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François Hollande coincé entre deux dames

par Pierre Morville

Madame Aubry, à l'intérieur, le juge trop libéral en matière économique, madame Merkel, à l'extérieur, le trouve trop laxiste?

Petit tremblement de terre au sein du Parti socialiste français. "La politique menée depuis deux ans, en France, comme presque partout ailleurs en Europe, s'est faite au détriment de la croissance", a lancé Martine Aubry ce week-end, "Je demande qu'on réoriente la politique économique". Elle propose "une nouvelle social-démocratie" et réclame d'en "finir avec les vieilles recettes libérales".

Martine Aubry n'est pas un " second couteau " du courant socialiste. La fille de Jacques Delors a été plusieurs fois ministre. Elle a été secrétaire générale du PS. Elle fut la rivale de François Hollande lors des primaires qui désignèrent le candidat du PS à l'élection présidentielle. Elle échoua de peu à cette désignation.

Hollande, bien élu face à un Sarkozy usé, bénéficia également d'une majorité de gauche dans les deux chambres parlementaires, l'Assemblée nationale et le Sénat.

Un bon ticket, donc. En a-t-il fait bon usage ? On peut en douter. Socialiste, il a appliqué avec beaucoup de détermination des postulats économiques libéraux. Il a beaucoup augmenté les impôts des Français et largement subventionner les entreprises. Au nom de la recherche d'une meilleure compétitivité, l'homme de gauche qu'il est, s'est attaqué aux corporatismes, aux " contraintes réglementaires " et autres obstacles au " dynamisme actionnarial ". Mais ces assouplissements, présentés comme nécessaires à une reprise économique, ont souvent amoindri des mécanismes protecteurs des salariés.

Hollande, mal en point au milieu du gué

François Hollande croyait sincèrement qu'après deux années de rigueur, la fin de son mandat verrait un retour de la croissance avec la possibilité de mesures plus positives pour les Français. On est à mi-mandat et on est loin d'une reprise quelconque. Dans le cadre d'une conjoncture économique européenne très morose, la cure de rigueur imposée a même cassé tout espoir de relance de la demande. Les ménages surchargés d'impôts et voyant reculer leur pouvoir d'achat ont reporté à plus tard nombre de leurs dépenses. C'est l'un des signes de la déflation, forme de crise redoutée par tous les économistes.

Faire baisser le coût du travail peut être une contrainte acceptable par les Français, si les entreprises utilisent ce gain pour investir et embaucher.          Ce n'est aucunement le cas en France. La politique de l'offre leur apparait donc alors comme infructueuse et injuste, surtout quand elle est menée avec zèle par un gouvernement de gauche ! François Hollande a bien mené quelques réformes, comme la redécoupe des régions et départements (ce qui a inquiété de nombreux élus). Mais d'autres plus sociétales, comme le droit d'adoption par les couples homosexuels, ont braqué les franges les plus conservatrices de la société, sans intéresser la masse des français, uniquement préoccupés par deux dossiers majeurs : leur boulot et le pognon.

François Hollande veut donc plus de liberté, moins de contraintes pour les entreprises. Il n'a peut-être pas tort. Dans une économie mondialisée et plus en plus " internetisée ", la vitesse de réponse aux attentes du marché est décisive. Mais les salariés qui sont prêts à beaucoup de sacrifices, s'ils sont nécessaires, sont également sensibles à une autre vieille antienne, le partage de la valeur. Les grandes sociétés françaises affichent déjà le meilleur pourcentage de rétribution aux actionnaires en Europe. L'annonce en plein mois d'août, que les dividendes versées par ces dernières, avait augmenté de 30% en 2013, a du saisir de stupeur beaucoup de Français, notamment ceux qui ont du se priver cette année, de partir en vacances?

