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Cyclone en vue !

par El Yazid Dib

Quand l'espoir se perd aux portes d'une société, il ne reste au rêve que de s'assoupir sur ses rives attendant un déluge ou une crue. Un cyclone non encore identifié. Hirsute et hybride.

Ils ont marché. D'autres vont le faire autrement. Il fallait lire le silence qui se déchiffre aisément sur des lèvres cousues. Il fallait reconnaître la cible que fixaient des yeux hagards et dociles. L'émeute est comme un vent sournois. Il va dans toutes les directions. Fou et affolé, il est là pour détruire, mais aussi pour murir la moisson. Il semblerait, à le voir dans les yeux des gens ou dans le lourd cartable des élèves, qu'une certaine densité de plomb surplombe le pays. Tout est en marche au même moment où tout s'arrête de fonctionner normalement. Marcher serait bon pour la santé publique.

A défaut justement de la lancée des iris vers le firmament de ce lendemain, incertain, obscur et mal illuminé ; le passé est présent pour ravir l'attention et la souvenance. En pensant à l'avenir de nos enfants, l'on oublie vite les péripéties arguées d'obstacles et de gâchages de notre passé. Qu'avions-nous eu comme motifs tenables pour commettre les mauvais aiguillages dans la voie mal ferrée de la vie de nos diverses options et projets de société ? A la limite nous aurions pu laisser faire nos instincts grégaires, sans avoir à recourir au feu et au sang en vue de vouloir s'instaurer une démocratie que l'on rejette dès l'apparence d'un avis contraire ou d'une opinion loin de la notre. Ce ne seront pas la sécheresse de nos robinets et l'épuisement de nos nappes phréatiques ou de nos réserves de change qui iront forcer notre détermination à amoindrir de l'énergie qui anime nos ultimes souffles à souffler tout effort de redressement ou de salut public. Le mal on le décrit chacun suivant son temps et chacun selon sa douleur. Il est là devant nous, nous nous y habituons. La mal vie aussi. Sinon, comment expliquerons-nous ces multiples crises qui gangrènent l'ensemble de la société ? Personne n'est bien au moment où tout le monde se complaît dans la compromission. De quelle manière compterons-nous résoudre la doléance, la revendication ou l'angoisse générale ? La vertu s'évertue publiquement à venir se compartimenter aisément et sans truc de conscience au sein même de nos méninges. Boites à conserver les soucis et les joies, les intrigues et les coups bas ; les cœurs n'ont plus de fibres sensibles. Ils domestiquent l'ennui quotidien comme la mauvaise méthode asservit l'initiative et la bonne intuition. Nous sommes dans l'œil d'un cyclone !

L'université cache mal la misère didactique qui l'érode. L'étudiant, nouveau ou ancien est vite situé dans un parcours de combattant plus ardu que celui que l'on attribue faussement au service militaire. Le choix est loin d'être une vocation. L'on laisse un logiciel intelligent mais inhumain et insensible gérer à son bon vouloir la vocation. L'étudiant n'est plus de la sorte un capital de savoir indépendant. Il est rapetissé à une unité statistique devant servir les cases d'un état d'inscription pour une année universitaire qui ne commence ; en fait jamais.

Le recteur censé être le dépositaire d'une autorité scientifique, est devenu, lui aussi un administrateur de bons de commande, de jardinage et d'organisateur de galas et de fêtes. Une grève de faux étudiants peut paralyser toute une science. Paradoxe des temps.

 Sans nom, sans degré, cet état de déperdition de repères provoque des phénomènes tellement connus et sus qu'il ne réagit par surprise générale, qu'à l'occasion de pressions politiques, de marches populaires, de grèves ou de boycott. C'est dans son diamètre, conçu comme un salon restreint, que repose toute l'intelligence qui fait les pour et les contre de l'éruption. Il nous suffit en somme de bien regarder l'état économique de nos élus, de visionner lentement le planning politique de nos dirigeants et d'écouter régulièrement les râlements de nos cadres ; pour qu'on puisse se dire en face et avec courage des vérités pas bonnes d'être des vérités à dire.

Quand la démission, face à la débandade est ressentie comme une désertion et la réunion, face à l'aridité des barrages est considérée comme une solution, il ne reste au pauvre citoyen que de souhaiter l'endurance de cet état avec un approfondissement dans le mécanisme de l'abrutissement social et une haute technologie dans le broyeur de bonnes et rares volontés.

