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La Tunisie vote aujourd'hui pour son avenir : Un scrutin à hauts risques

par Yazid Alilat

Quelque 5,3 millions d'électeurs répartis dans 33 circonscriptions électorales ont commencé à voter en Tunisie où ont débuté dimanche des élections législatives qui doivent désigner 217 députés sur les 1.300 listes de candidats en lice.

A l'étranger, les Tunisiens avaient commencé à voter depuis vendredi. Mais, cette consultation se déroule au milieu d'une ambiance sociale et politique morose, alors que le spectre du terrorisme, du chômage et les attentes déçues post-Benali ont donné aux Tunisiens un arrière-goût de révolution «ratée». Les urnes seront, selon des observateurs, boycottées dans une large proportion des quelque 5,2 millions d'électeurs, le pays faisant face depuis plus d'une année au terrorisme et au chômage qui provoque des mouvements de protestation cycliques dans les régions pauvres. C'est d'ailleurs dans ces régions que l'on retrouve le plus grand nombre de candidats et de listes pour ces législatives, d'autant que les partis en lice ont construit leur campagne électorale autour du thème de la lutte contre la pauvreté, l'isolement des régions et le chômage. Plus de 15 % de la population active tunisienne est sans emploi et 33 % de diplômés sont chômeurs. Faut-il dès lors s'étonner que ce sont les régions où le chômage est le plus important qui ont présenté le plus de candidats ? Pêle-mêle, il y a donc les circonscriptions de Kasserine (69 listes), la ville de Sidi Bouzid d'où est partie la révolte contre le régime de Benali fin 2011 avec 64 listes, Gafsa (62 listes), Kairouan (61 listes) et Jendouba (60 listes). Par les chiffres, ces élections, en prélude à l'élection présidentielle prévue, elle, le 23 novembre prochain, mettent en lice 1.327 listes de candidats validées, qui se répartissent en 803 listes de partis, 159 listes de coalitions et 365 listes indépendantes. En outre, 148 têtes de liste sont des femmes, soit 11.26% du total, alors que 90 partis sont partants pour ces législatives. Mais, ces élections mettent en fait face à face deux grosses cylindrées politiques: les islamistes d'Ennahda, parti dirigé par Rached Ghannouchi, et Nida Tounés, formé d'anciens barons du régime Benali et de nouveaux arrivants ayant comme légitimité politique d'avoir fait ?'dégager'' l'ex-président en fuite Zine El Abidine Benali. Il y a également comme outsiders les partisans du Congrès pour la république et l'Union patriotique libre, outre les petits partis de gauche, qui ont émergé lors de la crise politique de l'été 2013. Enfin, 27 partis participent avec une seule liste chacun. Pour autant, le mode de ce scrutin, à la proportionnelle au plus fort, va favoriser les petits partis en lice contre les partis bien implantés à travers le pays. D'autant que ce mode de scrutin va défragmenter les voix des électeurs, ce qui va fatalement provoquer un émiettement des voix et aucun parti ne pourra être majoritaire. «Je crois que le Parlement sera fragmenté», reconnaît Mohsen Marzouk, un des dirigeants de Nida Tounès, selon lequel Ennahda et son parti vont se partager quelque 150 sièges, les autres revenant à une kyrielle de petites formations avec lesquelles des négociations pour former une coalition de gouvernement devront avoir lieu.

DEPRIME ECONOMIQUE

Sur le front économique, ces élections devraient apporter une plus grande légitimité à la nouvelle équipe qui va gouverner et diriger en même temps la prochaine élection présidentielle. Deux événements politiques majeurs pour la communauté financière internationale, qui attend les résultats de ces deux consultations pour avoir plus de visibilité politique pour leurs investissements dans le pays, après le départ massif qui a ponctué la chute du régime de Benali, la situation politique chaotique de l'été 2013 et, surtout, l'émergence du terrorisme. Les perspectives économiques ont en fait déprimé autant par une absence importante d'investissements directs étrangers que par une hausse du chômage et de l'inflation. Une situation dangereuse qui a amené le Fonds monétaire international (FMI) à venir en aide à la Tunisie en lui accordant en avril dernier un plan d'aide global de 1,7 milliard de dollars pour re-financer son économie. Le FMI estime ainsi que ?'la Tunisie est en phase d'achever sa transition démocratique avec l'avènement des élections'', dont les élections législatives. Cette ?'nouvelle étape permettra de galvaniser le soutien des partenaires au développement'', souligne le Fonds.

SCRUTIN SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Mais, cette consultation se déroule sous haute surveillance. La menace terroriste reste entière et pèse sur ces élections, d'autant que les forces de sécurité ont mis hors d'état de nuire un groupe terroriste vendredi.

En effet, six personnes ont été tuées vendredi dans un assaut mené par la police contre une maison près de Tunis où un groupe armé s'était retranché depuis la veille. Les forces de l'ordre faisaient depuis jeudi matin le siège de la maison située à Oued Ellil, après qu'un gendarme a été tué et un autre blessé lors d'une intervention des forces de l'ordre. La présence de deux enfants à l'intérieur a retardé l'assaut, finalement donné vendredi matin. Selon le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui, cinq femmes et un des hommes armés ont été tués, tandis qu'un deuxième homme armé a été «blessé et hospitalisé», de même qu'une autre femme, touchée à l'épaule. Les deux enfants - un garçon de deux ans et une fillette de trois ans - ont également été transportés à l'hôpital. La fillette, blessée à la tête, se trouve dans un état stable, a précisé M. Aroui. D'après lui, «les unités spéciales se sont approchées (de la maison) au niveau de la cuisine où se cachaient les terroristes» puis «les femmes sont sorties de la cuisine en tirant». Le responsable a qualifié l'ensemble du groupe de «terroriste».

Le ministère tunisien de l'Intérieur et celui de la Défense ont ainsi déployé quelque 80.000 policiers et militaires à travers tout le pays depuis une semaine pour sécuriser ces élections. Le Premier ministre, Mehdi Jomaa, les ministres de l'Intérieur et de la Défense et le président de l'instance organisant les élections (ISIE), Chafik Sarsar, avaient inspecté samedi dans la région de Nabeul (nord) des bureaux de vote, des postes de police et un centre de stockage des urnes. »Ce qui est important, c'est de voir les dernières mesures mises en place pour la sécurité, les préparatifs pour la grande journée, l'heure de vérité», a déclaré M. Sarsar. Pour autant, les résultats de ces élections ne devraient pas être annoncés dans la soirée de dimanche. L'ISIE a en effet souligné qu'elle ne serait probablement pas en mesure d'annoncer les résultats dans la nuit de dimanche à lundi. Elle a jusqu'au 30 octobre pour faire état de la composition du nouveau Parlement, alors que les partis en lice peuvent néanmoins publier plus tôt les résultats de leur décompte des voix, le dépouillement étant public.