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L’Arabie Saoudite et son jeu pétrolier

par Akram Belkaïd, Paris

Quelle est la stratégie de l’Arabie Saoudite ? C’est l’incontournable question qui rythme l’évolution du marché pétrolier. De fait, et alors que le baril de Brent a perdu près de 25% de sa valeur depuis le mois de juin dernier, les intentions prêtées au premier producteur mondial d’or noir font régulièrement la une. Selon la version la plus répandue, Ryad aurait décidé de s’engager dans une guerre des prix afin d’affaiblir ses concurrents. Une thèse qui a la faveur des médias et qui contribue à renforcer une certaine défiance à l’égard d’un Royaume wahhabite accusé de tous les maux.

TROIS ADVERSAIRES A FAIRE PLIER ?

En refusant de baisser sa production alors que la demande de brut est faible et que l’on assiste au retour des pétroles irakien et libyen sur le marché, l’Arabie Saoudite accélèrerait ainsi la décrue des cours. Ce serait là une manière de mettre au pas plusieurs de ses adversaires politiques. Le premier d’entre eux est l’Iran. Dans un contexte régional des plus explosifs, marqué notamment par des affrontements entre sunnites et chiites en Irak mais aussi en Syrie et au Yémen, Ryad chercherait à faire plier Téhéran comme ce fut déjà le cas durant la deuxième moitié des années 1980. Déjà affaibli par les sanctions occidentales, le régime des mollahs a effectivement beaucoup à perdre d’une chute éventuelle de ses revenus pétroliers.

L’autre adversaire que l’Arabie Saoudite chercherait à punir est la Russie. Là aussi, les considérations seraient bien plus politiques qu’économiques. On sait que Moscou est l’un des principaux soutiens des régimes syrien et iranien. A cela s’ajoute le fait que les hydrocarbures russes sont en compétition avec le pétrole et le gaz saoudiens sur les débouchés d’Asie. Du coup, là aussi, la baisse des prix de l’or noir serait un message envoyé par le Royaume à un Vladimir Poutine déjà confronté à la crise ukrainienne et à la volonté européenne de diversifier ses approvisionnements en gaz naturel.

Enfin, la troisième cible de Ryad serait l’industrie du pétrole et gaz de schiste aux Etats-Unis. Longtemps marginale, cette dernière est désormais un vrai concurrent du brut saoudien. En laissant les prix baisser, l’Arabie Saoudite étrangle ainsi financièrement une activité qui a besoin d’un prix du baril supérieur à 80 dollars, voire à 100 dollars, pour être rentable. Avec cette baisse des prix, le pétrole de schiste qui a exigé d’importants investissements aux Etats-Unis risque donc de connaître une vraie crise de l’endettement et de petits producteurs pourraient disparaître. De quoi permettre à Ryad de regagner de nouvelles parts de marché. On le voit, ici, la motivation de l’Arabie Saoudite serait strictement économique. Mais il faut noter qu’il s’agit aussi d’un acte de défiance à l’égard de l’administration Obama avec laquelle le courant ne passe plus depuis la chute du régime de Hosni Moubarak en février 2011. Ainsi, les Saoudiens puniraient-ils Washington d’avoir abandonné le raïs égyptien à son sort en affectant sa très jeune industrie d’hydrocarbures de schiste. Cette activité qui a, rappelons-le, permis aux Etats-Unis d’améliorer leur indépendance énergétique.

UN ROLE EXAGERE ?

Mais faut-il vraiment prendre cette analyse pour argent comptant. Certes, Ryad n’est pas fâché de mettre l’Iran dans une position délicate mais il ne faut pas non plus croire que l’Arabie Saoudite a de telles capacités de contrôle du marché pétrolier. En réalité, si le Royaume ne baisse pas sa production, c’est tout simplement parce qu’il ne veut pas perdre des parts de marché au profit d’autres acteurs. A la fin des années 1980, la guerre des prix contre Téhéran n’avait guère donné de résultats si ce n’est de permettre à des producteurs hors Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) de prendre des parts de marché à Ryad. En clair, ce qui compte avant tout pour l’Arabie Saoudite, ce sont les volumes et non, du moins jusqu’à un certain stade, les prix. Et jusqu’à 70 dollars le baril, Ryad semble donc estimer qu’il n’y a pas d’urgence à agir.