La période continue du cyclone n'a été qu'un ralentissement des activités intellectuelles et motrices dans le plan de la relance économique et une dépression au dessous d'un niveau zéro dans la bonne gouvernance. L'éclaircie ne semble pas pour demain et l'on attend le déplacement vers d'autres espaces jusque là indemnes et immunisés, de cette force violente, silencieuse et gangrénante dans le long terme. Les démissions se succèdent à la mise volontaire en retraite anticipée par ceux, rares qui continuent à croire en un probable espoir. L'on ne sent ni ressent plus ce plaisir de pouvoir continuer à servir L'Etat, tant que celui-ci se trouve entre des mains inappropriées. Le cyclone, phénomène naturel est aussi un dérèglement volontaire ou involontaire de la nature. Un caprice qui coûte cher.

Le contrat social de Jean Jacques Rousseau, base de toute l'évidence constitutionnelle offre un excellent ustensile où, il faudrait mijoter tous les ingrédients d'une bonne politique. Pourquoi donc pense-t-on toujours que la politique ne se fait exclusivement que dans des salons et autres espaces de confort ? Est-ce une formule orthographique consacrée ainsi depuis l'apparition des bolcheviques ? Ou une rédaction bourgeoise, attrayante et amusante mais à forte connotation démagogique ? A moins qu'il ne soit question ; de cet ensemble ordonné de règles tacites et de savoir qui aide à gouverner scientifiquement les affaires publiques et celles de la cité ; la politique prendrait là, une sémantique emplie d'honneur et forçant la conviction. On ne décide pas sur un avenir en catimini.

On l'expose au public, aux élus, aux représentants même mal élus. Ainsi les salons obscurs prennent réellement chez nous le décor maure d'un simple café de quartier, petit-princier, hors rang royal et loin du giron impérial. L'algérien fait de la rue son salon préféré, où pour faire de " l'agitation ", il a recours au " chahut " des pots d'échappement, au vrombissement des cylindrées et à la clameur publique.

Cette dernière, dans un salon, devient une discipline paroissiale. Mesurée, repensée et triturée; la parole n'y est qu'une police de séance et un tour de table. L'obscurité n'est visible qu'au départ de la lumière.

La magouille électoraliste, l'étai de candidatures et le SOS politique, les partis et l'opposition et tout l'autre lot de méfiance laissent les gens, ces sieurs détracteurs ou courtisans, cajoleurs ou froussards ; galoper et suinter sur les haies des principes, dans les champs de l'opprobre ou dans les faits des jours et des ans. La postérité retiendra dans les annales de ses épisodes, vaillamment les Hamza, les Saint Jean et les Lotfi, Benboulaid et Saâl comme elle retiendra sinistrement les Abou Lahab, les Judas Iscariote, et les Pétain. Et dans un passé très proche, elle retiendra chez nous, Hadj Messali son MNA et ses raisons ; Ferhat Abbas, son intégration et ses raisons ; Ben Bella son nassérisme et ses raisons ; Boudiaf, son PRS et ses raisons ; Boumedienne son socialisme et ses raisons ; Zbiri, son coup d'éclat et ses raisons ; Chadli son ouverture et ses raisons ; Boudiaf ses 100 jours et ses raisons ; Zeroual son abandon et ses raisons ; et les autres leur raisonnement et raisons. C'est pour dire que l'histoire ne peut pas avoir de bon sens que par ceux qui la font. L'épouvantail de la fraude électorale, le spectre de la mafia du foncier le danger des clans toutes faces confondues et autres vrais-fantasmes de la situation de l'école nationale, les débrayages ; les suicides, la harga, la hogra ne cessent d'alimenter les compartiments vidés des méninges de nos différents commis-politiciens. Chacun y va de son empreinte, chacun à une réalité qui n'est autre qu'une certaine vérité qu'il veut mordicus, opposer comme absolue à l'égard d'autrui. Le tort est chez lui quand la déraison le pousse jusqu'à déboulonner de son piédestal, le droit des autres, à la critique, au sens de la diversité et non de l'adversité et aussi à l'honneur de défendre leur honneur.

Que resterait-il à la politique si elle ne pouvait s'exercer que dans une obéissance virginale au son d'une cadence caporalisée ? La mutation de l'exercice politique d'un salon ténébreux vers un studio éclairé, ramènerait toutefois quelques brins de lueurs.