Près de 20 ans
après la conférence de Barcelone (1995) qui rêvait de faire de la Méditerranée
un espace de paix, voilà l'autre conférence de Madrid qui est tentée par
l'usage des armes en Libye. Régression de la diplomatie internationale.
Au lendemain de la
conférence de Madrid consacrée à la crise libyenne et durant la quelle
l'Algérie a plaidé avec insistance pour le choix d'une solution politique
inclusive de toutes les parties en conflit au détriment de celle des armes, le
souvenir de «Barcelone», l'autre ville espagnole symbole pour la Méditerranée,
surgit comme la trahison de l'Europe à sa promesse de faire de la Méditerranée
une «zone de paix, de libre-échange et de prospérité partagée». C'était en
novembre 1995 à Barcelone, lorsque l'Europe et les pays du sud méditerranéen se
promettaient de bâtir un avenir commun. Les peuples y ont cru et les cérémonies
des signatures des «Accords d'association» soulevaient un immense espoir en un
avenir radieux. 20 ans après (19 ans pour être précis), la Méditerranée est
devenue pour les pays du Sud un enfer et pour les pays de l'Europe une menace,
une route déversant des périls chez elle. Guerre en Syrie, Libye, Ghaza. Violences
en Egypte, Tunisie, Liban... etc. Peur et alerte aux risques de violence en
Algérie, Maroc et Mauritanie. Et puis il y a les autres, ceux à la périphérie
des pays du sud méditerranéen, ceux fuyant la guerre en Irak, au Yémen, au
Tchad ou encore venant de Moldavie, d'Ukraine et d'ailleurs pour se heurter à
la forteresse Europe et se noyer dans les fonds de la Méditerranée. Que
s'est-il passé pour tous ces peuples pour que le rêve de Barcelone de 1995 se
transforme en cauchemar depuis 2011, et que les Européens continuent à nommer
cyniquement «Printemps arabe» ? Que s'est-il passé pour que l'Europe se meuve
d'un promoteur de la paix en 1995 à celui de héraut de la guerre aujourd'hui ?
La Conférence de Madrid est le démenti de celle de Barcelone. Et c'est d'autant
plus inquiétant que ce soit l'Algérie, un pays du Sud, qui se bat pour éviter
l'emploi des armes en Libye au profit d'un dialogue inclusif et d'une solution
politique négociée. Cette Algérie isolée comme une pestiférée lorsque le
terrorisme menaçait son existence et vivait une violence paroxystique
en?novembre 1995, date de l'engagement de l'Europe pour la paix et le dialogue.
C'est cela la leçon algérienne : le combat contre le terrorisme dans la
solitude, l'accusation et l'anathème : les Algériens sont, par nature, violents
laissait-on entendre. C'est ce terrible vécu que l'Algérie ne souhaite pas que
d'autres peuples le vivent. C'est cette expérience qu'elle soumet à l'Europe et
à la Communauté internationale : la guerre n'est pas une solution, même si elle
est nécessaire en cas de légitime défense. Or, qui agresse qui en Libye ? Ce
sont des Libyens contre d'autres Libyens ; les frères d'une même famille
quoique l'on dise du virus du tribalisme et du régionalisme. L'embryon d'Etat
qui existe encore en Libye, cerné par les milices armées, devrait être le point
de départ de la construction d'une légitimité nationale partagée par tous les
Libyens. Aider les Libyens à déposer les armes et à se parler et trouver un
minimum de consensus devrait être le fil conducteur de toute initiative
diplomatique internationale. Le langage des armes, la seule force des armes, a
toujours conduit les peuples aux plus grandes misères. Le dernier exemple est
là, sous nos yeux, et oppose des Européens entre eux : l'affaire ukrainienne.
C'est encore une fois parti de l'intention de l'Europe de «bâtir une zone de
libre-échange et de prospérité» avec l'Ukraine. Un Accord d'association qui
débouche maintenant sur une crise violente parce que le dialogue entre l'Europe
et la Russie a laissé place à la démonstration de force et aux menaces
réciproques. Quelqu'un a dit dans un siècle passé que « la guerre est la
continuation de la diplomatie par les armes». Sauf que dans ce siècle il n'y
avait pas de lieux partagés de débats. Il n'y avait ni l'Onu, ni l'UE, ni
L'Union africaine, ni les technologies modernes, ni le niveau d'instruction des
peuples d'aujourd'hui, ni les échanges entre peuples par les voyages et enfin,
ni la «Mondialisation». Et la Mondialisation a aussi son côté pervers : l'effet
papillon. Une guerre, quelque part dans un pays que l'on croit lointain a des
conséquences sur le reste du monde. La guerre en Irak a créé le monstre «Daech»
et ses partisans djihadistes volontaires en Europe. La guerre en Afghanistan a
démultiplié Al-Qaïda ailleurs dans plein de pays. La guerre en Libye continue
de déstabiliser les pays du Sahel. La guerre en Libye n'est donc pas la
solution.