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L'Algérie scrutée d'un œil japonais

par Mohammed Beghdad

Il est toujours intéressant de lire avec une curiosité certaine ce que disent des étrangers sur ton pays, que ce soit en bien ou en mal. Pour quelqu'un qui aime son pays, qui veut chercher toujours le meilleur, ce sont surtout les critiques neutres qui sont les bienvenues.

De temps à autre, cela fait plaisir d'entendre quelques louanges, juste pour titiller ton amour-propre et relever un peu le moral, mais il ne faut pas trop aller vers les caresses dans le sens du poil sinon cela devient des encensements gratuits qui vous seront néfastes par la suite. Il faut surtout savoir accepter les remarques et les opinions différentes des siennes, quelles qu'elles soient pour essayer de se corriger, de rectifier les tirs, s'il y a lieu de le faire, pour redresser l'image du pays.

La lettre que je viens de lire sur le site du journal liberté [1] à partir d'un lien posté par un ami sur Facebook fait partie de celles-ci surtout lorsqu'elle émane d'un diplomate d'un grand pays industrialisé. Sincèrement, je trouve que c'est une missive qui a flatté mon orgueil, qui m'a confirmé quelle chance je possède de vivre dans ce pays qu'est l'Algérie. Effectivement, il s'agit de la dernière lettre de son excellence M. Tsukasa KAWADA, ambassadeur du Japon en Algérie et qui est en poste depuis 3 années. Dans sa lettre ultime intitulée : « ce que j'ai découvert en Algérie » en tant que représentant de son pays, il donne ses impressions, de ce qui a le plus retenu son attention en Algérie.

Je m'attendais carrément à autre chose que ce qu'il vient de nous les faire redécouvrir. Il me parle de mon pays comme si c'était la première fois que je le découvre. Franchement, j'étais aux anges en lisant ses quelques lignes ne dépassant guère une page 21x27, moi qui suis sûr des capacités de ce pays pourvu qu'il trouve la confiance, la stabilité politique et légitime pour enfin décoller. Une lettre d'un style très simple et facile à comprendre et qui montre l'humilité du personnage. Elle est écrite avec des mots très succincts par un diplomate chevronné qui travaille strictement pour les intérêts de son pays en mettant tous les moyens de son côté afin de raffermir ses relations avec le pays hôte. Seulement, il faut aussi savoir traduire, ce qu'elle veut faire passer entre les lignes. Il ne suffit pas d'un long et ennuyeux discours pour atteindre les objectifs. Je suis sûr qu'elle a été lue par un grand nombre d'internautes compatriotes qui l'ont certainement aimée et aussitôt partagée entre les amis. Pourtant, c'est une lettre qui n'a pas été diffusée par l'ambassade, mais juste mise en ligne sur son site comme c'était le cas de ses précédentes. Elle a fait le buzz sur le net quoique l'actualité de la semaine fût chargée.

Revenons aux trois éléments qui ont fasciné M. l'ambassadeur. D'abord, comme il le souligne fortement : la lumière. Déjà, il nous éloigne des ténèbres. La lumière, c'est aussi la vie. C'est la source d'énergie inépuisable sans quoi le bonheur n'existerait pas. Elle a toujours impressionné la nature et les humains à travers tous les âges qu'elle a traversés depuis le Big-bang.

Plus proches de nous, comme il tient à nous le rappeler, les peintres impressionnistes, à l'instar de Monet, étaient épris de cette lumière qui les a influencés quant au choix des couleurs pour peindre leurs tableaux. Comme son excellence est également un très grand fervent de la peinture à huile, comme il nous l'apprend superbement dans son écrit, il s'est fait un grand plaisir, de peindre des portraits sur l'Algérie, par exemple, celui de la «Rencontre avec l'avenir» sur Ghardaïa ou celui de la «Croisée des histoires» sur la mosquée Ketchaoua. Entre autres, il pense que le vrai acteur principal dans « l'étranger » d'Albert Camus devrait être l'impressionnant soleil d'Algérie. Ce beau soleil dont on continue à le pleurer outre-mer méditerranée.

