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Oran, métropole méditerranéenne : Rêve ou réalité ?

par Lahouari Senouci, Ph. D.

Voilà trois ans, déambulant dans le hall de l'aéroport Houari Boumediene, en attendant de poursuivre mon voyage, mon regard fut attiré par la revue El-Djazair.com dont un article consacré au plan de modernisation d'Oran: «Oran, La future métropole méditerranéenne».

1ère Partie

Dans cet article qui faisait plutôt la promotion de ce plan, il est indiqué que : «dix jours après son installation, M. Boudiaf ? wali d'Oran?? a affirmé sa détermination à tirer profit des atouts de la wilaya d'Oran pour que celle-ci honore son titre de métropole, (?), il compte en faire la métropole qui va rayonner sur la Méditerranée.

Oran rivalisera avec les grandes villes à l'instar de Barcelone, Marseille et autres capitales méditerranéennes, (?) en misant sur la création de pôles d'excellence et de compétitivité.»1

Le plan de modernisation d'Oran comprenait aussi bien des infrastructures d'envergures tels l'agrandissement du port d'Oran, la nouvelle aérogare de l'aéroport d'Es-Sénia, le tramway, le métro, la création d'un second CHU à Oran et d'un stade olympique que l'éradication des bidonvilles à travers la wilaya en 2012. «Ce sont toutes ces réalisations qui donneront une nouvelle identité à la ville d'Oran» soulignait le wali dans l'entrevue accordée à la même revue. Ma première réaction a été de me dire : voilà une idée ambitieuse qui risque de ne pas dépasser le seuil des voeux pieux.

Et puis, je me suis dit : et si c'était vrai. D'autant plus que lors de mes différentes promenades à travers la ville, ces trois dernières années, je voyais les changements qui s'opéraient d'année en année. Une «nouvelle ville» était en train de naître et de se développer à l'est, avec la création de plusieurs infrastructures hôtelières et d'habitats de haut standing sur la frange côtière (le nouveau front de mer) et l'aménagement de grandes artères bordées de palmiers. Un centre des congrès de classe internationale qui attire de plus en plus de manifestations économiques, politiques, environnementales et culturelles d'envergure internationale contribuant ainsi au rayonnement de la ville d'Oran au-delà des frontières du pays.

Au niveau du transport en commun, le tramway a été mis en circulation au grand plaisir de la population qui semble l'adopter malgré les effets collatéraux d'une telle entreprise dont on a «oublié» les aménagements urbains qui devaient encadrer une infrastructure de cette envergure et adoucir les externalités négatives. L'état de désolation d'une partie du boulevard Émir Abdelkader et des avenues de Mostaganem et de Saint-Eugène, jadis lieux de grandes activités commerciales ainsi que la congestion des grandes artères centrales en sont des exemples patents des effets «tramway». Les premiers travaux de prospection pour la réalisation du métro d'Oran sont lancés, à ce que j'ai constaté ce printemps dans une grande artère de l'ouest de la ville. Les façades des grands immeubles du centre-ville sont en train d'être ravalées et mises au goût du jour, ce qui a eu pour effet de mettre en exergue la richesse architecturale des édifices d'Oran et de rehausser la beauté des grands boulevards tels ceux de La Soummam, de Larbi Tebessi, de Larbi Ben M'Hidi, de Mohamed Khemisti et de l'ALN (Front de mer), pour ne citer que ceux-là. La Grande poste est en chantier de même que les anciens locaux du Prisunic2 et ceux des Galeries algériennes appelés à abriter un musée, le nouveau stade est en voie d'être finalisé. La place du 1er novembre, lieu où se trouvent les plus belles icônes de la ville, deux oeuvres architecturales majeures du 19ème siècle, que sont l'Hôtel de ville devant lequel trônent deux majestueux lions sculptés dans le bronze et le théâtre ainsi que l'obélisque de la victoire ailée, perd d'année en année de son lustre d'antan comme place centrale, délaissée pour d'autres centres périphériques plus attrayants. Les salles de cinéma du centre-ville ont disparu ou sont carrément laissées à l'abandon alors qu'Oran organise depuis bientôt deux décennies le festival international du cinéma arabe. Les bibliothèques publiques sont une espèce en voie d'extinction. Le marché de gros a été délocalisé à l'extérieur de la ville et l'imposante structure des «Halles centrales», une oeuvre architecturale, a été rasée (quel gâchis!) pour laisser place à un terrain vague emplis de détritus. Aux dernières nouvelles, il était question d'y ériger un complexe sportif. Certaines bâtisses d'El-Hamri datant de l'ère coloniale tombent en ruine au grand damne de leurs habitants qui squattent la rue en attendant d'être relogés ailleurs. Un plan de restauration est prévu pour les anciens quartiers de la ville. Les travaux de restauration du mausolée de l'Imam Sid El Houari sont en cours. Le quartier historique de Sid-El-Houari est laissé en l'état avec les risques que les vestiges qui témoignent du passé andalou, espagnol, turc et français de la ville se dégradent davantage. Le fort et la chapelle de Santa Cruz, entretenus et illuminés, sont bien en vue comme les Planteurs et Ras el Ain où les bidonvilles intra-muros qui relèvent d'une autre logique urbaine prolifèrent. Oran est en mouvement accéléré mais différencié selon le territoire où l'on se trouve.

