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Folies d'octobre

par Abed Charef

Manifestation spontanée ou manip ? Alger bruisse de rumeurs en ce mois d'octobre. Comme si un retour à 1988 était possible.

Les policiers qui ont participé aux différentes actions de protestation de cette semaine sont, au mieux, coupables d'une mauvaise réaction face à un état de déliquescence avancé des institutions. Soumis à la pression des évènements, contraints à un rythme de travail très exigeant, subissant de nombreuses privations, ils ont réagi à l'algérienne, faisant ce qui est dans l'air du temps : grève et marche de protestation. Ce faisant, ils ont enfreint la loi, oubliant la nature de leur travail et la particularité de leur mission. Pour des hommes chargés de faire respecter la loi, le glissement est dangereux. Particulièrement quand le principal slogan qu'ils brandissaient concerne le départ de leur patron, le général Hamel.

Dans un pays normal, ce geste des policiers aurait été perçu comme un acte hautement démocratique. Ce n'est pas le cas en Algérie, où il traduit plutôt un cran de plus dans la déliquescence des institutions, et dans la non gestion des affaires de l'Etat. Car la police algérienne a déjà subi, par le passé, des épreuves d'une rare gravité. L'assassinat de l'ancien DGSN, Ali Tounsi, par un de ses assistants, en a constitué le summum. Comment en effet parler de sécurité dans un pays où le patron de la police est assassiné dans son bureau par un de ses assistants ? On était revenu à la grande tradition de l'odjak, dont les membres tuaient le Dey pour pousser un des leurs à sa place.

Mais l'assassinat de M. Tounsi était un acte individuel, une sorte de règlement de comptes impliquant deux personnes. Cette fois-ci, il s'agit d'un acte collectif, proche de la mutinerie. C'est une partie de l'institution qui affirme sa désobéissance, alors qu'elle est en train de devenir progressivement le pilier du régime, et que le pays connait une tension politique et sociale d'une rare intensité.

LE PRECEDENT DE LA POLICE COMMUNALE

Dans un passé récent, l'Algérie avait déjà vécu une situation proche, lorsque des éléments de la garde communale avaient organisé une grande démonstration de force, avec une marche entre Blida et Alger. Là encore, des revendications, assez simples, n'avaient pas été satisfaites, poussant le mouvement à la radicalisation et à la surenchère. Jusqu'à la goutte qui a fait déborder le vase.

Ce qui permet de dire, à priori, qu'un pouvoir qui n'a su ni résoudre la crise à Ghardaïa, ni clore l'affaire des fusils confisqués à leurs propriétaires, ni recycler les gardes communaux, peut parfaitement se montrer suffisamment aveugle pour ne pas voir le feu couver parmi les siens.

Ceci, évidemment, si le mouvement d'humeur des policiers se limitait à une simple affaire de mauvaise gestion, ce qui n'est pas évident. Car en Algérie, le pire n'est jamais à exclure. Les commentaires sur les réseaux sociaux l'ont clairement montré : peu de gens croient à une manifestation « spontanée » qui aurait résulté d'un ras-le-bol. A l'inverse, beaucoup privilégient cette bonne vieille théorie du complot, qui s'est durablement imposée dans le paysage politique algérien.

Les éléments qui étayent cette thèse sont nombreux. Le général Hamel est l'un des hommes de confiance du président Abdelaziz Bouteflika. Son nom a même été avancé comme un possible successeur du chef de l'Etat. L'offensive tous azimuts attribuée au président Bouteflika contre le DRS devait forcément renforcer le pouvoir de la DGSN, avec le risque de voir le général Hamel devenir, à terme, plus puissant que le général Toufik Mediène, patron du DRS. Le jour même où commençaient les actions de protestation des éléments de la DGSN, un site Internet annonçait le retrait des colonels du DRS qui exerçaient dans les ministères, et qui faisaient souvent office de ministre bis.

UN GRAND PERDANT : L'ALGERIE

Ces ingrédients de complot sont très présents dans les analyses. S'ils devaient se confirmer, ils révèleraient que la situation est encore plus grave que ce qu'on peut imaginer. Ils montreraient tout simplement que des groupes au sein du pouvoir sont prêts à toutes les extrémités pour avancer leurs pions, ou pour maintenir leurs positions. Ils n'hésiteraient pas à mettre en péril des institutions aussi sensibles pour arriver à leurs fins, face à un président de la République qui a n'a pas hésité à recourir à des décisions extrêmes, humiliant les institutions et piétinant la constitution, pour rester au pouvoir.

A ce stade, l'exercice le plus facile consisterait à se demander si, en fin de compte, il s'agit d'un coup de gueule des policiers, ou s'il s'agit d'une nouvelle manipulation alimentant la guerre des clans. On pourrait même aller plus loin : s'il s'avère que c'est une manipulation, qui assumerait la responsabilité d'un éventuel dérapage ? Faudra-t-il l'imputer au président Bouteflika et à son entêtement à se maintenir au pouvoir, à n'importe quel prix ? Ou bien faudra-t-il l'imputer à ses adversaires, qui n'hésiteraient pas à mettre en péril les institutions ?

Mais tout ceci est inutile. Car quel que soit l'explication avancée, ras-le-bol, manipulation imputée à Bouteflika ou à ses adversaires, le résultat serait le même : c'est l'Algérie et ses institutions qui paieront le prix.