Cet été, le malaise était même perceptible au sein du gouvernement socialiste, aboutissant à un remaniement et à une équipe plus resserrée. Le 1er ministre Jean-Jacques Ayrault a donc laissé sa place au jeune Manuel Valls, très social- libéral et situé à droite de l'échiquier du PS. La nomination au poste de ministre de l'Economie du très jeune Emmanuel Macron, à peine sorti de la banque Rothschild, en a surpris plus d'un. Le message de François Hollande était très clair : de la réforme, encore de la réforme, toujours de la réforme, et avec un peu de chances, les Français reverraient la croissance mais au mieux, pas avant 2017. Du coup, les " socio-libéraux " du gouvernement ont mis les bouchées doubles : extension du travail le dimanche, réforme du droit du Travail, contrôle de plus en plus rigoureux de chômeurs de plus en plus nombreux, réduction de la couverture sociale, nouvelles économies budgétaires? Au résultat, avec 15% d'opinions positives, jamais un président de la République française ne fut aussi impopulaire et 80% de Français souhaitent qu'Hollande ne se représente pas à un second mandat en 2017.

" Il faut changer de ligne " martèle Martien Aubry, après ne s'être guère exprimé lors de deux premières années du mandat de François Hollande. Martine Aubry dit tout haut ce que beaucoup d'élus socialistes, entre autre inquiets pour leur mandat, pensent tout bas. L'actuelle politique avait déjà amené le départ plus ou moins volontaire de quelques ministres et l'apparition d'un groupe d'une quarantaine de députés socialistes dénommés les " frondeurs " qui s'abstiennent sur les votes budgétaires.

Leurs rangs pourraient grossir significativement après le coup de colère de Martine Aubry : " la maire de Lille a des troupes, de nombreux relais à gauche et une côte de popularité très élevé dans l'électorat socialiste " note Les Echos. Bref, François Hollande a trouvé sa véritable opposante alors que la droite classique se déchire dans une longue " guerre des chefs " et que Marine Le Pen, qui a révélé un réel talent politicien, est encore très loin des marches du pouvoir.

Renaissance d'un certain anti-germanisme

François Hollande a une seconde conviction, l'importance stratégique de la construction européenne. Il devrait sur ce thème, pourrait-on penser, recueillir un vaste consensus. Que nenni ! Tout d'abord parce que les Français sont plutôt méfiants vis-à-vis d'une construction supranationale qui leur paraît bien lointaine et surtout sans contrôle. Rappelons qu'en 2005, convoqués en référendum, une très nette majorité d'entre eux avaient voté " non " à toute extension de pouvoir donnée à l'Union européenne. Nicolas Sarkozy s'était assis sur ce vote populaire en imposant le Traité de Lisbonne. Mais la défiance reste vive. D'autant que l'UE a dorénavant une nouvelle patronne musclée : Angela Merkel. Depuis quelques années, Berlin donne le " la " dans le domaine des politiques économiques menées dans les 28 états-membres. Avec une philosophie toute de raideur germanique.

Dans les années 1990, l'Allemagne avait traversé une mauvaise passe économique, due notamment aux coûts de la réunification avec l'Allemagne de l'Est. Mais elle était sortie de la récession de façon remarquable en menant une politique extrêmement vertueuse, tout au moins aux yeux des partisans de l'orthodoxie budgétaire : lutte contre tous les déficits, grande flexibilité du marché du travail, contrôle rigoureux de la masse monétaire, articulation intelligente de l'industrie et de la banque, développement des secteurs phares germaniques (machines-outils, automobile?).

Ayant brillamment réussi son rétablissement, l'Allemagne devenue de loin la 1ère puissance économique européenne, n'a eu de cesse que de convaincre ses partenaires européens des vertus de ses solutions, douloureuses peut-être dans un premier temps mais ô combien efficaces?

La pression allemande s'est faite impérative quand l'Europe fut secouée par la crise financière de 2008/2009 qui vit une quasi faillite de plusieurs pays du sud du continent (Grèce, Portugal, Italie, Espagne?). Au 1er rang des mauvais élèves visés par Berlin, figurait notamment la France, décriée outre-Rhin pour ses éternels déficits budgétaires. Comme un grand nombre de pays européens ont dorénavant une monnaie commune, l'Euro, l'Allemagne ne voulait surtout pas devenir le banquier d'une famille très dispendieuse. On la comprend.

