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Des villes d'«histoires» !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

ALGER BLESSEE LUMINEUSE. Portraits. De Daikha Dridi (photographies de Louiza Sid-Ammi et préface de Ghania Mouffok). Editions Barzakh Editions, 216 pages, 500 dinars, Alger 2008 (Editions Autrement, France 2005).

En fait ce sont moins des portraits d'individus ou de groupes (19) que des «aventures de vie» d'Algérois (des gens résidant à Alger et pas nécessairement issus ou nés à Alger, ce qui donne des regards bien plus vrais, pour ne pas dire objectifs). A travers eux, on découvre la Capitale, mais aussi l'Algérie que la décennie... rouge a profondément blessée et qui tente, péniblement, mais de manière décidée, «engagée», de se sortir des bourbiers de toutes sortes engendrés (chaos urbain, justice ignorée ou bafouée, droits élémentaires piétinés, commerce anarchique, culture nivelée par le bas, jeunesse déboussolée, arrogance des nouveaux riches?) de s'en sortir. Heureusement, grâce à des hommes et à des femmes, connus ou non, jeunes ou moins jeunes, mais tous héroïques quelque part (des «arpenteurs», des «panseurs», des «combattants», des «artistes», des «passeurs»?) aux itinéraires complexes et singuliers, de la lumière est encore là ou commence à poindre. Encore un effort et elle est atteinte. C'est ce qu'a réussi à transmettre comme message l'auteure? une journaliste qui connaît son terrain.

Avis : Belles photos (paysages et portraits) en noir et blanc de Louiza Sid-Ammi. On y voit toutes les blessures mais aussi bien des lumières d'espérance. Très belle mise en page. De la qualité «Barzakh» !

Extraits : «Alger (?) cultive ses deuils dans l'indifférence de ses gens sans mémoire, parce que Alger est une ville de peu de mémoire mais qui croit en son avenir» (Ghania Mouffok, préface, p 13), «Alger est une ville de cigales, pas de fourmis, une ville qui s'invente au jour le jour, d'où cette impression de désordre, d'inachevé se pavanant de chantiers en chantiers, enfermée dans son orgueil démesuré de capitale provinciale» (Ghania Mouffok, préface, p 13), «Alger est une ville énervée la journée, majestueusement sereine au coucher, comateuse la nuit» (Daikha Dridi, p 18), «Alger aujourd'hui donne l'image d'un cancer qui est en train de métastaser» (Larbi Marhoum, architecte, p 39), «Une plaie qui n'est pas curée va tout le temps produire du pus et de la gangrène. Une fois que le bilan est fait, le traitement peut être entamé, par la transparence et la justice, les Algériens ont besoin de conscientiser ce qui leur est arrivé, de regarder les choses en face, et ils doivent assumer cela sur le plan historique et non pas refouler» (Hocine Zahouane, p 107).

Un concert à Cherchell. Ouvrage mémoriel (et autobiographique) de Nora Sari. Casbah Editions, 363 pages, 750 dinars, Alger 2013 (L'Harmattan, Paris 2012)

Enfin, un gentil livre. Il faut de tout pour faire de la (bonne) littérature, n'est-ce pas ? Le livre raconte la vie (sinon heureuse, du moins tranquille) cherchelloise des années 40-50. Mais, seulement la vie de la population citadine, seulement la vie d'une catégorie bien précise... les vieilles, grandes et bonnes et familles, entres autres les Baba-Ali, les Ghobrini, les Sari, les Youcef Khodja. Une saga familiale, et tout son environnement entre Cherchell et El Biar. Tout y est décrit avec minutie et force détails (un peu trop ?). La vie de tous les jours, presque «dorée», les traditions, us et coutumes, la réussite des recettes de cuisine, l'amour de la belle musique arabo-andalouse, le respect des anciens, les bouqalate, les complaintes, les berceuses (Oh, les belles pages ! à qui il ne manque que le texte original...en arabe), et...Un cercle bien fermé, bien que ne refusant pas les bienfaits du modernisme qui pointait son nez. Le tout dans une ambiance de cohabitation paisible (sauf avec certains voisins de certaines autres villes voisines, «piquées» au passage»...chacun, bien sûr, vivant comme il l'entend et sans se mêler des affaires des autres, y compris les habitants d'origine européenne? et l'on ne se sent pas en «colonie». D'ailleurs, la politique est quasi-absente. Peut-être, avec le rappel de la résistance de Malek Berkani (pp 249-252). Un livre excellemment écrit, parcouru de mots souvent bien bizarres? de nos jours (cachectique, tintannabulantes, glyphes, exèdre, bornoyer?), c'est-à-dire pour ceux qui ne maîtrisent pas le français académique? le français des profs'?du «bon vieux temps».

