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Belgique : le paradoxe de Condorcet

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Le fameux «consensus politique belge» a fini par donner une situation inédite en démocratie : ce ne sont pas toujours les gagnants des élections qui ont le pouvoir.

Moins de vingt-quatre heures après sa prestation de serment et son entrée en fonction, le nouveau gouvernement fédéral belge, qualifié de « Centre-droit », subit une véritable levée de boucliers de l'opposition socio libérale : déjà un appel à la démission de deux ministres aux portefeuilles hautement stratégiques et sensibles : l'Intérieur et celui de la migration et de l'asile. La raison ? L'opposition (socialistes, écologistes, sociaux chrétiens, socio libéraux et gauche travailliste) reproche aux deux ministres contestés leurs appartenances passée à des mouvement d'extrême droite et même « nazi » pour ce qui concerne le ministre de la migration et de l'asile, Théo Francken. Cette salve fulgurante contre le nouveau gouvernement fédéral est, en réalité, l'expression d'une « révolte » contre les conditions qui ont prévalu au fameux consensus belge pour la formation du gouvernement : l'accord passé par le seul parti francophone belge, en l'occurrence le Mouvement réformateur (MR centre-droit) avec trois partis flamands dont celui de la Nouvelle alliance néo-flamande (NVA) à l'idéologie nationaliste et aux prétentions séparatistes. Arrivée en tête des élections législatives du 25 mai dernier, la NVA était inévitable pour la formation du gouvernement fédéral.

Consultés, les partis francophones, excepté le MR, ont rejeté les conditions voulues par la NVA pour aboutir à un gouvernement de consens, l'accusant de dérive droitière et de velléités séparatistes. Du coup, le MR francophone arrivé en 2ème position en Wallonie et en 1ère position à Bruxelles Capitale lors de ces mêmes élections est allé « au charbon » face aux flamands pour diriger l'exécutif fédéral. Le MR justifie ce choix par son éjection des gouvernements régionaux de Wallonie et de Bruxelles Capitale par les socialistes du PS qui ont fait le choix, eux, de s'allier avec les socio chrétiens du CDH (humaniste) arrivés en 3ème position dans la Belgique francophone. Une sorte de «vengeance » sur le « frère ennemi » francophone. Et de quel manière ! Sur les quatorze postes ministériels du gouvernement fédéral, les francophones du MR en récolte 7 postes, soit la moitié, les sept autres postes sont partagés par les trois partis flamands. C'est la première fois depuis 25 ans que les socialistes ne sont pas au pouvoir fédéral. Mais au-delà du décompte des portefeuilles ministériels, c'est la question programmatique de ce nouveau gouvernement qui intrigue : va-t-il mener la Belgique vers plus d'austérité payée par les plus défavorisés ? Va-t-il faire reposer la fiscalité nationale sur les revenus moyens et modestes ? L'avenir des régimes des retraites et de la sécurité sociale, exemplaire en Europe, sera-t-il remis en cause ? Ces questions et bien d'autres telles celles de l'emploi, la croissance, le droit des étrangers etc. ne semblent pas claires dans la présentation du programme du nouveau gouvernement. Devant la Chambre des députés, le chef du gouvernement Charles Michel, a déroulé des généralités dans un brouhaha et un climat tendu. La Belgique vit aujourd'hui une situation particulière indéchiffrable au plan politique : Les gagnants des élections législatives sont soit exclus du pouvoir fédéral, soit de celui des régions.

Les socialistes, premier parti en Belgique francophone (Fédération Wallonie ? Bruxelles Capitale) installés au pouvoir régional mais exclus du pouvoir fédéral (national) et les libéraux, 2ème parti francophone exclu des gouvernement régionaux mais seul au pouvoir fédéral. Et cela n'à rien avoir avec un régime de cohabitation, tant les régions disposent d'une large autonomie depuis la dernière réforme institutionnelle. Cette situation rappelle plutôt le « Paradoxe de Condorcet » qui démontrait à la fin du 18ème siècle que les décisions prises par la majorité élue ne reflète pas nécessairement celles des individus qui l'ont élue. Usant d'une formule mathématique, il tente de justifier « l'intransitivité possible de la majorité ». En un mot, par le truchement du système électoral démocratique où plusieurs partis sont élus, il est possible à un parti minoritaire de s'imposer comme régulateur et diriger le pays au nom du consensus et des intérêts supérieurs du pays. C'est un peu ce qui arrive en Belgique avec un parti nationaliste NVA, disposant de quelques 30 % des voix chez les seuls flamands (70 % des autres flamands ne votent pas pour lui) et qui se trouve à imposer son dictat à toute la nation belge, francophone compris.

Aller chercher la finalité de la démocratie dans ce puzzle politique construit sur la seule ambition de conquête du pouvoir. Pour le reste, les belges sont classés à la 6ème place des plus riches au monde d'après une récente étude du Crédit suisse. Mieux, si on part de la richesse médiane, la Belgique est 3ème au monde et figure avec le Japon parmi les pays développés dans lesquels l'inégalité entre richesses est la plus faible. 70 % des belges sont propriétaire de leurs maisons et l'épargne privée dépasse les 1000 milliards d'euros. Alors, les querelles politiques?. ?