Mais l'application dogmatique et généralisée de l'austérité budgétaire qui interdit aux états d'investir dans les secteurs prometteurs, et de l'austérité salariale qui tue la consommation, réduit certes quelques problèmes systémiques comme l'inflation ou l'accroissement de la dette des états, mais elle contribue aussi à interdire toute croissance, sauf pour un pays champion dans certains secteurs et capables de vendre beaucoup à l'exportation? comme l'Allemagne ! D'autant qu'une politique de l'Euro fort continue d'attirer les investisseurs étrangers vers ce pays.

" Les brillants experts européens auraient pu s'aviser que si tout le monde mettait sur le pied sur le frein, la voiture s'arrêtait " commente Laurent Joffrin, dans Libération. Et de fait, la récession a gagné durablement le Vieux Continent, menaçant même l'Allemagne, grande exportatrice vers les marchés européens !

Ce pays a remporté d'indubitables succès comme en attestent un chômage très faible, une dette réduite et une balance commerciale en excédent. Mais ces performances ne doivent pas faire oublier la précarité d'un très grand nombre d'emplois, la stagnation des salaires (le pouvoir d'achat n'a pas augmenté depuis 14 ans) et le fameux consensus social allemand s'étiole comme en attestent les très nombreuses grèves récentes.

L'Allemagne souffre également deux difficultés structurelles inquiétantes : sa démographie négative avec un pays qui vieillit rapidement et qui voit sa population décroître (la France sera plus nombreuse d'ici 2025) ; les économies réalisées ont nui aux investissements nécessaires et fragilisé certaines infrastructures, notamment dans le transport.

Angel Merkel aurait en début de semaine concédé un petit geste aux ministres français Sapin et Macron, venus à Berlin, plaider pour un programme de relance européen de 50 milliards d'euros. L'Allemagne a concédé un " programme d'investissements " mais sans surtout le chiffrer.

Tout cela n'empêche pas l'inflexible ministre de l'économie allemande, Wolfgang Schäube, de réclamer à tout-va de nouvelles réformes budgétaires, en menaçant toute l'Europe de sa badine réglementaire.

La Commission européenne, où l'influence allemande devient de plus en plus sensible, risquerait même de rejeter le budget français, jugé trop " laxiste ". Un tel camouflet serait très mal vécu en France et pas seulement dans les hauts cercles de pouvoir. On sent ici et là, en France et ailleurs dans l'Europe, remonter un sentiment antigermanique qui avait depuis longtemps disparu. Dans les périodes de crise, il ne faut pas gratter le sol trop longtemps pour que les vieux démons ressurgissent.

Volte-face d'Ankara

La Turquie a opéré aujourd'hui un changement spectaculaire de sa stratégie en Syrie en annonçant qu'elle autorisait désormais les renforts des "peshmergas" irakiens à rejoindre, via son territoire, la ville kurde syrienne de Kobané assiégée par les djihadistes. Les pressions américaines furent vives pour contraindre Ankara à faire volte-face et modifier le discours officiel turc, naturellement méfiant vis-à-vis des Kurdes et surtout très anti Bachar el-Assad.

La Turquie " est prise dans le piège de la gestion du dossier syrien dans lequel elle s'est enfermée depuis maintenant plus de trois ans, remarque Didier Billion de l'IFRI, depuis l'été 2011, Ankara n'a eu de cesse que d'œuvrer à la chute de Bachar Al-Assad ". Pour ce faire, la Turquie, pariant sur une chute rapide du régime syrien, a développé une politique de soutien inconditionnel aux multiples groupes d'insurgés syriens et a fait pour le moins preuve d'une réelle complaisance à l'égard des groupes islamistes les plus radicaux. " Mais ces erreurs d'appréciation, et les choix politiques erronés qui en découlent, sont exactement les mêmes que celles commises par les puissances occidentales et la plupart des États arabes " remarque le chercheur.