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Saida Keller Messahli : «Oui, il est possible pour la femme et pour l'homme de s'émanciper sous l'islam»

par Hamid Zanaz

Saida Keller Messahli, Assistante à l'Université de Zürich, divers postes dans le domaine culturel (médias et institutions culturelles). Deux fois (en 1997 et en 2001) en mission diplomatique pour la Suisse à Hebron (Al Khalil/Palestine) en tant qu'observatrice internationale. Engagement bénévole politique: Pour la Palestine pendant presque 20 ans, en 2004 fondation du «Forum pour un Islam progressiste» à Zurich.

Quels sont les buts du «forum pour un islam progressiste» que vous présidez ?

Notre Forum existe depuis bientôt dix ans et s'est fixé comme but de repenser «critiquement» les relations entre «démocratie - religion - droits de l'Homme - Etat de droit». En d'autres termes: mener un débat critique et public sur les aspects aujourd'hui problématiques voir inacceptables du texte coranique. Nous sommes persuadés que ce débat est nécessaire pour replacer le texte coranique dans le contexte historique, culturel et géographique dans lequel il est né afin de l'ajuster à notre temps et de l'harmoniser avec les acquis de notre époque.

Vous militez pour un islam qui s'intègre pleinement dans la société helvétique, dans la société occidentale ! Ne trouvez-vous pas que c'est une équation impossible ?

Non, notre but n'est pas son intégration dans la société occidentale mais tout d'abord son intégration dans le concept universel des Droits de l'Homme, c'est-à-dire faire une lecture du texte qui prend en considération les libertés individuelles et les notions centrales de «dignité humaine», de «égalité face à la loi» et de «liberté». D'ailleurs les mêmes revendications de ce qu'on a appelé le «printemps arabe».

«Se voiler, c'est se refuser au monde», dites-vous, selon vous le voile n'est-il pas une obligation islamique ?

Non, car il n'est nul part question de «voile» dans le texte coranique. Le voile est un topos qui nous a été transmis de l'Antiquité. Ce topos a été repris dans le bassin de la méditerranée par les trois religions monothéistes: judaïsme, christianisme et islam. On le retrouve aujourd'hui encore dans les milieux orthodoxes juifs, dans les ordres chrétiens de soeurs qui vouent leur vie à Dieu et chez les musulmans orthodoxes.

Vous dites qu' «on ne peut pas reprocher à un texte du VIIIe siècle de discriminer les femmes, parce que tous les textes religieux de cette époque le font. Je suis persuadée que l'islam est compatible avec la démocratie, parce que la capacité de se réformer existe en islam. C'est donc à nous, musulmans, de faire de ce texte quelque chose de vivant et de ne pas le prendre au pied de la lettre.» Selon vous la femme pourrait-elle s'émanciper sous l'islam, être l'égale de l'homme ?

Oui, la femme est le problème existentiel de l'homme. C'est l'homme qui domine dans toutes les religions monothéistes: Dieu, Moïse, Jésus, Mohamed - tous des hommes. Quant à la genèse des textes: Tous ont été ?reçus' ou ?écrits' par des hommes. Donc dès le départ il y avait cette relation de pouvoir, de domination, entre homme et femme. Les trois textes considèrent que Dieu a d'abord fait l'homme et ensuite la femme et que l'homme est privilégié par rapport à la femme. Malgré cela il a été possible au cours de l'histoire d'améliorer la situation sociale, politique et culturelle de la femme aussi bien dans le judaïsme, dans le christianisme et dans l'islam. Bien sûr qu'il reste encore beaucoup à faire surtout en ce qui concerne l'image de la femme que chaque homme - indépendamment de son appartenance religieuse - porte en lui. Mais aussi en ce qui concerne l'image de l'homme que chaque femme porte en elle. Ce n'est pas seulement la religion prise à la lettre qui empêche les hommes d'accorder à la femme son droit légitime à une place sociale égale à celle de l'homme. Le plus souvent les raisons sont d'ordre psychologique : Trop d'hommes sont angoissés par cet être si différent d'eux, la femme, angoissés aussi par la sexualité tant tabouisée et donc aussi source d'angoisse et de phantasmes directement liée au corps de la femme. Oui, il est possible pour la femme et pour l'homme de s'émanciper sous l'islam, à condition qu'ils apprennent à dissocier leur besoin spirituel de la vie politique. Le texte coranique - selon la lecture qu'on en fait - montre que face à Dieu, l'homme et la femme sont des sujets à part égale. Il suffirait de transposer cette idée d'égalité face à Dieu sur le domaine social. Ce que nous observons aujourd'hui dans la plus grande partie du monde majoritairement musulman, est un viol de la place publique par un islam devenu un programme politique au lieu de rester dans son champ spirituel. Lorsque la religion devient le seul programme politique comme partout où les islamistes sont arrivés au pouvoir, l'être humain perd son statut de citoyen protégé par la loi et se trouve exposé à toute forme de violence.

Plus de 58% de la population suisse estime que la religion musulmane est incompatible avec les valeurs occidentales, pourquoi d'après vous ?

Parce que la majorité de la population ne connait pas la différence entre Islam et islamisme. Ce manque de différenciation est d'ailleurs souvent utilisé par des politiciens de la droite pour agrandir leur électorat au prix de désavouer et de dévaloriser la minorité musulmane, majoritairement d'origine turque et du Balkan, qui vit en Suisse. Cette droite présente les crimes des islamistes - le crime d'honneur, le mariage forcé, la mutilation génitale féminine, la burqa, l'antisémitisme, le jihadisme, etc. - comme étant l'islam. C'est ainsi que la droite prépare le terrain pour ses initiatives politiques, comme celle d'interdire la construction de minarets, il y a quelques années.

C'est l'ignorance qui est la base de toute sorte de violence. Ceci est aussi valable pour les pays majoritairement musulmans: Le manque de savoir sur l'autre, sur sa religion, sa culture et son histoire est toujours une source de violence verbale qui peut mener à la violence très concrète comme nous l'avons vu récemment en Egypte où les islamistes dès qu'ils ont été chassés du pouvoir se sont retournés contre la minorité non musulmane.