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Gouvernement Sellal 3 : touché mais pas coulé ?

par Cherif Ali

Nous ne nous dirigeons pas vers des horizons inconnus, a dit le Premier ministre à ceux qu'il qualifie de «partisans de la critique destructive qui s'évertuent à distiller une ambiance de pessimisme».

Le projet de loi de finances pour 2015 a été élaboré sur la base de prévisions solides ; tout le programme quinquennal aurait, ainsi tenu compte des prévisions de fluctuation du cours de pétrole, dans les cinq années à venir, a-t-il ajouté. Méthode Coué, disent certains observateurs: la situation actuelle du pays, même si les hommes en charge de l'animation de l'exécutif gouvernemental affirment le contraire, est anormale.

Beaucoup pensent, en effet, que l'équipe dirigée par Abdelmalek Sellal, aujourd'hui, donne l'impression de bouger sans que rien ne bouge, pour de vrai.

Pour illustrer ce propos, un chroniqueur affirmait dernièrement : " nos ministres ont adopté, depuis quelques années, une formule magique, quand il s'agit de réagir à des événements graves ou des faits délétères qui persistent dans la vie nationale : " ils sont étrangers à notre religion et à notre culture ! ", affirment-ils.

Il en est ainsi du Ministre des Transports qui, en guise de commentaires, concernant le pic des accidents de la route, a déclaré : " c'est un phénomène étranger à notre religion et à notre culture ! ".

Un autre Ministre, celui des Affaires Religieuses prenant le contre-pied de tous les experts qui pensent que le terrorisme a une nature, une matrice idéologique, un idéal politique et des combattants qui revendiquent leur engagement pour faire triompher leur projet, affirmait à propos des terroristes : " non, leurs agissement sont étrangers à notre religion et à notre culture ! ".

Il y a aussi le Ministre du commerce, imperturbable devant la hausse inexplicable des prix qui secoue le pays et qui n'a pas trouvé mieux comme explications que d'accuser les citoyens d'être boulimiques et atteints de la frénésie des achats !

Quant au Ministre de l'Agriculture, il s'est contenté de dire " qu'une maffia sévit dans les marchés des fruits et légumes ", sans plus.

Pendant ce temps-là, " le corps social " n'en finit pas de se tordre de douleur et même d'inquiétude à l'orée de cette saison hivernale et son lot, inévitable, d'inondations.

A ce jour, les multiples plans d'actions visant à protéger les villes contre ce phénomène sont restés lettre morte. Premières pluies, premiers dégâts, des villes entières sont envahies par les eaux fluviales à Tiaret et à Tindouf, notamment.

Et le souvenir de Ghardaïa, inondée, est encore vivace pour rappeler à ceux qui ont la responsabilité de protéger la population d'anticiper les événements. Mais l'absence de toute stratégie, à moyen et long termes, fait que les mêmes erreurs et les mêmes défaillances se reproduisent chaque année.

Pour les victimes, c'est la faute à pas de chance ; pour les Ministres c'est au pire, un changement de maroquin, quand ils ne défaussent pas sur les Collectivités Locales " qui ne font pas le boulot ", selon leurs dires.

Et quand ces messieurs sont, plus ou moins, tancés par le Premier Ministre, ils sortent leur " botte secrète " :" les assises ", pour tout et rien !

Assises pour la jeunesse, l'industrie, la formation professionnelle, l'habitat et le tourisme ; tous les secteurs sont passés en revue, en grandes pompes et à grands frais au Club des Pins.

Même le CNES a en droit à ses " assises nationales " et a remis, au final, un document listant 48 recommandations stratégiques en matière politique, économique et gouvernance locale dont il ne reste rien. Il n'y a que les hôtels qui ont fait leur chiffre d'affaires grâce à toutes ces rencontres où on a " bien mangé et bien bu " et échangé, entre responsables, les numéros de téléphones.

Il est temps pour le gouvernement de changer de braquet et de réduire toutes ces dépenses inutiles ; il est temps aussi pour lui de mettre fin au recours aux opérations ponctuelles qui ne remplaceront jamais l'absence de politiques réfléchies dans tous les domaines. Comme celui de la culture, par exemple, où, on veut faire d'une ville une " capitale " éphémère en se disant que cela impacterait, culturellement, sur toute une région ; en réalité les retombées de " Tlemcen, capitale de la Culture Arabe et Islamique, manifestation organisée en 2011 dans cette ville, qui est prise en exemple, n'ont guère profitées à Oran, Sidi Bel-Abbes ou Mascara, malgré le niveau du budget ouvert en cette circonstance et estimé à 10 milliards de dinars, soit 110 millions d'euros !

D'ores et déjà, il apparaît que la capitale de l'Est, Constantine, risque de ne pas être au rendez-vous qui lui a été fixé, tant les retards pris dans la réalisation des infrastructures sont importants.

Il est à craindre des " réévaluations " en masse !