La seconde chose qui a attiré son attention, c'est la terre. Il l'a découvert à travers son petit potager dans lequel il a cultivé des légumes japonais, indispensables pour la riche cuisine japonaise, inscrite désormais au patrimoine mondial, néanmoins introuvables sur le marché algérien, à savoir le Daikon et le Gobo. Il était étonné par la fertilité de cette terre algérienne. Ses légumes ont poussé tellement trop vite qu'il a été surpris par leur grosseur que la récolte a largement dépassé largement toutes ses espérances. Dans une autre lettre datée de février 2014, numérotée 7 et intitulée : «Gastronomie et mondialisation», il nous apprend que son légume cueilli, le Daikon, un genre de radis blanc, mesurait 40 cm sur 10 cm et qu'il l'avait même présenté aux responsables du ministère de l'agriculture !

Dans ces mêmes notes, il nous rappelle que les terres agricoles sont très limitées au Japon, Les autorités de son pays, ont ainsi concentré leurs efforts pour augmenter la productivité. Il cite plus loin : « La production des produits agricoles est actuellement estimée à deux milliards de tonnes au niveau mondial. D'après la FAO, à l'an 2050 où la population mondiale serait plus de neuf milliards, il faudrait augmenter la production agricole de 70 %. L'Algérie dispose de vastes terrains agricoles. Si l'on utilise la technique de la production japonaise dans les terrains algériens, on pourra certainement contribuer à la solution du problème de l'alimentation.». En comparaison, le Japon ne dispose que d'une superficie cultivable inférieure à 78 000 km2 soit presque une surface carrée de 280 km de côté (moins de 24 % de la superficie totale) pour une population de 127 millions d'habitants ! (chiffre de 2007 - Wikipédia).

On a donc affaire à un diplomate doué d'un savoir agricole certain. Il nous réapprend la générosité de cette terre bénie qui peut te nourrir suffisamment si elle est travaillée comme il le faut, à travers sa leçon japonaise que la rencontre de la puissante lumière avec le richissime sol pourrait être le grenier du monde après avoir été autrefois le grenier de l'empire romain. Rien que ça ! Cela ne nous surprend point lorsque cela émane d'un Japonais, qui de surcroît l'on connaît à travers l'histoire de ce grand pays, pour son abnégation, sa légendaire volonté et sa vision du monde.

Après avoir lu ce merveilleux passage, je suis resté abasourdi et pensif durant de longues heures sans pouvoir me ressaisir, à faire tourner et retourner ces mots dans tous les sens au sein de ma frêle cervelle. À songer à ce qui nous arrive. Un pays plein de potentialités mais qui n'arrive pas à démarrer, à trouver la bonne locomotive, à déceler ses meilleurs atouts pour partir de l'avant. D'un pays où l'assistanat est devenu le calmant du régime d'une société aphone, malade et dont les idées sont figées et l'avenir quasi-flou. D'un peuple qui n'attende que le ciel pleuve d'or et les bateaux débarquent dans nos ports pleins à craquer pour assouvir sa quotidienne ration.

D'un pays qui pouvait aisément assurer son indépendance alimentaire, il est devenu de plus en plus noué jusqu'au cou. Il faut noter que la facture des importations algériennes des céréales (blé, orge et maïs), durant les cinq premiers mois 2014, est estimée à 4,86 millions de tonnes contre 3,77 millions de tonnes durant la même période en 2013. Quant aux besoins nationaux en céréales, ils sont évalués à environ huit millions de tonnes/an, ce qui classe l'Algérie comme l'un des plus importants pays importateurs de céréale [2]. Il faut remarquer que la production céréalière de l'Algérie a chuté de 30 % durant la campagne 2013-2014 par rapport à la précédente, pour s'établir à 3,4 millions de tonnes [3], soit 57,5 % de nos céréales sont importés ! Cela donne le vertige quand on voit la diminution du prix du baril du pétrole conjugué à la baisse de la production. Les algériens se contentent toujours de dire comme d'habitude dans ses circonstances : « Rabi Edjib El kheir ». En bons fatalistes, ils préfèrent ne pas imaginer les lendemains. Ils vivent le présent tout en fermant les yeux sur le futur.

