différentes chaînes de télévisions en mettant au point, en 1988, sa fameuse Fairness Doctrine, bloquée par le veto du président Ronald Reagan.

En Tunisie, pour ne pas aller trop loin, en 1981, l'ex-Ministère de l'information voulait imposer aux journalistes un code moral dicté par?l'administration.

Cette constatation ne rend que plus importante la responsabilité des professionnels qui doivent veiller eux-mêmes au respect de l'éthique et à la moralisation de leur profession.

Mais la question n'est pas si simple car la profession concerne à la fois les journalistes, l'entreprise de presse, les patrons et les autres métiers impliqués dans sa fabrication, sa duplication et sa distribution. En allant encore plus loin, l'on peut dire que les publics eux-mêmes sont concernés par ce débat, eux à qui, en définitive, est adressée la «marchandise» presse.

C'est en ce sens que je distinguais en début de communication «la déontologie des journalistes de celle des «médias». Chaque entreprise d'information, et quel que soit son support, se doit, en effet d'avoir une Charte déontologique interne, voire, pour aller jusqu'au détail de l'écriture de presse, un Style Book. C'est le cas de la BBC, de Radio Canada, de l'AFP et de nombreuses autres entreprises. Radio Mosaïque, la télévision publique tunisienne et l'agence TAP ont la leur en Tunisie. Les associations de journaux, de radios ou de télévisions devraient avoir une plate-forme minimale commune.

L'implication ou l'interaction avec les publics se fera au travers de médiateurs, «ombudsmen» chargés d'être à l'écoute et de répondre aux plaintes des lecteurs ou auditeurs-téléspectateurs.

RÉGULATION, AUTORÉGULATION OU CO-RÉGULATION ?

TELLE EST LA QUESTION FONDAMENTALE.

Si pour l'audiovisuel qui s'invite directement dans les foyers, les professionnels ont admis partout le principe d'autorités de régulation édictées par la loi mais dans lesquelles ils sont représentés, la querelle demeure en ce qui concerne la presse écrite (qui n'est consultable que par un acte d'achat volontaire, ce qui n'est pas, entre autres, le cas de la presse électronique !).

De nombreux professionnels plaident pour un dispositif de veille sous forme de «Conseil de presse». Ils veulent suivre en cela l'exemple de nombreux pays démocratiques.

Au Québec, le Conseil de presse est paritaire entre représentants de journalistes et ceux des patrons. Des citoyens y ont été ensuite associés. Il fait office de «tribunal d'honneur». En Belgique, un «Conseil de déontologie journalistique regroupe journalistes, éditeurs de journaux et représentants de la société civile. En Suisse, six membres sur 21 du Conseil de presse sont issus du public. En Grande-Bretagne, dix sept membres, pour la plupart non professionnels, forment la «Press Complaint Commission» fondée en 1991. Idem pour l'Australie. En Inde, c'est le parlement qui a créé le Conseil de presse.

La France, sur ce plan, est en retard. Seule existe à ce jour une Association de préfiguration d'un Conseil de Presse (http://apcp.unblog.fr/).

C'est l'objet même du différend qui oppose actuellement el Syndicat National des Journalistes en Tunisie à l'Associations des Directeurs de Journaux. Le SNJT souhaite une auto régulation complètement gérée par les journalistes alors que les patrons de presse, tout en adhérant au principe d'un conseil, souhaitent que celui-ci soit édicté par la loi et garanti par l'Etat.

Le débat demeure également sur la question des pouvoirs de ce Conseil de presse. Simplement symbolique et moral ou autorité contraignante et exécutive susceptible, par exemple, de faire retirer la carte de presse ?

En Algérie, et depuis la promulgation de la Loi Organique 12-05 du 12 Janvier 2012, surtout, en 2014, vous avez franchi du terrain sur le plan de la réglementation : libéralisation de l'espace audiovisuel (Loi 14-03 du 24 Février 2014), décret du 30 Avril 2014 sur la composition de la Commission de la Carte de presse, installation de l'autorité de régulation de l'audiovisuel?

Reste le Conseil de presse (une fois les journalistes professionnels identifiés) et la dépénalisation des «délits de presse».

MAIS CANAL INCONTOURNABLE

Où en sommes-nous aujourd'hui de ces valeurs minimales ?