Rappelons-nous, rien qu'en 2012, le gouvernement a dû débloquer un budget additionnel de 177 milliards de dinars pour achever des projets qui ont pris du retard, principalement dans les secteurs des infrastructures économiques et administratives, l'agriculture et l'hydraulique, l'éducation, la formation et les infrastructures socioculturelles.

Et la Grande Mosquée d'Alger, dont le suivi et la réalisation ont été confiés au Ministre de l'Habitat, risque de connaître le même sort, ce qui fait dire à certains que le Ministre des Affaires Religieuses a été défaillant et pourrait, éventuellement, quitter le gouvernement d'autant plus que l'idée d'un remaniement ministériel a ressurgit.

Il interviendrait, incessamment, sous peu, affirme une source anonyme : sous quinzaine, lit-on dans certains journaux.

L'exécutif, à coup sûr, encaisse pas mal de coups ces derniers temps, même si son chef " continue à jouir de la pleine confiance du Président de la République ", il en est autrement des ministres :

" celui de l'industrie, par exemple, qui n'avance aucune stratégie claire pour sortir le secteur de sa léthargie

" le ministre de l'agriculture, où en plus de sa mauvaise gestion de l'épidémie de la fièvre aphteuse qui est en train de décimer le cheptel bovin, n'est pas, apparemment, capable de faire face à la facture d'importation du blé de l'ordre de 400.000 à 500.000 tonnes, ce qui aurait fait grimper le prix de la tonne d'un euro à 207 euros (270 USD ) au niveau de la bourse de Paris, selon les traders. Les besoins de l'Algérie en céréales sont estimés à 800.000 de tonnes, elle qui n'en produit que 5,12 millions.

le ministre des sports qui n'a pas réussi à ce jour à mettre de l'ordre dans les stades où certains y perdent la vie ; il y a aussi cette difficulté qu'il rencontrerait à coordonner l'action avec le Ministre de la Jeunesse, une autre erreur de " casting ", avec lequel il partage " l'administration centrale et les services extérieurs du ministère" et très peu d'idées.

le ministre de la santé ou le bras de fer persiste entre des responsables, peu ou prou, enclins au dialogue, mettant en avant des menaces de sanctions contre des syndicalistes, eux-mêmes s'entêtant à enclencher sporadiquement des grèves prenant au passage en otage les malades, sans compter les remous causés par le projet du code de la santé

le ministre du commerce qui en plus de ses " boulettes " de la campagne électorale présidentielle, fait mine d'oublier l'affront que lui ont fait subir les commerçants qui n'ont pas respecté l'ordre d'ouverture de leurs locaux pendant les fêtes de l'Aïd, ou comment le commerce informel et son retour sur les territoires a été justifié par le ministre, comme étant " une caractéristique du peuple algérien, à chaque fois qu'on interdit quelque chose, son tempérament anarchique ou anarchiste le pousse à revenir ".

le ministre des transports qui communique de façon maladroite comme la fois où il a mis la compagnie nationale " Air-Algérie " dans l'embarras, la livrant à la critique et à l'ire des passagers en faisant la promesse d'une baisse improvisée des tarifs pour l'été, que celle-ci n'a pas honorer, des tarifs réduits de 30 à 50%, effectifs du 22 juin au 22 septembre avait-il annoncé, laissant alors la compagnie, cette fameuse nouvelle sur les bras, se débrouillant avec, notamment, sa clientèle d'outre mer.

la ministre de la solidarité et son aveu d'impuissance " à rassembler dans des centres d'accueil ces 25 000 réfugiés subsahariens qui quittent les lieux pour se déplacer, constamment, d'une région à une autre " ; ce problème qui exaspère les citoyens, concerne aussi le ministère chargé de l'ordre public, si l'on considère qu'il s'agit de migrants clandestins, mendiants professionnels, originaires pour un grand nombre d'entre-eux de la ville nigérienne d'Arlit !

le ministre du travail, de l'emploi et de la sécurité sociale dont le projet de code du travail dans ce qu'il contient comme articles sur le contrat de travail à durée déterminée légalisé, le 87 bis et la confusion qui s'en est suivie et la représentation syndicale telle que redéfinie par ledit code, est susceptible de provoquer, d'ores et déjà, des tensions entre l'exécutif et les partenaires sociaux.

le ministre de l'enseignement et de la formation professionnelle qui apparemment n'a pas réussi encore à mettre en adéquation le triptyque formation-emploi-besoins du marché, à telle enseigne que le ministre de l'habitat, lui qui au moins, a redonné vie à tous les programmes en veilleuse, se plaint de ne pas pouvoir disposer d'entreprises nationales compétitives, techniquement et humainement, à même de prendre en charge le programme d'habitat.

la ministre du tourisme et la ministre déléguée à l'artisanat dont les rapports ne seraient pas au beau fixe, à croire certaines indiscrétions rapportées par la presse.

La ministre chargée des TIC qui peine à lancer la 4G ou encore, prendre langue avec les contestataires de son secteur, dans un souci d'apaisement du front social.

