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Alibaba, le révélateur

par Akram Belkaïd, Paris

C’est le grand événement boursier de la rentrée. Dans quelques jours, après une série de présentations dans les grandes places financières mondiales (périple communément appelé «road-show), Alibaba, le géant chinois du commerce électronique, va faire son entrée au New York Stock Exchange (NYSE). L’opération fait saliver tout ce que Wall Street compte comme intermédiaires et analystes. Qu’on en juge, l’«ipo», ou «initial public offering», devrait permettre à l’entreprise dirigée par «Jack» Ma Yun de lever 21 milliards de dollars et d’être valorisée entre 160 et 200 milliards de dollars. Un record ! Pour mémoire, le capital d’Alibaba est déjà contrôlé à 34,4% par le japonais Softbank et à 22,6% par son partenaire américain Yahoo ! (Jack Ma en possède 8,9%). Cette introduction en Bourse va donc élargir son actionnariat et lui permettre de financer son développement à l’international (jusqu’à présent 90% de son chiffre d’affaires est réalisé en Chine) notamment par le biais d’acquisitions en Asie.

UN SYMBOLE DE LA CHINE CAPITALISTO-COMMUNISTE

A y regarder de près, la saga d’Alibaba en dit plus sur la Chine d’aujourd’hui que n’importe quel exposé de sciences politiques. C’est d’abord la confirmation que la doctrine communiste ne veut plus rien dire dans un pays où un entrepreneur comme Jack Ma pèse désormais 10,4 milliards de dollars de fortune personnelle (et cela avant même l’introduction en Bourse qui devrait singulièrement augmenter ses avoirs).

Très docile à l’égard du Parti communiste, Jack Ma ne s’est guère aventuré dans les secteurs dangereux du net. Pas de portail culturel, pas d’investissement dans les réseaux sociaux où les grandes oreilles des autorités sont très actives : Alibaba et sa galaxie d’entreprises est essentiellement dédiée au business. Du B2B, ou encore business to business (opérations entre entreprises) mais aussi du B2C c’est-à-dire business to consumer (de l’entreprise au consommateur).

Grâce à ce site, tout se vend et s’achète y compris des produits de luxe. En cela, Alibaba accompagne deux tendances structurelles de l’économie chinoise. D’abord, il est un outil idéal pour les (très) petites entreprises qui cherchent à exporter mais qui ne disposent pas de la même force commerciale que les grandes sociétés étatiques. Grâce à Alibaba, un petit producteur de thé peut ainsi commercialiser directement sa production en Europe et contourner nombre de coûteux intermédiaires. Ensuite, ce site témoigne de la vigueur croissante de la consommation locale. On connaît le débat de fond qui concerne la Chine depuis déjà dix ans : faut-il que ce pays se concentre sur les exportations ou doit-il développer son marché intérieur afin de ne plus dépendre des aléas de la conjoncture mondiale, notamment américaine et européenne ? Avec un chiffre d’affaires de 8,4 milliards de dollars pour l’exercice 2013/2014, Alibaba est la preuve du potentiel gigantesque du marché chinois.

UNE MESURE DE PROTECTION

Enfin, il faut relever que cette introduction en Bourse, qui confirme le retour en force de Wall Street en tant que première place financière mondiale, ne concerne que la holding qui contrôle Alibaba et ses autres activités.

Cette structure faîtière est basée aux îles Caïmans, preuve que le capitalisme chinois qui croit à l’ombre protectrice du Parti communiste s’est très vite conformé au mode de fonctionnement des grandes transnationales désireuses «d’optimiser» leurs contraintes fiscales. Certains observateurs y voient surtout une précaution prise par Jack Ma. Administrativement localisé à l’extérieur de la Chine, Alibaba est à l’abri des convoitises et d’éventuelles prédations de la part de responsables politiques chinois. Une protection que l’entrée en Bourse à New York ne fera que renforcer…