Force est de reconnaître que nous en sommes bien loin. Le développement et la démocratisation des télécommunications (satellites, téléphone portable), de l'informatique et l'irruption de l'Internet et des réseaux sociaux dans la «sphère publique» ont bouleversé la donne.

Espace et temps ont été réduits à néant. Les sources de l'information ont échappé aux médias traditionnels. Le simple citoyen est devenu producteur/diffuseur de l'information et a inversé le sens du flux de la communication. Mieux, les citoyens, au travers des réseaux sociaux, ont tissé la toile de l'agora publique que les médias lourds n'ont pas réussi à édifier.

Résultat : du bon et du moins bon.

Du bon dans la multiplication des sources, dans le libre accès du citoyen aux sources de son choix, dans les possibilités d'expression offertes aux citoyens, aux démunis et aux minorités. Dans l'immense gisement de connaissances et de savoir de la toile à la portée d'un clic?Désormais, les pouvoirs traditionnels n'ont plus le monopole d l'information !

Mais le revers de la médaille est plus sombre. Exemple.

En Tunisie, Le seul acquis de la «révolution» est une réelle liberté de l'information qui va, hélas, jusqu'aux dérives les plus condamnables. La concurrence, la course au scoop sont tels que les «animateurs» des radios et télévisions, propulsés journalistes du jour au lendemain, multiplient les bévues, les fausses nouvelles, les dérives déontologiques.

Le recours sans vérification aucune aux rumeurs des réseaux sociaux (essentiellement Facebook, à un degré moindre pour Twitter) est devenu la règle pour les médias électroniques et les radios télévisions qui ont moins de recul que la presse écrite. Cette dernière n'est pas pour autant entièrement innocente. Certains titres sont vénaux, ou dépendent de financements occultes de partis politiques. Ils déclenchent sur commande des campagnes de calomnies et de mensonges.

En pleine campagne électorale actuelle (Octobre 2014), les Réseaux sociaux sont devenus le lieu de l'insulte, de la diffamation, du mensonge et des règlements de compte. Les partis et les hommes politiques recourent de plus en plus aux réseaux sociaux.

Qui n'a pas sa page Facebook ? Ce canal devient même un porte-parole officiel utilisé par les individus, les partis et les ministères. Mais il est également le circuit de communication, à chaud et en direct, de la société civile de plus en plus vigilante, de plus en plus active. Mais également ignorante des règles les plus élémentaires du métier de journaliste.

Devant la pression des événements, devant l'agitation de la rue et les crimes du terrorisme, même le ministère de l'intérieur et la Grande muette (l'armée) sont obligés d'avoir leur porte parole. Débutants dans le métier, tiraillé entre l'obligation d'informer et le souci du secret sécuritaire, ils tombent souvent dans la vieille langue de bois qui a fait tant de mal à la communication de nos institutions. Ne parlons pas du regrettable «copier-coller» qui gangrène nos rédactions et même notre recherche universitaire !

Le véritable problème ne réside pas dans cette profusion des sources autant qu'il réside dans la marginalisation des organes d'information traditionnels ! La presse écrite n'est plus lue. Le quotidien a perdu sa fonction d'information. Ses titres, le matin, paraissent dépassés car l'information est déjà parvenue au citoyen au travers de la presse électronique, des réseaux sociaux et de la radio.

La presse écrite quotidienne, sous peine de disparaître, devra donc repenser ses fonctions, se trouver de nouvelles vocations et obligatoirement s'engager dans la convergence des médias.

Le quotidien papier, obligatoirement décliné en version électronique, s'attachera non plus à l'information brute, mais à sa mise en perspective, son explication, son commentaire et à l'investigation en profondeur.

Il ne s'agit nullement, pour nous journalistes professionnels, d'ignorer les réseaux sociaux ou de les boycotter. Comment ignorer le milliard de web sites et les 3 milliards d'internautes (statistiques de septembre 2014 par le site Internet Live stats) ? Comment ignorer nos jeunes qui ne lisent plus sur papier et qui regardent peu la télévision ?

Bien au contraire. Les réseaux sociaux sont devenus indispensables, incontournables, à la fois comme instrument de veille et source d'informations de proximité et comme relais de diffusion et d'interactivité avec les lecteurs/auditeurs/téléspectateurs.