Un remaniement, diront certains, alors que le gouvernement vient à peine de dépasser " le cap des 100 jours " ?

Pourquoi pas, si on prend l'exemple du gouvernement français qui a été changé au bout de 147 jours, seulement.

Deuxième interrogation, le premier ministre a-t-il eu le temps nécessaire d'évaluer l'ensemble de son équipe gouvernementale, d'en mesurer les performances, les capacités réelles, voire les limites physiques et intellectuelles de chaque ministre ?

La réponse est affirmative pour au moins deux ministres, celui de l'agriculture et celui des sports, qui ont raté l'occasion de démissionner par eux-mêmes et qui, au regard de leur bilan catastrophique, seront, à coup sûr, " débarqués ".

Il se murmure aussi, que le premier ministre a été amené à composer avec certains ministres, et non des moindres, dont il aimerait, maintenant, s'en séparer pour des raisons d'homogénéité de son staff, pour rester dans le politiquement correct.

Voilà donc une des raisons qui conforterait l'idée de l'opportunité d'un remaniement ministériel qui peut intervenir plus vite qu'on ne le croit, suite au " débrayage " des policiers qui a surpris plus d'un !

L'autre argument concernerait la santé financière du pays, qui lui valait il n'y a pas si longtemps, les félicitations de la Banque Mondiale et du FMI ; tout ça relève, maintenant, du passé car depuis, on est passé de 20 milliards de dollars d'excédent en 2011, à 12 milliards de dollars en 2012 et, ainsi que l'indiquait, il y a quelque temps, la Banque d'Algérie, à une situation de " quasi-équilibre " en 2013.

Depuis 2014, les événements se sont accélérés avec la réduction de nos revenus pétroliers et du baril qui a perdu 20% de sa valeur en 4 mois.

Le pétrole et le gaz qui constituent l'essentiel de ce que l'Etat a à vendre à l'étranger, pour entretenir son action économique et sociale, ne sont plus ni suffisamment chers, encore moins abondants !

Le premier ministre a, peut-être, compris, maintenant, que le pays doit réduire ses dépenses, car et c'est paradoxal, malgré cette situation critique, nos importations continuent de grimper et notre déficit avec !

Il a aussi besoin de resserrer son équipe, autour d'une dizaine de ministères majeurs et innover avec la création d'un ministère de l'économie et de la Sécurité Nationale.

Il doit aussi réfléchir au profil de celui qui présiderait aux destinées des Collectivités Locales, dont le développement a été négligé, à en croire toutes les manifestations et les contestations, plus que sporadiques, des citoyens de l'intérieur du pays qui s'estiment plus que lésés : 440 communes sont classées comme les plus déshéritées et 1249 autres sont carrément déficitaires !

La création d'un ministère de la ville pour redonner une âme à nos agglomérations qui se meurent apparaît comme une nécessité, tout comme le ministère de la planification pour mettre fin à la " gabegie ".

Tout ceci peut constituer un argumentaire pour provoquer un changement ministériel, d'autant plus que l'effet dans l'opinion, c'est que le gouvernement doit partir !

Prenant le contre-pied de ce qui agite les rédactions et quelques chapelles partisanes, un journaliste politique pense, pour sa part, " qu'un nouveau lifting de l'équipe Sellal ne se justifie pas ; selon lui, l'exécutif, -touché mais pas coulé-, vient de réussir, nolens volens, la redoutable épreuve de la rentrée sociale et politique, qui s'est déroulée sans remous ".

Dans le cas de l'Algérie, un remaniement ministériel n'aura pour finalité, que celle de produire un événement politique et médiatique, pour détourner l'attention de l'opinion sur l'absence du Président de la République, qui est, actuellement, au cœur de toutes les discussions.

En l'état, Abdelmalek Sellal, l'a dit : " il a besoin d'hommes neufs, capables de faire bouger les lignes, d'affronter le peuple, de lui dire la vérité et surtout de le remettre au travail " ! L'Algérie enregistre un taux moyen de productivité de moins 0,2%, une moyenne très en deçà de la norme universelle qui se situe en 4 et 5%, selon l'expert international Mohamed Serrai.

Il appartient au Président de la République de lui donner acte de ce geste d'autorité et de lui permettre de choisir ses ministres !

Au jour d'aujourd'hui, faut-il le dire, tout n'est pas noir et les experts s'accordent à le dire : " la consistance du matelas, l'absence de dettes extérieures et même le prix actuel du baril de pétrole, constituent, encore, des atouts indéniables pour aller vers une économie alternative, compétitive et capable d'entrer dans la compétition du marché mondial, à condition de réduire la routine administrative et dépensière, compte tenu des ressources financières " en voie de raréfaction ".

Pour cela, il faut des hommes et des femmes neufs au gouvernement, à moins d'opter, comme on disait dans le temps, pour le changement dans la continuité et faire comme si rien n'a changé " urbi et orbi " !