Avis : De la nostalgie utilitaire. En tout cas, peut servir aux sociologues des villes et aux «grandes familles». On attend avec impatience d'autres confessions d'autres auteur (e)s pour d'autres villes (Constantine, Annaba, Médéa, Jijel, Bejaia?)

Extraits : «Les murs des maisons de la médina étaient aveugles. Les fenêtres, les balcons, les terrasses existaient bel et bien, mais, tout comme les femmes, ces lieux étaient voilés puisqu'ils étaient résolument tournés vers le patio» (p 93), «Les canons de la beauté chez les Algériens et les Arabes en général s'arrêtaient au teint, le plus clair possible et au poids : le plus généreux? Quoique... dès les années quarante, l'irruption du cinéma français et égyptien dans les mœurs, ainsi que les catalogues et les magazines de mode, avaient annihilé ces canons obsolètes?» (p 94), «Mais les pauvres (de Lella) ne vivaient pas en ville !... Inconnus, anonymes, ils n'appartenaient pas à notre communauté, et c'est pour cela que leur sort n'inquiétait pas les citadins outre mesure» (p 148), «A Cherchell, souvent, le prétendant est connu : cousin, voisin? Dans les grandes familles, on se marie entre soi. (p 285)

SI BELCOURT M'ETAIT CONTE. Séquences de vie de Messaoud Djennas. Casbah Editions, 205 pages, 750 dinars, Alger 2014.

Une autobiographie ? Des mémoires ? La description d'un grand quartier ? Une analyse sociopolitique ? Un peu de tout, de tout un peu.

 Belcourt (aujourd'hui Belouizdad, du nom d'une des plus grands icônes du Mouvement national, décédé trop tôt, usé par la lutte clandestine bien avant 54) est un quartier au monde (encore) foisonnant et hétéroclite. Un carrefour et un rond ?point... que les manifestations du 8 mai 45 et surtout du 11 décembre 60 (ces dernières précédées, il faut le répéter et le répéter encore et encore, par celles du 10 décembre à Ain Témouchent, «bien que d'une ampleur moindre»? et dans d'autres villes du pays)... puis ?après l'Indépendance - son club de football (surtout du temps de Hacène Lalmas) ont rendu célèbre. Comme la Casbah, avec sa blancheur et sa «Bataille».

Durant la période coloniale décrite par l'auteur, on y retrouvait de tout : Arabes, Européens de toutes confessions? mais tous appartenant à la sous-classe moyenne (la mère de Camus faisait les ménages), avec une pincée de familles dites aisées (Hamoud Boualem, Tiar, Brihmat, Ben Lakhal, Hadj Hammou, Bensiam, Sid Ali M'Barek?). Une sous-classe moyenne flirtant quotidiennement sinon avec la pauvreté, du moins en recherche continuelle de sa pitance quotidienne. On cohabitait. Presque aucun apartheid (visible), mais sans trop de mélanges, chacun dans son monde. «Ainsi était vécue une réalité coloniale : cohabitation forcée avec les Chrétiens et les Juifs, dans un modus vivendi excluant tout affrontement des communautés, que tout séparait par ailleurs».

D'ailleurs, cette cohabitation ne concernait pas uniquement les Algériens et les Européens, mais aussi, dans une moindre mesure (la religion étant un ciment rassembleur, puis par la suite, la résistance et lutte contre l'occupant) les composantes d'un système communautariste qui s'était installé. «Progressivement, s'étaient implantées (à Belcourt) les communautés kabyle, djidjellienne, biskrie, mozabite, à côté de la population belcourtoise de souche et d'autres communautés nettement moins importantes, avec leurs particularismes, qui avaient fini par engendrer un régionalisme des plus négatifs?». Des particularismes qui durent encore ? Heureusement qu'il y a le CRB !

Avis : Un contenu qui ne correspond pas très exactement au titre. En fait, c'est surtout Belcourt à travers la Révolution algérienne. Il faut s'en contenter !

Extrait : «L'Histoire ayant largement consacré la suprématie, puis le triomphe de l'idéologie nationaliste révolutionnaire, l'Intelligentsia algérienne se trouvera ainsi constamment marginalisée, tant avant le 1er Novembre 1954 que durant la guerre d'indépendance et dans l'Algérie actuelle, pour le grand malheur du peuple algérien» (p 16), «En somme, pour ne pas succomber à une mort programmées par l'indu-occupant, la société indigène vivait dans une coquille sociale, un moule forgé par les antiques traditions berbères et les valeurs hautement moralisatrices de l'Islam, en attente du jour «J» de sa résurrection, alors que la société française baignait dans un paradis social qu'elle voulait et croyait éternel?» (p 62)