A charge pour nous de vérifier et de recouper ce qu'ils diffusent avant de le relayer à chaud.

A charge pour nous de réhabiliter ce métier par une offre crédible, de qualité qui fait la différence avec l'amateurisme des blogueurs et l'irresponsabilité de certains internautes.

Pour cela, il est nécessaire de former les journalistes et de réglementer leur utilisation.

NECESSITE DE LA FORMATION

De grands médias internationaux ont, enfin, compris le défi que leur posaient les réseaux sociaux, de l'extérieur comme concurrents, mais également de l'intérieur comme sources viciées et tentations de paresse et de plagiat pour leurs employés. Sans parler d'une autre concurrence, plus sournoise et plus néfaste celle-là puisqu'il s'agit de la concurrence de leurs propres employés qui produisent blogs et pages personnelles sans référence à leur organe d'appartenance.

BBC, Radio Canada, France Télévision ou l'agence AFP ont réglementé l'usage des réseaux sociaux pour accompagner leurs journalistes et pour baliser leur production sur la toile. Le Centre Européen de Journalisme de Maastricht a publié en Février 2014 un «Verification Handbook», en anglais pour le moment.

Tous s'accordent sur un certain nombre de principes d'utilisation :

- Oui à l'utilisation des réseaux sociaux comme veille, source de l'information, des centres d'intérêts, mais aussi comme support de diffusion (en particulier sur Twitter et Facebook, mais aussi sur LinkedIn, Flickr, Google+ ou Tumblr). Des organes comme Le Monde ont même hébergé les blogs de leurs collaborateurs pour ouvrir plus d'espace d'expression à une matière qui déborde parfois.

- Mais vérification très rigoureuse l'identité de la source et de sa crédibilité : plus le sujet est polémique et grave, plus l'identification de la source devient une nécessité.

- Identification indispensable des personnes et des institutions émettrices.

- Recoupement systématique de l'information auprès d'autres sources, en particulier en s'adressant directement aux premiers acteurs, concernés ou impliqués.

- Examen minutieux des photos, sons et vidéo pour déceler les trucages.

- Profonde réflexion logique sur la crédibilité des faits eux-mêmes : cela peut-il être possible ?

- Oui à la participation active et non anonyme des journalistes sur ces réseaux pour élargir leurs contacts et être en interaction avec le public, mais avec le respect le plus strict de l'image et de la ligne éditoriale de l'organe.

- Réserver la primeur des informations à l'entreprise et ne pas critiquer les confrères.

- Renvoyer par liens vers la production de son organe.

- Rectifier immédiatement toute information erronée.

- Toute information personnelle devra être nettement distinguée des informations professionnelles.

De nombreux outils existent pour cela. La formation à l'utilisation des réseaux sociaux par les journalistes est donc indispensable, tant au niveau de la formation initiale dans les écoles de journalisme qu'à celui de la formation permanente des professionnels en place.

CONCLUSION : REHABILITER LE PROFESSIONNALISME

Notre confrère, le ministre de la communication, Hamid GRINE, milite pour une «presse professionnelle», et «pour une presse de l'exactitude et non de l'objectivité» car «il y a toujours une part de subjectivité dans l'objectivité».

Pour aller dans son sens, je préfère ajouter la notion «d'honnêteté» du journaliste et non «d'objectivité», celle-ci n'existant pas du fait même de la traduction d'une réalité au travers d'un prisme personnel, forcément déformant.

Il serait vain et prétentieux de vouloir clore un débat aussi vaste et aussi mouvant que celui de la déontologie.

Le combat pour une presse de qualité, crédible, libre parce que responsable, est un combat permanent. Dans cette lutte, un immense terrain est à conquérir ou à reconquérir, à défendre pouce par pouce, par le seul combat pour une production professionnelle, soucieuse de servir plutôt que de se servir, respectueuse de son public et par là ? d'elle même.

Personnellement, je ne suis pas loin de penser que le respect de la déontologie est la meilleure défense de la liberté de la presse et qu'il signifie, très souvent, qualité du journalisme.

* Journaliste, professeur de journalisme et ancien Directeur Général du CAPJC,Tunisie