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Un nouveau pouvoir s'installe en Algérie

par Abed Charef

L'Algérie change. Economie, société, pouvoir, tout évolue. Pas forcément dans la bonne direction.

Laïd Benamor à la chambre de commerce, Ali Haddad qui s'apprête à prendre le FCE : les nouveaux amis de Saïd Bouteflika s'installent. Ceux qui se sont mouillés pour le quatrième mandat prennent leurs quartiers, et marquent leur territoire, y compris en bousculant leurs anciens rivaux. Réda Hamiani, qui a longtemps représenté l'image lisse d'un patronat aspirant à un peu de respectabilité et de légitimité,apparait désormais vieux jeu. Il a été poussé sans ménagement vers la sortie par des nouveaux arrivants pressés de faire place nette. Issaad Rebrab, qui se veut se brancher à l'international, est contraint de battre en retraite en attendant des vents meilleurs. Il n'a pas supporté qu'un nouvel arrivant, vaguement arriviste, se mette sur son chemin pour entraver ses projets.

Ces nouveaux oligarques, comme les appelle un économiste, s'affichent désormais publiquement, et affichent leur pouvoir. Ils sont sûrs d'eux, et ils le font savoir. Ils ont des conseillers en stratégie et des communicateurs. Ils possèdent clubs de football et chaines de télévision. Ils se diversifient, nouent des alliances, établissent des réseaux, et prospèrent. Ils le font sous l'œil bienveillant d'un gouvernement qui passe son temps à affirmer sa disponibilité à les aider. Ils ont aussi une autre particularité : ils sont beaucoup plus jeunes que le président Abdelaziz Bouteflika. Ils sont plutôt de la génération de son frère Saïd, avec lequel ils ont des affinités marquées. Ali Haddad et Laïd Benamor se sont chargés du financement de la campagne pour le quatrième mandat, en faisant un lobbying très appuyé, et ils l'ont fait savoir. Au point de pousser certains patrons à la sortie.

NOUVEAUX SYMBOLES

Cette vision trash de la vie politique algérienne s'est imposée. Elle ne peut cependant remplacer la bonne vieille analyse traditionnelle, qui ramène à une réalité plus austère, mais plus inquiétante. Ce nouveau capitalisme qui s'installe vit aux dépens des commandes de l'Etat (Ali Haddad), généralement après avoir réalisé d'immenses transferts du public vers le privé. Il se contente, le plus souvent, d'offrir aux Algériens des produits importés (Hyundai, Samsung, produits disponibles dans les magasins Uno), tout en essayant de réaliser une jonction avec le capital international, en plaidant pour un partenariat avec les entreprises étrangères. Il veut aussi se développer à l'intérieur, en plaidant pour des facilités qu'il a toutes obtenues, mais qu'il veut élargir, en avalant par exemple les entreprises publiques par le biais du fameux PPP, le partenariat public-privé. Mais au total, l'industrie algérienne reste de taille très modeste. Elle n'arrive pas à franchir cinq pour cent du PIB, et les principales fortunes du pays continuent de réaliser l'essentiel de leur chiffre d'affaires dans l'importation.

Au fil des ans, L'ETRHB a remplacé la Sonatro, les magasins Uno ont pris la place des Galeries et des Souk el-fellah, et Condor a détrôné l'ENIE et l'ENIEM. Le privé a pris de l'envergure : les entreprises privées représentaient 18% du PIB hors hydrocarbures en 1990, elles sont à 78% aujourd'hui.

Parallèlement à cette mutation économique, le personnel politique algérien a aussi profondément changé. Des généraux « janviéristes », ceux qui pouvaient se targuer d'une assise doctrinale anti-islamiste, il n'y a pas plus, en poste, que Toufik Mediène, assiégé dans son antre du DRS et attaqué par des hommes aussi étonnants que Amar Saadani. La nouvelle génération de généraux, ceux qui ont mûri dans le feu de la lutte antiterroriste, a, quant à elle,l'âge de Saïd Bouteflika. Et c'est avec elle que le nouveau pouvoir économique, qui veut naturellement se transformer en pouvoir politique, veut établir la jonction.

RELATION MOUVANTE

Pendant de longues années, la mode était plutôt au « parrainage ». Le discours ambiant voulait que chaque grosse fortune en Algérie était couverte par un général, ou elle était sa propriété, même si elle était gérée par un prête-nom. Aujourd'hui, les choses ont changé. Les fortunes ont pris du volume, et leurs détenteurs fréquentent les salons parisiens, vont dans les conférences internationales, et veulent apparaitre sous une nouvelle image. D'où une aspiration à s'émanciper. Peuvent-ils pour autant franchir le pas?

Pas pour le moment. Même si elles se sentent à l'étroit, les nouvelles fortunes préfèrentencore coller au pouvoir, pour continuer à capter des sommes colossales, sans trop se mouiller. Elles savent qu'une partie des 65 milliards de dollars de recettes des hydrocarbures est à prendre. Et que, pour cela, il est préférable de rester dans les bonnes grâces du pouvoir. D'autant plus que celui-ci a encore en mains une carte majeure : Sonatrach, c'est-à-dire 98% des recettes en devises du pays. Cela donne encore à l'appareil militaire et sécuritaire une certaine autonomie de décision.

Mais cette situation n'est pas figée. Il suffit de peu pour qu'elle bascule. Un pouvoir en difficulté, ou en déficit de légitimité, cherche appui auprès de ceux qu'il juge les plus aptes à le protéger. Il peut choisir les plus présentables, les détenteurs d'argent. C'est un schéma très classique de jonction entre pouvoir militaire et argent. Ou, pire encore, un pouvoir militaire qui se mettrait au service de l'argent. Autre hypothèse, qui ne relève pas seulement de la langue de bois de Louisa Hanoun, rien n'empêche les forces de l'argent de tenter de prendre le contrôle de Sonatrach. Face au vide actuel, le coup est jouable. Et ce n'est pas avec Abdelmalek Sellal comme idéologue, Ahmed Ouyahia dans le rôle de justicier, Abdelaziz Belkhadem ou Cheikh Chemseddine comme imam, et Amar Saadani comme tribun, qu'il sera possible de les contrer.

Et à ceux qui pensent que l'Algérie est un pays spécifique, où une telle évolution est exclue, il suffit de rappeler ces histoires d'un passé récent: qui,en 1970, en 1980 ou même en l'an 2.000, aurait imaginé qu'un homme envoyé en formation par l'ALN soit, un jour, poursuivi dans une affaire de détournement de 300 millions de dollars ? Et qui, aurait imaginé qu'un jour, l'Algérie élirait au poste de président de la république un homme si diminué qu'il ne ferait même pas un discours de cinq minutes pendant sa campagne électorale?