Ce constat aidant, je n'ai pu m'empêcher de rêver en me disant enfin, on pense à Oran, à lui reconnaître la place qui lui revient au sein des villes méditerranéennes. Il a été décidé en hauts lieux de s'occuper d'elle et de lui consacrer temps et argent pour la hisser au niveau des grandes villes du bassin méditerranéen bien établies telles Alger, Tunis, Alexandrie, Marseille ou Barcelone, pour ne citer que celles-là! J'esquissais déjà dans ma tête des scénarios et des pistes d'aménagement et de développement pour passer du rêve à la réalité.

À l'atterrissage de l'avion, mon enthousiasme, il est vrai, a baissé d'un cran tant l'ampleur du projet me semblait grande et les vraies questions se bousculaient dans ma tête : pourquoi veut-on en faire d'Oran une métropole méditerranéenne au sens moderne du terme ? Est-ce pour créer plus d'emplois et attirer des investisseurs nationaux et étrangers ? Est-ce pour construire plus de logements et assurer des services urbains de qualité (eau, assainissement, transport collectif, sécurité, communications, etc.)? Est-ce pour améliorer la qualité de vie de la population? Est-ce pour développer l'infrastructure culturelle (bibliothèques, salles de cinéma et de spectacles, théâtre, etc.) et mettre de l'avant la richesse millénaire de la ville ? Ou simplement pour aménager une partie de la ville (la frange côtière notamment)? Quelle vision sous-tend ce rêve? A-t-on les moyens? Quelle est l'ampleur des investissements financiers et humains pour réaliser ce rêve? Comment et sous quelle forme de partenariat le secteur privé est appelé à prendre part au développement de la ville? Quel est le territoire concerné : s'agit-il de la ville d'Oran intra-muros, du groupement urbain d'Oran (Oran, Es-Sénia, Bir-El Djir, Sidi-Chahmi) ou de la wilaya d'Oran comme le laisse supposer la localisation de certains projets annoncés ? Qui assurera la gouvernance du projet qui semble être porté uniquement par le wali d'Oran, représentant de l'État? Quel est le rôle de la municipalité et des institutions locales ? A-t-on défini clairement l'institution qui mènerait le projet à terme tout en étant redevable envers les élus et la population locale? Quelle est la part de la société civile? A-t-elle pris part à la définition du projet ?

Revenu sur terre, je constate que les enjeux et les défis à relever pour réaliser ce rêve et inscrire El Bahia sur la carte des grandes villes du XXIème siècle sont énormes. Il va sans dire que la démarche ne se limiterait pas uniquement à la construction de tours d'habitat, d'aquarium, de stade de football, d'infrastructures d'hébergement de haut standing ou à la réhabilitation du vieux bâti, ni à l'implantation et à la mise en circulation du tramway ou du métro. Il n'est pas dans mon intention, dans cette contribution de répondre à toutes les questions que je me posais et que je me pose encore ni de décortiquer l'ensemble des éléments du projet annoncé. La tâche demanderait plus de 6 temps et de matériaux. Je souhaite simplement susciter la réflexion et le débat afin que se réalise notre rêve, celui de voir Oran sur la carte des villes méditerranéennes où il fait bon y vivre et s'épanouir.

DES PROJETS STRUCTURANTS ET 14 MILLIARDS D'EUROS POUR «RELOOKER EL BAHIA»3

Le plan de modernisation de la ville d'Oran pour la hisser au rang de véritable métropole méditerranéenne comptait plus de trente projets dont : la construction d'une nouvelle ville «El-Djadida» à Oued-Tlélat, une partie du quartier d'El-Hamri sera rasée pour se transformer en couloir vert sur une superficie de 132 ha et une distance de 4 km, la construction de 40 000 logements, deux aquariums dans la daïra d'Arzew et la localité de Kristel, aménagement du nouveau port d'El-Macta, aménagement du port d'Oran et de la pêcherie, un nouveau port de plaisance, deux marinas à Oran-est, deux technoparcs, pôle universitaire à Belgaid, pôle d'affaires, pôle culturel et pôle sportif d'excellence à l'échelle nationale et internationale, cité de la santé, aménagement de zones industrielles, restauration des équipements culturels, réhabilitation des arènes, une salle d'opéra à la cité Akid Lotfi, l'achèvement de la construction de la mosquée Abdelhamid Ibn Badis, modernisation du réseau routier, réhabilitation des vieux quartiers de la ville, extension de l'aérogare d'Es-Sénia, création d'aires de loisirs et de promenades, réalisation d'une tour de plus de 330 mètres à Belgaid, etc.

