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Les banques publiques algériennes, instruments passifs des choix du gouvernement

par YAZID TALEB

A l’occasion de sa dernière intervention publique, le délégué général de l’ABEF M. Abderrezak Trabelsi a été affirmatif. «La situation financière des banques algériennes est stable et nous est enviée par beaucoup de pays».

« Je vous le confirme, le système financier algérien est solide» soutient avec beaucoup d’assurance M.Trabelsi ; Et pour preuve, il rappelle la mise en œuvre récente d’une politique monétaire destinée à réduire l’excès des liquidités bancaires, «estimées estimé encore il y a peu à 2.900 milliards de dinars». Celle-ci a été conduite grâce au financement bancaire de programmes économiques naguère budgétisés. M Trabelsi mentionne, à titre d’exemples, la Sonelgaz qui doit bénéficier de 1.400 milliards de dinars et le programme de logements LPP de 1.060 milliards de dinars. Après la BEA considérée de longue date comme la «banque de Sonatrach» , voila que le gouvernement algérien a décidé en quelques mois de transformer quasiment la CNEP en «banque de Sonelgaz» tandis que le CPA est appelé officiellement à devenir «une banque du logement».C ’est un grand retour du concept -et de la pratique- de la spécialisation bancaire en vogue dans les années 70 qui risque de transformer durablement le paysage bancaire algérien en l’éloignant de tous les standards internationaux.

QUAND LE CPA DEVIENT LA «BANQUE DU LOGEMENT»…

Au printemps 2013, le ministre de l’habitat et le PDG du CPA annonçait en chœur et triomphalement «La plus grosse opération de financement par concours bancaire dans l’histoire de l’Algérie et l’une des plus importantes à l’échelle mondiale» (sic). La banque du boulevard Amirouche doit à ce titre, prendre la tête de financements syndiqués assurés par l’ensemble des banques d’Etat au profit de la relance des programmes AADL et de logements promotionnels. Au total, 1 200 milliards de dinars (soit 15 milliards de dollars) seront versés par l’ensemble des banques publiques algériennes pour mener à bien ces projets immobiliers. . Cette décision est commentée avec enthousiasme par le ministre de l’Habitat et de l’urbanisme, Abdelmadjid Tebboune, pour qui «L’Algérie vient, grâce à ces conventions, de franchir une étape extrêmement importante dans la reconversion de l’économie nationale grâce à la nouvelle stratégie du secteur de l’habitat qui vise à alléger les charges sur le Trésor en impliquant les banques publiques dans la réalisation de ses projets».

Un enthousiasme pas forcement partagé par la plupart des spécialistes qui observent avec perplexité les transformations récentes, et massives, de la structure du portefeuille des banques publiques au profit du financement des infrastructures économiques et sociales tandis que l’investissement productif peine encore à décoller.

...ET LA CNEP LA «BANQUE DE SONELGAZ»

Le CPA n’est en effet pas la seule banque concernée par cette nouvelle orientation .Voici quelques mois c’est un communiqué de la CNEP passé un peu inaperçu dans les médias nationaux qui annonçait que cette dernière a été récemment appelée au chevet de Sonelgaz dont elle finance depuis le début de 2012, les investissements en mobilisant ses excédents colossaux. Les crédits à l’investissement accordés par la CNEP ont atteint 343 milliards de DA (plus de 4 milliards de dollars) en 2012.A elle seule SONELGAZ a bénéficié de 312 milliards de dinars soit près de 90% des crédits à l’investissement octroyés par la CNEP en 2012. En comparaison, et pour donner une idée de l’importance de cette décision, la «Banque de l’habitat» n’a accordé, en dépit d’une progression très sensible de son activité dans ce domaine, qu’un peu plus de 40 milliards de dinars de crédits immobiliers en 2012.

DES RISQUES IMPORTANTS

Depuis la fin de l’année 2011, en vue d’utiliser leurs ressources financières excédentaires, les banques commerciales publiques sont ainsi sollicitées massivement par l’Etat, qui est leur actionnaire unique, pour financer les investissements réalisés dans les infrastructures économiques et sociales, en lieu et place du Trésor public, qui assurait encore presque exclusivement ce rôle jusqu’à une période récente. D’où les dernières décisions concernant la CNEP et le CPA mais qui affectent en réalité l’ensemble des banques publiques à travers la pratique des «crédits syndiqués» qui ont mobilisés au total l’équivalent de 8 milliards de dollars en 2012.Aux yeux de beaucoup de spécialistes , les évolutions récentes du secteur bancaire algérien sont porteuses de risques importants pour la structure du portefeuille des banques publiques et leur solidité financière. Elles risquent également d’accentuer le dualisme existant entre banques publiques et privées.

BANQUES UNIVERSELLES OU BANQUES SPECIALISEES

Les orientations récentes des autorités financières algériennes tournent en effet le dos à ce qui était voici encore quelques années le credo de toutes les banques publiques : la «banque universelle» développant à la fois ses activités en direction des entreprises, tous secteurs confondus, des professions libérales ou encore des particuliers .C’était devenu le programme et la stratégie affichée par les banques publiques algériennes depuis plus d’une décennie. A l’image de toutes les grandes banques internationales, il s’agissait d’élargir leurs domaines de compétence, renforcer leur professionnalisme, accroitre leur rentabilité et diviser leurs risques. Aujourd’hui le changement de décor est complet. La concentration des crédits accordés par certaines banques publiques au profit d’un seul secteur, voire même d’une seule entreprise, risque de se révéler à l’avenir un facteur de fragilité qui semble ignorer les règles prudentielles les plus élémentaires…

VERS UNE ACCENTUATION DU DUALISME ENTRE BANQUES PUBLIQUES ET BANQUES PRIVEES

Le risque de renforcement du dualisme entre des banques privées fortement bénéficiaires et des banques publiques fragilisées par les contraintes imposées par l’Etat est également réel. Les dernières années ont surtout été marquées par une accentuation du dualisme entre les deux secteurs. Pour l’essentiel, les décisions gouvernementales concernant le crédit documentaire ont constitué une forte incitation au renforcement de la spécialisation des banques privées, dont 70% des engagements sont constitués de crédits à court terme, dans un financement du commerce extérieur devenu très rentable.

De leur côté, les banques publiques, dont plus des deux tiers des engagements sont déjà des crédits à moyen et long terme, ont été simultanément invitées à supporter seules le poids des décisions récentes de financement massif de la micro entreprise ou de financement des infrastructures économiques et sociales. Avec les risques que cela comporte inévitablement pour le recouvrement futur de leurs créances et leur santé financière…