Et comme le ridicule ne tue plus. Et puisque nous sommes devenus l'importateur à ciel ouvert en puissance, de tout et du n'importe quoi, il paraît selon les informations [4] qui circulent ces derniers jours dans la presse, un importateur s'est permis le luxe et sans la moindre dignité ni aucune retenue d'importer du pain congelé des Émirats Arabes Unis destiné semble-t-il aux fast-foods locaux pour la préparation des hamburgers et des paninis ! Quelle trouvaille !

Le troisième point qui a captivé M. l'ambassadeur du soleil levant, c'est l'histoire. C'est de l'histoire entre son pays et l'Algérie dont il s'agit. En effet, il vient de conclure sa mission dans le pays par l'écriture d'un livre chez l'éditeur «Casbah Éditions» qui a pour titre «Le Japon et l'Algérie, une histoire de 50 ans d'amitié». Il a tenu enfin le défi d'écrire en 3 ans un livre sur l'Algérie en trois versions différentes (japonaise, arabe et française) comme il le projetait dans sa lettre n°8 de mai 2014 et titrée : «Connaître un pays».

Depuis le début officiel de sa mission en octobre 2011, M. L'ambassadeur a diffusé 3 messages au cours de sa première année et neuf lettres lors de ces deux dernières années [5]. Je suis étonné par une telle prolifération en dépit d'une réduite communauté japonaise en Algérie. Chacune de ces lettres porte un numéro et un titre. À part celles que j'ai citées plus haut, les autres sont nommées respectivement dans l'ordre de leur parution par : «les deux raisons du développement économique du Japon», «la force des cultures», «la force de la technologie», «abenomics qui démarre l'économie japonaise», «absurde», «l'égalité ou la compétition», et «connaître un pays». Comme vous le constatez, c'est tout un programme où il a évoqué la culture algérienne à travers «nedjma» de Kateb Yacine et qu'il pense être la réponse de l'auteur Algérien à «l'étranger» d'Albert Camus ou encore qu'il prône les échanges entre les différentes cultures.

Par ailleurs, il a essayé de faire connaître son pays et surtout la question de savoir comment le Japon est-il devenu la troisième puissance économique mondiale. Il a tenté d'y répondre brièvement dans un paragraphe en écrivant : «le Japon a mis en œuvre la politique qui s'intitule : «la technologie Occidentale avec l'âme japonaise». Nous avons essayé de garder l'âme de la culture japonaise, tout en important la technologie européenne et américaine. Si vous allez au Japon, vous remarquerez tout de suite que la culture ou la tradition demeure présente malgré le développement économique du pays.». Il rajoute plus loin qu'il est convaincu que l'Algérie développera son économie avec l'âme algérienne.

Enfin, pour expliquer dans sa première lettre datée de septembre 2012, les deux raisons du développement économique du Japon, il répond qu'elles sont dues à la libéralisation des initiatives dans le choix du peuple et l'éducation. Il n'y a pas de meilleure conclusion sur l'éducation que de citer cet exemple qu'il décrit sur les Samouraïs, ses ancêtres : « À l'époque des Samouraïs, un pays a perdu une bataille et le peuple a souffert de la pénurie alimentaire. Un pays ami lui a offert 100 grands sacs de riz. Beaucoup de gens ont demandé la distribution immédiate du riz. Mais le chef Samouraï a refusé la distribution et a proposé de construire une école en vendant du riz. Il a dit : si on mange du riz maintenant, il disparaît tout de suite. Mais si on l'utilise pour l'éducation, il deviendra 10 000 ou 100 000 sacs de riz dans l'avenir.».

Cela donne beaucoup à méditer sur l'état d'esprit du Japon qui se ressource indéniablement de son passé dans lequel il puise toutes ses forces et son énergie actuelles. C'est sans aucun doute cela le miracle japonais.

Sources :

[1]- http://www.liberte-algerie.com/actualite/ce-que-j-ai-decouvert-en-algerie-la-derniere-lettre-de-l-ambassadeur-du-japon-228989

[2]- http://www.tsa-algerie.com/2014/07/06/algerie-les-importations-de-cereales-en-hausse

[3]- http://www.tsa-algerie.com/2014/09/18/lalgerie-achete-605-000-tonnes-de-ble-a-leurope

[4]- http://www.tsa-algerie.com/2014/09/29/lalgerie-a-t-elle-importe-du-pain-des-emirats-arabes-unis

[5]- http://www.dz.emb-japan.go.jp/amb-amb.html