La réalisation du plan de modernisation d'Oran est estimée à 14 milliards d'Euros. L'État contribuera à hauteur de 30%4. Pour le reste du financement, le secteur privé sera mis à contribution avec la possibilité d'un partenariat public-privé. Les conditions de financement et de partenariat avec le secteur privé restent à définir. Il faut bien admettre que s'il venait à être réalisé d'ici 2025, tel qu'annoncé, ce plan contribuerait sûrement à «relooker El Bahia» et engendrerait fort probablement une nécessaire relocalisation des gens habitant les quartiers concernés.

D'ailleurs certains éléments structurants du plan ont été déjà réalisés (implantation et mise en circulation du tramway, délocalisation du marché de gros à El Karma), d'autres sont en voie de l'être (agrandissement de l'aérogare d'Es-Sénia, construction du complexe sportif) ou dont les études de faisabilité ont été lancées ou finalisées comme celles du métro d'Oran. Mais ce plan de modernisation en fera-t-il pour autant une métropole méditerranéenne au sens moderne du concept, à savoir une ville innovante et créatrice de richesse pour l'intérêt de l'ensemble des citoyens du grand Oran et de son hinterland?

UNE METROPOLE NE SE DECRETE PAS. ELLE SE CONSTRUIT.

En ce début du XXIème siècle, le concept est d'actualité eu égard la concurrence que se livrent les grandes villes et les métropoles de par le monde pour

8 attirer des investisseurs et des institutions de haut calibre tels les centres décisionnels (banques, organismes internationaux, grandes entreprises multinationales, centres de recherche d'envergure, etc.). Les métropoles «concentrent la chaîne des fonctions stratégiques, le commandement, l'innovation, la production de pointe, les services supérieurs; elles accaparent les sièges sociaux, mais aussi la recherche-développement.»5

L'élément clé demeure ainsi la création de la richesse dont les grandes villes, en raison de la globalisation des marchés, en sont devenues le lieu central. Selon un rapport de l'ONU, les métropoles sont les moteurs de l'économie, à l'origine parfois de 80% du produit national brut (PNB)6. En Afrique, «les métropoles génèrent aujourd'hui entre 60% et 80% en moyenne du produit national brut et enregistrent un taux de croissance moyen et durable de 5% par an, (?), les investissements publics et privés y sont considérables.»7

Cependant, l'attraction et la rétention des entreprises et des grands centres décisionnels sont fortement corrélées, entre autres, aux aménités urbaines, à l'environnement, au climat social et à la qualité de vie qu'offrent ces villes.

L'exemple de l'installation de l'usine Renault en Algérie dans la wilaya d'Oran est un cas d'école en ce sens. En effet, lors des négociations avec le constructeur français de l'automobile à propos du site de la localisation d'usine de production de véhicules en Algérie (initialement, un projet d'environ 50 millions d'euros) le choix s'est finalement porté sur Oued-Tlélat, à la périphérie du Grand Oran alors que les autorités algériennes avaient proposé la zone de Bellara (wilaya de Jijel).

A suivre

Notes :

1. El-Djazair.com no 34-Janvier 2011

2. Aux dernières nouvelles, cet édifice abrite le cabinet du maire d'Oran.

3. Afin d'en savoir plus sur le plan de modernisation et suivre son évolution, j'ai compilé et passé en revue depuis plus de 3 ans, pratiquement tout ce qui s'écrivait à ce sujet (analyses, reportages, entrevues avec le wali, comptes-rendus des nombreuses rencontres du wali, etc.) dans la presse nationale (version électronique) dont Le Quotidien d'Oran, El Watan, Horizon, Liberté, L'Expression, Le Matin.DZ et Cap Ouest MAG, entre autres. Ce dernier a consacré un dossier (Oran 2025) au plan dans son numéro 3 de janvier 2013. Les données sur le plan de modernisation citées dans le texte sont tirées en grande partie de ces journaux et du magazine.

4. «Dans le cadre du programme décentralisé du plan quinquennal 2010-2014, la wilaya d'Oran a bénéficié d'une enveloppe financière de 358 milliards de dinars, soit l'équivalent de 4 milliards de dollars, destinée à 1244 opérations touchant l'ensemble des secteurs.» in El-Djazair.com no 34 , janvier 2011.

5. Claude Manzagol, (2009) : La nouvelle économie et les territoires de la métropole au temps de la métropolisation et de la mondialisation. Dans la métropolisation et ses territoires. G. Sénécal et L. Bherer, dir. Presses Universitaires du Québec

6. ONU : Villes d'aujourd'hui, villes de demain. Qu'est-ce qu'une ville?

7. Cécile Manciaux (2013) : Sagacités. Ces villes qui construisent l'Afrique. Jeune Afrique, Spécial n° 4